Dinard 2019 : Peterloo

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Peterloo

Royaume-Uni, 2018

Titre orignal : Peterloo

Réalisateur : Mike Leigh

Scénario : Mike Leigh

Acteurs : Rory Kinnear, Maxine Peake, Pearce Quigley, David Moorst

Distributeur : –

Genre : Drame historique

Durée : 2h34

Date de sortie : –

3,5/5

On ne savait pas le cinéma de Mike Leigh si politique. En tout cas pas à une échelle aussi épique et universelle. La politique des mœurs et d’une société prises en étau entre la vérité et le mensonge, oui, bien sûr, cela nous est bien familier, grâce à la plupart de ses films magistraux, des orfèvreries cinématographiques tout en petites touches assassines. Mais de là à s’essayer à une grande fresque historique, le pas est considérable pour un réalisateur plutôt connu pour son regard acerbe sur la société britannique contemporaine. Il l’a cependant franchi avec brio par le biais de Peterloo, un brûlot en guise de film, un festin pour les yeux sur fond de mise en question radicale de la démocratie, une œuvre maudite également puisque sa première française au Festival de Dinard se fait tardivement, après que d’autres, à Cannes et à La Rochelle, n’ont pas daigné lui donner sa chance. Ce n’est évidemment pas un film facile, aucunement mijoté à la sauce hollywoodienne que le réalisateur anglais déteste tant, déjà par rapport à sa durée conséquente et par sa structure chorale, où les discours politiques à répétition, puis le massacre à Manchester, prennent le pas sur une approche d’identification plus classique et accessible. Il s’agit néanmoins d’un film majeur, fort et brut, idéaliste et sophistiqué, un rappel plus que salutaire que beaucoup reste à faire en termes d’égalité démocratique, deux-cents ans après ce premier pas vers une prise en considération et une représentation réelle du peuple. Un film qu’il est indispensable de voir sur grand écran, afin d’en apprécier toute l’envergure épique et le projet esthétique hors pair, mais que le public français risque fortement de ne voir qu’en ligne, sur la plateforme de son producteur américain, Amazon Studios, à cause de la frilosité des principaux distributeurs français, démarchés en vain par Leigh.

© Simon Mein / Amazon Studios Tous droits réservés

Synopsis : La victoire de la bataille de Waterloo en 1815 n’en est pas vraiment une pour le peuple anglais. Pendant que les soldats épuisés doivent rentrer par leurs propres moyens au pays, le gouvernement accorde une large prime au duc de Wellington, le responsable de ce succès militaire historique. Par conséquent, les impôts augmentent, en même temps que la grogne du peuple, las de souffrir dans la misère. Dans la région de Manchester, la contestation est particulièrement marquée et bien organisée par des délégués officieux qui voient enfin l’heure d’une démocratie directe venue. Sous l’œil malveillant des autorités, ils prévoient de tenir un grand rassemblement, où le charismatique orateur Henry Hunt est censé soulever les foules.

© Simon Mein / Amazon Studios Tous droits réservés

Beau comme un tableau

Il est peu probable qu’on voie un film plus abouti cinématographiquement parlant que celui-ci pendant notre séjour à Dinard ! Et peu importe, on repartira quand même content de la Bretagne, sachant qu’on a eu le privilège de découvrir Peterloo dans des conditions quasiment idéales. Son esthétique visuelle soignée jusqu’à l’excès, où chaque plan de la première partie du film ressemble à un tableau de Vermeer, aurait déjà suffi à ravir notre âme de cinéphile. La photo de Dick Pope accomplit en effet des prouesses plastiques, qui rendent le dépaysement dans le temps et dans l’espace véritablement enivrant. Or, cette abondance de richesse formelle n’est nullement présente, afin de mieux nous gaver les sens et nous faire oublier du coup le fond plus tragique de cette époque décisive dans la constitution de la monarchie parlementaire britannique. D’ailleurs, le jeu avec la lumière et les couleurs s’opère d’une manière sensiblement moins dénaturée, une fois que les choses sérieuses ont commencé, en l’occurrence lors de la suppression dans le sang du rassemblement populaire sur St Peter’s Field. Mais là aussi, la mise en scène de Mike Leigh fait preuve d’une incroyable maîtrise de ses moyens, avare autant en flots de sang artificiel qu’en emphase exagérée. En somme, d’un point de vue formel, son treizième long-métrage est un sans faute, précisément parce qu’il sait mettre la recherche esthétique particulièrement poussée au service de son propos plus franc et direct.

© Simon Mein / Amazon Studios Tous droits réservés

Vrai comme un couperet

Et quelle utilité peut donc bien avoir un film comme Peterloo, mis à part son travail indispensable sur la mémoire collective, afin d’éviter que ces événements tombent dans l’oubli ? De nous rappeler pour commencer que le combat continue, voire qu’il est plus urgent que jamais de le mener tambour battant contre les forces obscurantistes d’aujourd’hui. Aucun parallèle concret n’est certes établi avec le présent. Mais rien que par la résonance que les différents discours doivent provoquer à l’oreille attentive, leur impact actuel se prolonge même deux siècles plus tard. Ces discours, parlons-en justement. Au cours de la première heure et demie du film, il y en a beaucoup, peut-être même trop. Sauf que leur omniprésence influe à plusieurs niveaux sur le modèle narratif du récit. D’abord, le style de l’orateur, passionné ou au contraire plus raisonnable, révèle une large partie du spectre de ces meneurs d’hommes et de femmes, des artistes de la parole dont les mots avaient pourtant couru le risque constant d’être mal compris. Puis, cette profusion de l’expression publique contraste forcément avec celle, plus confinée, expéditive et arrogante, du pouvoir en place. Parmi les dirigeants, deux exemples sont particulièrement évocateurs de cette communication irrémédiablement tombée en panne : le ministre de l’intérieur souffrant de bégaiement et le magistrat le plus virulent, à l’origine à la fois de lettres adressées à sa hiérarchie qui font bien sourire celle-ci par leur langage ampoulé et de la lecture de la loi antiémeutes, noyée dans le brouhaha de la foule. Enfin, le fait d’être d’ores et déjà familier des revendications des réformistes, grâce à leur conjugaison antérieure sous des formes multiples, rend pour le spectateur l’impossibilité de les entendre lors du grand jour de rassemblement d’autant plus percutante.

© Simon Mein / Amazon Studios Tous droits réservés

Conclusion

On ne se lassera jamais de s’extasier et de défendre le cinéma de Mike Leigh ! Peterloo a beau être une œuvre atypique dans sa filmographie par son ampleur épique et son cadre historique ancien, quoique situé au même siècle que ceux de Topsy-Turvy et de Mr. Turner, c’est néanmoins un film sachant parfaitement mettre en avant les thématiques chères au réalisateur. Le déséquilibre des forces sociales y est orchestré de main de maître, en atteignant de fait l’équilibre quasiment parfait entre une forme prodigieuse et un fond lucide sur le long chemin qu’il nous restera à parcourir, avant que tout le monde n’ait équitablement voix au chapitre.

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