On n’entend plus tellement parler de la Roumanie. Ni dans l’actualité, qui nous a tout l’air de profiter du creux entre deux vagues épidémiques pour meubler avec des histoires sans intérêt. Ni du côté du cinéma, un domaine qui nous tient en toute logique particulièrement à cœur. Pourtant, il fut un temps, à la fin des années 2000, quand la Nouvelle vague roumaine était le mouvement filmique à suivre de près. Ce focus sur la renaissance d’une cinématographie nationale a beau avoir achevé son cycle de vie depuis, comme tant d’autres avant et après lui, il nous a quand même laissé quelques films qui se sont plutôt bonifiés avec le temps. Encore disponible sur la plateforme MUBI jusqu’à demain soir, Policier adjectif est de ceux-là. Le lauréat du prix du jury Un certain regard au Festival de Cannes en 2009 contemple avec une maestria bluffante l’absurdité du travail routinier d’un petit fonctionnaire de police en province.
Mieux vaut en effet s’armer de patience pour apprécier pleinement les nombreuses qualités du deuxième long-métrage du réalisateur Corneliu Porumboiu. Il ne s’y passe pas grand-chose, voire rien, si l’on compare son intrigue à celles des productions contemporaines en Europe ou à Hollywood. L’enjeu criminel du récit paraît minime : un lycéen, qui fumerait parfois des joints, est soupçonné d’en proposer à ses amis. Rien de plus, rien de moins – ce qu’il serait au demeurant quasiment impossible d’imaginer. L’enquête confiée au protagoniste Cristi semble alors d’autant plus disproportionnée et même grotesque. Tant d’heures consenties à une filature minutieusement documentée et tant de démarches administratives effectuées afin de trouver la proverbiale aiguille dans une botte de foin, il n’y a que la gendarmerie et le cinéma roumains pour croire qu’une telle entreprise vaille la peine !
Elle le fait toutefois, même amplement. Tout d’abord, grâce à la remarquable gestion du temps par la narration de Porumboiu. Il faudrait par ailleurs nous expliquer, pourquoi l’ancienne Caméra d’or en 2006 pour 12h08 à l’est de Bucarest s’est engagée depuis sur la voie de drôles de documentaires sur le foot. Ici, le réalisateur suscite une intensité soutenue à partir de rien ou bien, pour rendre justice à un récit tout en finesse et en longs plans contemplatifs, à partir de l’observation hors pair d’un travail futile. Entre la fadeur d’un emploi sans gloire et le potentiel tragique de la prise de conscience – quelqu’un pourrait nous chercher vite fait la définition de ce terme dans le Larousse, s’il vous plaît ? – que ce qu’il fait ne rime à rien, Dragos Bucur confère une incroyable tristesse à son personnage. Il personnifie à lui seul la mélancolie du petit fonctionnaire modeste. Celui qui ne souhaite pas faire de vagues et qui, pour cette raison précise, n’est pratiquement jamais au centre d’un film policier.
Cette chronique sans faille sur l’anéantissement des scrupules dans une société dépourvue de lois morales va encore plus loin. Après une démonstration magistrale en matière de nullité pédagogique au sein de la hiérarchie professionnelle, administrée sans sourciller par un Vlad Ivanov en grande forme, suivie d’une partie improbable de foot-tennis, qui avait bien fait ricaner notre cher rédacteur en chef Pascal lors de la projection de presse il y a une éternité – si nos souvenirs sont bons – , le récit se clôt sur une pirouette aussi diablement efficace que cruellement nihiliste. Dès lors, il n’y a plus besoin de voir les policiers en pleine action au moment de l’interpellation en flagrant délit. Car tout ce qu’il y avait à dire sur ce système répressif, Policier adjectif l’a d’ores et déjà montré avec une bravoure et un calme exceptionnels.