Test Blu-ray : Le crocodile de la mort

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Le crocodile de la mort

États-Unis : 1976
Titre original : Eaten alive
Réalisation : Tobe Hooper
Scénario : Alvin L. Fast, Mohammed Rustam, Kim Henkel
Acteurs : Neville Brand, Marilyn Burns, Mel Ferrer
Editeur : Carlotta Films
Durée : 1h31
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 24 mai 1978
Date de sortie DVD/BR : 25 mars 2020

Dans la moiteur estivale de la Louisiane, un motel un peu glauque perdu à la lisière des marais… Son propriétaire, le pitoyable Judd, est le maître attentionné d’un animal de compagnie peu ordinaire : un crocodile ! Gardée dans un enclos, la bête se repaît des victimes qui s’égarent jusque dans l’antre du fou sanguinaire et maniaque sexuel qui sert de propriétaire au Starlight Hotel. Enfant, chien, prostituée, jusqu’à la jambe de son protecteur, gare à ce qui tombe sous la dent du monstre…

Le film

[4,5/5]

Au lendemain du succès international de Massacre à la tronçonneuse, film séminal qui révolutionna littéralement le cinéma d’horreur, le retour de Tobe Hooper derrière la caméra était forcément très attendu par la critique et le public, qui attendaient sans doute que le cinéaste nous livre une nouvelle plongée suffocante dans les abysses de la terreur redneck. D’ailleurs, c’est plus ou moins ce qui serait attendu de Tobe Hooper à chacun de ses nouveaux films, tout au long de sa carrière. Et bien sûr, c’est en partie ce qu’est Le crocodile de la mort.

Car vu de loin, on retrouvera tout de même dans Le crocodile de la mort beaucoup des ingrédients qui faisaient le charme de Massacre à la tronçonneuse. Au scénario du film, on retrouvera Kim Henkel, qui remanie une histoire inspirée des crimes commis dans les années 30 par un tueur en série texan. On y retrouvera l’hystérie typique des histoires imaginées par Kim Henkel, avec notamment un dernier acte d’une vingtaine de minutes versant dans la folie furieuse et ne comptant quasiment aucun dialogue. Devant la caméra, retour aussi de Marilyn Burns, héroïne du film précédent, qui passera une partie du film ligotée et l’autre à essayer d’échapper aux griffes d’un taré sanguinaire. Car bien sûr, on retrouvera également dans Le crocodile de la mort une grande bâtisse texane habitée par un redneck psychopathe plutôt enclin à tuer son prochain. Le mauvais goût de l’ensemble, et la musique bruitiste extrêmement dérangeante signée Wayne Bell et Tobe Hooper sont également à nouveau de la partie…

Mais au final, Le crocodile de la mort se démarque tout de même énormément de son modèle. Car indéniablement, Tobe Hooper a fait le choix de prendre à revers toutes les attentes du spectateur afin de l’emmener… ailleurs. Dans un univers figé, étouffant et artificiel : aux décors naturels de Massacre à la tronçonneuse, Hooper préfère ici tourner l’intégralité de son film en studios, dans des décors ouvertement « fabriqués », dans la pénombre et baignés dans une fumée de cinéma envahissante… Le résultat, tenant du cauchemar éveillé, est visuellement remarquable. En plus de ses décors de carton-pâte évoquant une espèce de projection mentale – voire même de plongée dans la psyché torturée du personnage principal ! – Tobe Hooper et son directeur photo Robert Caramico font d’ailleurs également le choix de privilégier des éclairages baroques et irréels. Ces lumières qui n’évitent jamais la pénombre de progresser renforcent au fur et à mesure du film l’impression de claustrophobie ressentie par le spectateur. C’est d’autant plus radical que Hooper et Caramico plongent par moments complètement l’image dans le rouge vif ou le jaune… On nage dans le grand guignol, dans le sensoriel le plus étouffant. En ce sens, Le crocodile de la mort est très éloigné de la volonté de naturalisme qui rendait Massacre à la tronçonneuse si angoissant.

