Critique : New York 1997 & Los Angeles 2013

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New York 1997


États-Unis : 1981
Titre original : Escape from New York
Réalisation : John Carpenter
Scénario : John Carpenter, Nick Castle
Acteurs : Kurt Russell, Lee Van Cleef, Donald Pleasence
Durée : 1h34
Genre : Action, Science-fiction
Date de sortie : 24 juin 1981

 

Los Angeles 2013


États-Unis : 1996
Titre original : Escape from L.A.
Réalisation : John Carpenter
Scénario : John Carpenter, Debra Hill, Kurt Russell
Acteurs : Kurt Russell, Peter Fonda, Cliff Robertson
Durée : 1h41
Genre : Action, Science-fiction
Date de sortie : 13 novembre 1996

Kurt Russell et John Carpenter sur le tournage de Los Angeles 2013 (©UIP)

Parmi les collaborations cinématographiques les plus fructueuses, difficile de ne pas avoir en tête l’entente quasi-fusionnelle unissant John Carpenter et Kurt Russell et qui aura donné des films désormais étiquetées comme œuvres cultes. L’on se demande ainsi si l’ironie n’est pas malicieuse lorsque l’iconoclaste Big John édifie malgré lui une icône, Snake Plissken, dont la moue bougonne sera passée d’un écran (le cinéma) à un autre (le jeu vidéo)1 ? De New York 1997 à Los Angeles 2013, 15 années de séparation2 qui n’atténuent pas la verve esthétique et discursive de Carpenter. C’est ainsi que d’une ville à l’autre, les symboles sont écorchés par le cynisme brut d’un réalisateur lucide et amer. Pourtant, même si les passerelles entre les deux films sont évidentes, l’un (New York 1997) est davantage relayé par la postérité que l’autre (Los Angeles 2013) : la faute, notamment, à des effets visuels qui auront moins bien vieilli pour ce dernier. Pourtant, les flammes denses et destructrices de Los Angeles 2013 n’ont pas tout à fait tout à envier à son prédécesseur dont il constitue un remake acéré.

ESCAPE FROM NEW YORK, Kurt Russell, 1981

Call me Snake

Un bus arrive dans un Manhattan mue en prison. Une silhouette nonchalante se dévoile. C’est à peu près de cette manière que le spectateur fait la connaissance de son (anti)héros qui reviendra dans un Los Angeles emmuré dans les mêmes dispositions. Avatar de son réalisateur, Plissken refuse toute forme d’autorité que Carpenter considère comme une « construction sociale3 ». Dans les deux œuvres, cette même autorité détonne ainsi avec l’humanisme baroque de ses prisonniers. De l’univers aseptisé des uniformes et des répliques protocolaires répond un cosmopolitisme vivifiant. Des couleurs austères et froides répondent la richesse des couleurs chaudes des flammes et des oripeaux des prisonniers infiniment plus vivants que ceux qui les répriment. D’une société dévitalisée par l’ordre répond celle composée d’êtres revitalisés et infiniment plus humain. Carpenter ne cesse alors de s’ingénier à renverser les rapports et interroge nos préjugés et nos évidences dans ses deux œuvres. De New York à Los Angeles, le cosmopolitisme social et la puissance symbolique, économique et politique constituent un pont entre ces villes-mondes malmené par l’instabilité et l’incertitude de la vie porté par une Nature toute puissante. Carpenter part ainsi toujours de la réalité (le black-out new-yorkais, le séisme 1994, la vision délabrée des quais et du centre-ville brûlés de Saint Louis) et extrapole leurs conséquences sociales et humaines. Dans Los Angeles 2013, il amplifie en convoquant une Nature déchaînée (Los Angeles est pris de séismes quotidiens et le temps y est tempétueux (orages, pluie) constituant un personnage à part entière.

