Critique : Les Temps modernes

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Les Temps modernes

États-Unis, 1936

Titre original : Modern Times

Réalisateur : Charles Chaplin

Scénario : Charles Chaplin

Acteurs : Charles Chaplin, Paulette Goddard, Henry Bergman, Stanley Sandford

Distribution : Théâtre du Temple Distribution

Durée : 1h27

Genre : Comédie

Date de sortie : 10 juillet 2019 (reprise)

4,5/5

« Le génie éternel », c’est ainsi que le distributeur de l’énième ressortie des films de Charles Chaplin qualifie ce dernier. Et au delà de toute intention publicitaire, il y a quelque chose de profondément vrai dans ce nom dithyrambique. Car on a beau avoir vu et revu des dizaines de fois les chefs-d’œuvre de Charlot, on ne s’en lasse pas ! On rigole peut-être un peu moins, tellement les gags ingénieux nous paraissent désormais aller de soi. En même temps, cette familiarité nous plonge dans une sorte de transe béate, impatients de retrouver des morceaux de bravoure cinématographique que l’on connaît pourtant par cœur. Le génie de Chaplin réside ainsi précisément dans sa fraîcheur universelle, même 130 ans après la naissance du roi-rebelle du grand écran, grâce à sa vision de la condition humaine aussi innocente que désarmante. Son personnage phare, qui se définit presque plus par ses accessoires et son langage corporel que par ses attributs individuels, demeure le héros par excellence d’une société aux sujets exploités, privés de leur humanité au nom d’une valeur aussi creuse et bénigne que le progrès. Dans Les Temps modernes, un film quasiment parfait avec son enchaînement de séquences plus jubilatoires les unes que les autres, cette lutte désinvolte pour un peu de dignité passe par une quête effrénée du travail. Celle-ci s’y solde sans exception par l’exclusion du protagoniste, soit du côté d’une armée de chômeurs, soit de celui guère plus réconfortant de la prison, la case obligatoire pour chaque trublion qui se respecte.

© MK2 Diffusion / Théâtre du Temple Tous droits réservés

Synopsis : Dans une grande usine, un ouvrier travaille à la chaîne. La cadence infernale qui lui y est imposée finit par le rendre fou. Une fois sorti de l’hôpital psychiatrique, il est incarcéré par erreur en tant que communiste radical. Après avoir aidé les gardiens lors d’une tentative d’évasion, il y est traité avec beaucoup de prévenances, à tel point qu’il souhaiterait y retourner dès sa libération anticipée. L’occasion se présente, quand il croise une gamine, orpheline et séparée de ses deux jeunes sœurs, qui vient de voler du pain.

© MK2 Diffusion / Théâtre du Temple Tous droits réservés

Entre le drapeau et la brique

Après avoir goûté depuis plus d’une décennie aux privilèges d’une star hollywoodienne hors pair, Charles Chaplin ne se faisait plus trop d’illusions sur la pyramide sociale aux États-Unis. Le premier plan des Temps modernes est à ce titre plus que révélateur, avec ces moutons – tous uniformément blancs à l’exception d’un –, qui deviennent par un montage diablement efficace les ouvriers sortant de la bouche de métro pour se rendre à leur travail monotone. A partir de cette introduction passablement cynique, le réalisateur cherche pourtant à donner sa chance à cette brebis galeuse, à ce grand maladroit bien intentionné qui ne rate pas un malheureux concours de circonstances se terminant en sa défaveur. Car Charlot est au moins autant une victime involontaire qu’un héros valeureux, ses sursauts contre une misère patiemment subie ayant pour point commun d’origine l’acharnement du hasard, nullement prêt à lâcher une proie si facile. Ainsi, pratiquement toutes les mésaventures qui lui arrivent sont le fruit empoisonné de sa volonté indécrottable de bien faire : ce que l’on appellerait de nos jours son burn-out est dû au respect scrupuleux de son quota inhumain de travail, quitte à se trouver coincé, en guise de grain de sable surdimensionné, dans les entrailles d’une mécanique imposante ; il fait un premier séjour derrière les barreaux en raison de son action civique de rapporter un fanion tombé d’un camion ; sa rédemption en tant que criminel supposé commence sous l’emprise de la drogue, une instance plutôt culottée de l’humour selon Chaplin et ainsi de suite. Le récit dans son ensemble est en effet constitué de ces brèves aventures, cocasses et prodigieuses dans leur inventivité formelle, qui maintiennent invariablement Charlot tout en bas de l’échelle sociale.

© MK2 Diffusion / Théâtre du Temple Tous droits réservés

Le sommet de l’innocence subtile

Or, l’aigreur n’est pas pour autant de mise dans ce dernier film de Charles Chaplin à faire preuve encore d’un certain optimisme. Tandis que la suite de sa filmographie sera de plus en plus sombre, il laisse le périple de Charlot se terminer ici par une invitation à la bonne humeur, à savoir le sourire en toute circonstance. Au tempérament iconoclaste et sans scrupules de son pendant féminin, interprété par une Paulette Goddard plus que jamais plein d’entrain, le personnage principal répond par un idéalisme à deux doigts de la niaiserie, si ce n’était pour la force comique redoutable avec laquelle le statu quo est sans cesse mis en question. Le courage candide de Charlot ne relève alors point d’une ambition existentielle clairement définie, puisque même le foyer petit-bourgeois imaginé en chœur avec la gamine reste une chimère inatteignable, mais de la nécessité parfois cruelle d’amortir la chute, voire de se lever à nouveau après chaque coup bas du destin. Qu’après tant de revers, le petit vagabond garde toujours le moral, que l’improvisation et la résilience sont ses meilleurs alliés pour subsister dans une société qui ne lui veut que du mal, c’est peut-être cela la recette miraculeuse et assurément intemporelle du monde réimaginé avec une pointe d’ironie par Charles Chaplin, dont Les Temps modernes demeure l’un des exemples les plus passionnants !

© MK2 Diffusion / Théâtre du Temple Tous droits réservés

Conclusion

C’était une formidable piqûre de rappel du génie indiscutable de Charles Chaplin que ces retrouvailles estivales avec Les Temps modernes ! Face à un véritable feu d’artifice de séquences d’anthologie, entre la première partie à l’usine et son combat perdu d’avance entre l’homme et la machine jusqu’à la chanson sans manchettes, en passant par la poudre blanche et un thé pas vraiment bon pour la digestion en prison, la cabane bancale au bord de l’eau ou encore des acrobaties insensées dans le grand magasin, c’est toutefois l’incroyable cohérence du projet filmique et philosophique dans son ensemble qui nous a une fois de plus subjugués, voire qui saura nous conquérir tant que nous irons au cinéma !

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