La Roche-sur-Yon 2019 : Adults in the Room

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Adults in the Room

France, Grèce, 2019

Titre original : Adults in the Room

Réalisateur : Costa-Gavras

Scénario : Costa-Gavras, inspiré du livre de Yanis Varoufakis

Acteurs : Christos Loulis, Alexandros Bourdoumis, Ulrich Tukur, Daan Schuurmans

Distributeur : Wild Bunch Distribution

Genre : Drame historique

Durée : 2h07

Date de sortie : 6 novembre 2019

3,5/5

Vue de loin, à travers le prisme forcément réducteur des médias français et européens, qui ont tendance à s’emballer pour une actualité brûlante avant de la délaisser au profit de la prochaine attraction de la semaine, voire du jour, la crise financière et économique en Grèce a tout l’air d’être résolue. Après l’agitation autour de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême gauche il y a quelques années, le calme semble être revenu, grâce au retour aux affaires d’un parti politique qui s’évertue à appliquer sans broncher le statu quo, ainsi que les exigences des créanciers étrangers, conçues pour maintenir le pays dans l’étau d’une dette éternelle. Et pourtant, pour un bref instant, une parenthèse dans le temps que personne n’a finalement eu le courage de transformer en une opportunité en or, il aurait été possible de changer réellement les choses, les mentalités et même, peut-être, soyons fous, le cours de l’humanité ! C’est de cette occasion misérablement ratée que parle Adults in the Room, notre premier film vu au Festival de La Roche-sur-Yon, dans lequel Costa-Gavras adopte – pour le pire et surtout pour le meilleur – un point de vue férocement partisan. Car le réalisateur, qui retourne enfin dans son pays natal afin d’y produire pour la première fois l’un de ses films en plus de cinquante ans de carrière, adopte de près le point de vue de Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des finances grec, une star du rock éphémère, autant adulé que détesté par les médias, à travers le livre que celui-ci avait écrit sur ces quelques mois mouvementés. On pourrait cependant argumenter que le cœur du récit n’est guère le combat valeureux d’une nouvelle garde communiste contre un système profondément injuste, mais au contraire l’immobilisme de cet ordre du monde capitaliste, incapable de faire preuve d’une ouverture d’esprit inouï face au marasme financier grec.

© Jessica Forde / KG Production / Wild Bunch / Elle Driver / France 2 Cinéma / Odéon SA
Tous droits réservés

Synopsis : En 2015, après sept longues années d’austérité et de privations, le peuple grec élit un nouveau gouvernement, mené par les activistes d’extrême gauche Alexis Tsipras et son charismatique ministre des finances Yanis Varoufakis, un ancien professeur universitaire. Ensemble, ils espèrent mener à bien le projet colossal de la renégociation de la dette publique. Or, leurs interlocuteurs européens et internationaux ne veulent entendre parler que du respect scrupuleux des mesures draconiennes sur lesquelles ils s’étaient mis d’accord avec les gouvernements précédents. Varoufakis entreprend néanmoins une tournée à travers les capitales du continent, afin d’y chercher quelque soutien que ce soit pour ses propositions ambitieuses.

© Jessica Forde / KG Production / Wild Bunch / Elle Driver / France 2 Cinéma / Odéon SA
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La liberté encadrée par l’ordre

Sans doute la plus grande qualité du travail de Costa-Gavras est qu’il n’a jamais cherché la facilité. Ses désormais dix-neuf films ont beau être plus ou moins réussis, ils traitent pour la plupart de sujets qu’un réalisateur moins téméraire laisserait aisément de côté. Dans le cas de Adults in the Room, le simple fait de chercher à créer un film de fiction engageant à partir des réunions interminables et stériles des institutions européennes – et de surcroît de celles qui se préoccupent exclusivement du sort financier de nos marchés et de notre monnaie commune – force le respect. Le pari narratif va même encore plus loin, puisque, effectivement, la majeure partie du récit est monopolisée par ces rencontres en comités plus ou moins élargis, où les rares avancées tangibles se heurtent visiblement à toutes sortes d’obstacles procéduriers et de mentalités froissées. Bref, ce film n’a nullement vocation de vous réconcilier avec les aberrations institutionnelles de la Communauté européenne. Il en montre par contre férocement le fonctionnement ou plutôt le dysfonctionnement, tellement les intérêts opposés n’y trouvent un simulacre de consensus que grâce au flegme imperturbable de Christine Lagarde. A chaque nouveau rendez-vous, le personnage principal, conçu à tort ou à raison comme un héros idéaliste sans faille, se casse ainsi les dents contre la duplicité de Schäuble, Sapin et les autres, contre une philosophie de vie qui ressemble à s’y méprendre à la loi du plus fort dans sa variation la plus impitoyable.

© Jessica Forde / KG Production / Wild Bunch / Elle Driver / France 2 Cinéma / Odéon SA
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La volonté du peuple encadrée par des technocrates

Décortiquée depuis l’intérieur, cette situation, qui remonte à pas si longtemps et qui est appelée à se répéter, tant que la stabilité financière de la Grèce ne sera pas assurée par autre chose qu’un catalogue de restrictions étouffantes, a donc tout d’un cauchemar. Dans ses moments les plus virtuoses, la mise en scène a par ailleurs recours à un vocabulaire onirique. La première fois lors des débuts de Varoufakis devant le conseil intraitable de la Banque Centrale Européenne, avec ces chiffres qui virevoltent au-dessus du cercle infernal des fonctionnaires, une illustration sublime du maelstrom de sommes mirobolantes que plus personne ne veut, ni ne peut concevoir et encore moins payer. Puis, beaucoup plus tard dans le film, qui n’est malgré tout pas complètement exempt de maladresses formelles, comme par exemple l’emploi de la voix off du protagoniste insistant trop sur ce point de vue à la fois privilégié et subjectif, le beau château de cartes des méprises et des coups bas stratégiques s’écroule au détour d’une danse enchantée. Dans les couloirs déserts du centre névralgique de l’Europe à Bruxelles, Alexis Tsipras dans sa réincarnation fictive se perd pour mieux se retrouver, entouré des autres dirigeants au cours d’un ballet, qui symbolise assez ingénieusement à quel point ces chefs d’État doivent marcher sur des œufs pour maintenir les apparences d’une cohésion, censée rassurer et les banques, et le contribuable. Si vous vous souvenez des conséquences du référendum sur l’application des souhaits de la Troïka, il ne vous surprendra pas d’apprendre que le film ne se termine pas tout à fait sur ce moment de grâce cinématographique, mais sur des indications par voie de texte quant à l’issue déprimante des négociations, après tant de démarches de bonne volonté.

© Jessica Forde / KG Production / Wild Bunch / Elle Driver / France 2 Cinéma / Odéon SA
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Conclusion

Un début plus que réussi pour la quatrième visite de notre festival préféré en Vendée, en léger décalage avec le film d’ouverture officiel, le très probablement plus joyeux Play de Anthony Marciano ! Dans Adults in the Room, les enfantillages des hauts dignitaires de l’Europe ne prêtent point à sourire. Ils indiquent toutefois adroitement – à condition qu’on veuille bien accepter le marquage politiquement à gauche du propos – tout ce qui ne va pas dans cette structure institutionnelle malade d’un continent de moins en moins capable de faire collectivement face aux problèmes qui se posent à lui. Costa-Gavras n’y signe certes pas une grande œuvre de vieillesse, mais en tout cas un film passionnant sur les coulisses peu reluisantes des finances publiques en général, et de la tragédie grecque contemporaine en particulier, qui ne semble hélas plus émouvoir grand monde.

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