Le Temps du châtiment
États-Unis : 1961
Titre original : The young savages
Réalisation : John Frankenheimer
Scénario : Edward Anhalt, J.P. Miller
Acteurs : Burt Lancaster, Dina Merrill, Edward Andrews
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 1h43
Genre : Policier, Thriller
Date de sortie cinéma : 23 août 1961
Date de sortie DVD/BR : 18 février 2020
Dans un quartier populaire d’une grande ville américaine, la guerre des gangs vient de faire une nouvelle victime : un jeune aveugle porto-ricain a été assassiné par trois adolescents d’origine italienne. L’opinion publique exige un châtiment exemplaire. Hank Bell, adjoint du procureur, mène l’enquête…
Le film
[4/5]
Cela peut paraître étonnant étant donné la maîtrise formelle déployée par le cinéaste, mais Le temps du châtiment n’est que le deuxième long-métrage de cinéma de John Frankenheimer. Il s’était néanmoins fait la main durant quelques années à la télévision, où il avait réalisé plusieurs dizaines d’épisodes de séries TV. Le temps du châtiment marque également la première d’une longue série de collaborations avec Burt Lancaster : ils tourneront en effet cinq films ensemble, parmi lesquels le fameux et formidable Prisonnier d’Alcatraz.
Ayant pour sujet une jeunesse aussi désœuvrée que violente au cœur des quartiers les plus populaires de New York, Le temps du châtiment impose encore, presque soixante ans après sa réalisation, une sacrée modernité. Si bien sûr les modes vestimentaires tout autant que la façon de s’exprimer sont différents, on ne pourra nier que la façon dont le film aborde les luttes sanglantes entre gangs de jeunes gens s’avèrent encore de nos jours un sujet d’actualité. C’est d’autant plus troublant que cette thématique est ici traitée avec autant de façon complexe et réaliste, ne cédant à aucune tentation manichéenne : le scénario d’Edward Anhalt et J.P. Miller (adapté d’un roman d’Evan Hunter) évite en effet les solutions trop simplistes, et n’aura en aucun cas la prétention de vouloir résoudre ces problèmes sociaux. Grâce à l’efficacité de la mise en scène de Frankenheimer, le film place le spectateur face à une série de faits, de façon brute, mais la vérité n’est jamais aussi simple qu’elle n’y parait.
Racisme, assimilation difficile des immigrants, violence, loi du plus fort, défiance vis-à-vis des différentes figures de l’autorité… Le climat social dans lequel baignent ces jeunes n’est que le reflet de plusieurs décennies d’entassement des populations, qui mènent à un inévitable pourrissement. Reflet crédible (et pas vraiment optimiste) du New York du début des années 60, Le temps du châtiment interpelle autant qu’il inquiète quant aux conditions de vie sordides de ces communautés, qui mèneront à une escalade de la criminalité durant les décennies suivantes. Puissant, le film se pose comme un « témoin » des dysfonctionnements sociaux de l’Amérique de l’époque. Il n’est donc point étonnant que le plus gros du récit gravite autour du personnage central Hank Bell (Burt Lancaster), ambitieux assistant du procureur à qui une belle carrière judiciaire et politique est ouverte. Venu de ces quartiers difficiles, il sait pertinemment que rien n’est toujours tout noir ou tout blanc. Ainsi, malgré les pressions que l’on exerce sur lui (pour des raisons politiques, humanistes ou tout simplement par vengeance ou pour une idée de « justice »), il cherchera à faire la lumière sur l’affaire, et à déterminer où se situe la vérité, car il se rend compte qu’il est celui qui pourra, au final, décider de la vie ou de la mort de trois jeunes gens accusés du meurtre d’un portoricain aveugle.
C’est d’ailleurs avec cette scène de meurtre que John Frankenheimer choisit de plonger le spectateur au cœur de son film : la caméra est rapide, le montage nerveux, le rendu sec et percutant – malgré des plans ouvertement stylisés, le tout conservera néanmoins quasiment tout du long un aspect presque documentaire, proposant une observation clinique des faits. La musique de David Amram riche en percussions contribue également à renforcer la tonalité tendue et violente du film. Au final, et malgré quelques similitudes entretenues – peut-être volontairement – avec le 12 hommes en colère de Sidney Lumet tourné quelques années auparavant (notamment à travers l’utilisation du couteau durant la scène du procès), Le temps du châtiment s’avère un savant mélange de thriller judiciaire et d’enquête, le tout étant relevé par une pincée de mélo et un discours social des plus captivants. Une belle réussite.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Le Blu-ray du Temps du châtiment édité par Rimini Éditions, disponible depuis le 18 février dans toutes les bonnes crèmeries, est difficile à prendre en défaut : qu’il s’agisse de la qualité du master ou des suppléments, on est vraiment en présence d’une édition Haute-Définition de haute volée. L’image conserve son solide grain d’origine, absolument typique du cinéma des années 60, mais propose une définition et un piqué d’une belle précision. Le format est évidemment respecté, et le master s’avère de très bonne tenue, le noir et blanc ne faiblissant qu’en de rares occasions, certains plans étant probablement un poil plus abimés que d’autres. Côté son, c’est du très bon boulot également avec à la fois la VF et la VO proposées en DTS-HD Master Audio 2.0, claires et efficaces dans les deux cas, même si on avouera une préférence pour la version originale.
Du côté des suppléments, l’éditeur nous proposera tout d’abord de nous plonger dans un très riche livret de 28 pages, intitulé « Graine(s) de violence » et écrit non pas cette fois par Marc Toullec mais par l’excellent Christophe Chavdia. Ce dernier reviendra sur la genèse et la production du film, en partant du roman d’Evan Hunter, évoquant les différences entre ce dernier et le film de Frankenheimer, puis en explorant les différentes tensions ayant vu le jour sur le tournage, en partie liées au fait que le film était tourné sur les lieux « réels » de l’action, et en partie liées au fait que Lancaster était contractuellement « forcé » par United Artists de jouer dans le film, et que le tournage de ce dernier retardait la préparation du Prisonnier d’Alcatraz, film qui lui tenait beaucoup plus à cœur. On terminera avec un entretien avec Christian Viviani, historien du cinéma (17 minutes), qui reviendra sur la place de John Frankenheimer dans le « Nouvel Hollywood », les problèmes qu’il a rencontrés sur le tournage ou encore son rapport à la ville de New York : on apprendra par exemple qu’il devait à l’origine réaliser le film Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s), ce qui lui aurait permis de proposer une vision de la « Grosse Pomme » radicalement différente de celle habituellement proposée dans ses films.