Pour autant, Le crocodile de la mort n’en demeure pas moins angoissant que son grand frère. Malsain, donnant un curieux sentiment de moiteur glauque, crade, teintée de secrets honteux et de cadavres dans les placards… Une impression en partie accentuée par les premières images du film, dans un bordel, avec un gros plan sur une boucle de ceinture qui s’ouvre et la voix de Robert Englund qui déclare « My name’s Buck, and I’m here to fuck ! » – réplique qui sera d’ailleurs reprise par Quentin Tarantino dans Kill Bill Vol. 1. La suite n’en sera pas moins gratinée, puisque le spectateur rencontrera assez rapidement le personnage de Judd (Neville Brand, extraordinaire), que l’on découvre d’entrée de jeu comme un homme complètement perdu dans sa folie et dangereux. Ainsi, Le crocodile de la mort ne jouera pas la carte de la montée en tension : dès le départ, le spectateur est conscient que ce personnage est coincé dans ses frustrations et ses pulsions de mort. On sait qu’il va tuer, mais on sent confusément également qu’il a déjà tué, et que la présence du crocodile est finalement plus anecdotique qu’autre chose… Dans le sens où contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre français, il ne s’agit pas là d’un film de monstre. Le vrai danger vient du personnage de Neville, tenancier psychotique du « Starlight Hotel ».

Car le scénario se base en réalité sur une trame finalement assez référentielle, nous proposant une relecture dégénérée et redneck de Psychose, à laquelle Kim Henkel et Tobe Hooper appliquent leurs obsessions, ici grassement matinées d’esthétique « grindhouse ». Ainsi, on retrouvera tout au long du film la passion de Tobe Hooper pour la sacro-sainte notion de « Famille » : il nous en propose ici plusieurs incarnations pour le moins bizarres et dérangeantes. On pense notamment aux liens existant entre Buck et Judd – si ce n’est jamais explicité dans le récit, on peut supposer qu’ils sont frères, voire peut-être même père et fils – mais également au personnage incarné par Mel Ferrer, qui paiera au prix fort le fait d’avoir manqué à ses devoirs de père. On pense aussi à la composition haute en couleurs de William Finley, tout juste sorti de Phantom of the Paradise et nous proposant ici une prestation brutale et complètement folle, en mode impuissant névrosé et sado-maso. Père à la fois cruel et soumis, il alterne les phases de passivité / agressivité jusqu’à en traumatiser sa fille sans doute bien d’avantage que le crocodile qui vient de bouffer son chien.

Mais au-delà du simple constat de la dégénérescence de l’Amérique rurale, c’est la déliquescence de la société américaine toute entière qu’évoque ici Tobe Hooper. Une Amérique schizophrène, traumatisée par la débâcle – physique, politique, idéologique – de la guerre du Vietnam, ayant perdu tout repère moral, percluse de mensonges et de violences larvées. Une Amérique folle à lier, dont la jambe a été dévorée par son propre crocodile, et s’enfermant dans un système de valeurs archaïques afin de ne pas avoir à refréner ses pulsions de violence…

Autant dire que Le crocodile de la mort, sous ses allures de démarcation « studio » de Massacre à la tronçonneuse, en a encore méchamment sous le pied. A (re)découvrir de toute urgence !

Le Blu-ray

[4,5/5]

Sous ses airs d’éditeur propre sur lui, toujours prêt à défendre le cinéma d’Art et Essai de l’invasion des blockbusters US et des gros fdp venus de l’espace, Carlotta Films s’est imposé au fil des années comme l’un des plus grands pourvoyeurs de cinéma fantastique / horrifique des années 70/80 en Haute-Définition. Tobe Hooper, William Lustig, John Carpenter, Russell Mulcahy ou Frank Henenlotter côtoient donc Alfred Hitchcock, Yasujiro Ozu, King Vidor ou R.W. Fassbinder au sein du catalogue de chez Carlotta – de quoi élargir bien des horizons…

Défricheur inépuisable d’un cinéma d’horreur de qualité, Carlotta a donc pris le risque de sortir, en plein milieu du confinement en France, une belle édition Blu-ray d’un des chefs d’œuvre les plus méconnus de Tobe Hooper, Le crocodile de la mort. Et comme Carlotta chouchoute toujours ses consommateurs, le film débarque dans une édition absolument remarquable. Les banalités d’usage tout d’abord : le film est bien entendu présenté en version intégrale (avec un court passage jamais doublé en français), au format 1.85 respecté et dans un tout nouveau transfert Haute-Définition, issu d’une remasterisation 2K de 2015 supervisée et approuvée par Tobe Hooper.