Film de l’amplification au moins autant que celui de la répétition (la structure scénaristique est identique entre le premier et le second film et Carpenter ne s’encombre d’aucune piqûre de rappel pour spectateur qui n’en a que faire) Los Angeles 2013 apparaît comme une vision encore plus pervertie par l’ironie et le cynisme que son homologue new-yorkais. Gratifié du vécu d’un réalisateur dont le rapport avec Hollywood est constamment balloté entre l’amour et la haine, nombreux admettent la puissance et l’éloquence de sa séquence finale. Plissken, las de cet éternellement recommencement (« plus les choses changent, plus elles sont les mêmes ») impose par lui-même un reboot de l’Univers qui laisse le spectateur coi. Autre malice carpenterienne que de bousculer son public en le regardant droit dans les yeux …

Call me Plissken

L’on peut regretter en effet la roublardise de New York 1997 mais il serait plus terrible d’occulter les morceaux de bravoure de sa suite (superbe course poursuite d’un Snake motorisé face à un homme sur un cheval qui rappelle la nature composite de ce western urbain). De l’un à l’autre, le spectateur est baladé de mondes en mondes (du théâtre vaudevillesque au stade sportif) et révise ses infrastructures. C’est ainsi qu’avec amusement Carpenter évoquait dans une interview l’esthétique vidéoludique de ses deux films au niveau de la gestion de l’espace mais aussi du déplacement de son personnages ainsi que du sentiment d’enfermement plutôt prégnant qui émanait de son œuvre. Cela rejoint la construction de ce monde d’illusions et d’images fortement ancré dans ce diptyque et encore une fois amplifié dans le second : des hologrammes en passant par la multitude d’écrans, la chair n’est plus palpable et les corps faussement présents (tout comme l’esprit ?).

Même désabusé, Snake / Carpenter surplombe un monde dont il connaît désormais les rouages et le met à distance (exigeant que Bob Haulk l’appelle pas son surnom au départ, il lui dénie ce droit à la fin du film et à toutes les figures d’autorité qui tentent de le manipuler par la suite). C’est ainsi qu’entre la police et l’armée, la frontière n’existe pas ou plus et l’obsession de l’ordre est totalitaire. Carpenter dissémine et distille par le même temps son discours à travers des télescopages (Snake détonne avec l’austérité de ses gardes rapprochées) et des contradictions évidentes. Dans New York 1997, un panoramique balaye d’un revers la devise de cette police-armée « Liberty Island Security Control ». L’ironie constitue ainsi le ciment et la tonalité des deux œuvres en permettant un perpétuel retour de soi ; cette ironie se muant en autodérision dans Los Angeles 2013 que Carpenter présente souvent comme une variation presque parodique. Parodie de lui-même mais pas que … Ainsi, le « Je te croyais mort » se transforme en « Je te croyais plus grand ». Cette variation s’explique par l’injection de nouveaux sujets (ou alors posés plus explicitement) : la religion mais aussi les médias sensationnalistes qui informent et déforment …

A la fin de Los Angeles 2013, Carpenter éteint les lumières du monde. Dans New York 1997, il le faisait chanter. Démiurge involontaire, Snake Plissken constitue sans contexte l’une des figures les plus iconiques qui soient. A peine contextualisé dans la diégèse du monde dans lequel il ne parvient pas à s’inscrire, il répond tout naturellement à un cinéaste qui ne parvient pas ou plus à se positionner dans son industrie mais aussi dans un monde gangrené et gouverné par un capitalisme pervers. Finalement, le drame de Carpenter n’est-il pas d’être lui-même prisonnier par sa propre lucidité ? Souhaitons lui tout de même la bienvenue dans notre monde d’êtres-humains …

1 La référence et l’hommage sont ainsi à peine voilés dans la franchise vidéoludique Metal Gear Solid.

2 Environ 16 dans la diégèse.

3 L’Ecran fantastique, n°155.

1 COMMENTAIRE

  1. Eh bien, uni au personnage. Même si l’acteur lui-même est un peu fou. C’est incroyable de voir comment ils ont réussi à représenter une image aussi complexe. C’est devenu un sex-symbol

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