Le master, stable et propre, s’affiche aujourd’hui débarrassé de la moindre trace de griffes ou autres poussières. La définition est accrue, contrastes et couleurs sont solides, et si le film manque certainement de piqué par moments, cela est sans doute imputable aux conditions de tournage en elles-mêmes. La granulation d’origine et les contrastes affirmés ont tous deux été scrupuleusement respectés. Le crocodile de la mort s’offre par ailleurs une profondeur de champs inédite, qui pourra même surprendre les cinéphiles n’ayant pas vu le film depuis sa sortie en DVD. Le transfert est donc indubitablement soigné, et l’excellente qualité du travail de l’éditeur ne se dément à nouveau pas du tout. Côté son, on pourra savourer le film soit en version originale, soit en version française d’époque, toutes deux étant mixées en DTS-HD Master Audio 2.0 et proposant un confort d’écoute optimal. Clairs et équilibrés, les deux mixages sont vierges de tout parasite, larsen ou autre pétouille sonore. La VF s’avère certes un peu surannée, mais rajoute peut-être encore un peu de poids à l’ambiance délétère et onirique qui baigne le film de Hooper. On pense notamment à cette séquence assez surréaliste durant laquelle l’acteur doublant Neville Brand – probablement Henri Djanik – se laisse aller à chantonner « Au clair de la lune » sur un ton monocorde…

Du côté des suppléments, comme d’habitude, rigueur, passion et générosité sont les maîtres mots de Carlotta Films, qui nous propose ici de voir ou revoir une série d’entretiens assez passionnants, même s’ils sont déjà assez anciens. On commencera donc avec un entretien avec Tobe Hooper (20 minutes, 2007), qui évoquera la façon dont il a vécu l’après-Massacre à la tronçonneuse, les différentes versions du script du Crocodile de la mort, et l’esthétique de « conte de fées » qu’il cherchait à créer par le biais d’un tournage en studio. Il évoquera également la prestation de Neville Brand qui, littéralement « possédé » par le personnage de Judd, violentait les actrices à qui il faisait peur. Les problèmes de production ne sont pas évoqués. On continuera ensuite avec un entretien avec Robert Englund (15 minutes, 2006), qui se remémorera son audition, ses facilités à travailler aux côtés de Tobe Hooper sans avoir à trop en dire, et surtout son attachement aux acteurs de l’ancienne génération, qu’il admirait et aux côtés de qui il était fier de tourner. On passera ensuite à un court entretien avec Marilyn Burns (5 minutes, 2007), dans lequel l’actrice reviendra sur sa deuxième collaboration avec Tobe Hooper, tout en confirmant les propos de ce dernier sur Neville Brand, qui lui faisait régulièrement peur sur le tournage. En plus de la traditionnelle galerie de photos et de deux bandes-annonces, l’éditeur nous propose également un court sujet dédié à Joe Ball, dit le « Boucher d’Elmendorf » (23 minutes), le tueur en série ayant inspiré le film. Par le biais d’un entretien avec son neveu, on découvrira un résumé de l’existence de Joe Ball. C’est également l’occasion de revenir sur les nombreuses extrapolations morbides ayant été émises au sujet de ses crimes – dont beaucoup sont reprises comme des faits avérés sur la page Wikipédia consacrée au tueur.

On notera également que le Blu-ray du Crocodile de la mort édité par Carlotta Films est présenté dans un superbe Steelbook aux couleurs du film.

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