Critique : The Operative

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The Operative

Allemagne, Israël, France, 2019

Titre original : The Operative

Réalisateur : Yuval Adler

Scénario : Yuval Adler, d’après un roman de Yiftach Reicher Atir

Acteurs : Diane Kruger, Martin Freeman, Cas Anvar, Johanan Herson

Distribution : Le Pacte

Durée : 1h57

Genre : Espionnage

Date de sortie : 24 juillet 2019

3/5

Dans le monde de l’espionnage, les exploits de James Bond relèvent de la fiction pure et dure. En réalité, le quotidien des espions internationaux n’est point ponctué par des scènes d’action plus spectaculaires et meurtrières les unes que les autres, mais au contraire par une récolte d’informations lente et fastidieuse. Le genre de travail, en somme, qui ne se prête pas nécessairement à une représentation passionnante. Avec son deuxième film, le réalisateur israélien Yuval Adler réussit néanmoins en toute sobriété à nous faire adhérer aux derniers soubresauts d’une mission en terrain miné. Ainsi, The Operative s’aventure moins du côté de la mise en abîme des grands enjeux géopolitiques au Proche-Orient, que de celui des petits rouages, humains et donc susceptibles de faillir, de l’appareil du renseignement, justement conçu pour ne pas laisser entraver sa vocation par ces états d’âme, sans conséquences dans le tableau global de la guerre à l’ombre. Dans cet anti-James Bond par excellence, Diane Kruger en espionne de moins en moins prévisible et Martin Freeman en bureaucratie faite homme, si ce n’était pour un ultime soupçon de scrupules et de loyauté envers son poulain, remplissent de façon convaincante des rôles, qui auraient facilement pu dévier soit vers la caricature sommaire, soit vers la fadeur consensuelle.

© Kolja Brandt / Le Pacte Tous droits réservés

Synopsis : Écarté depuis un certain temps des affaires, l’ancien responsable du Mossad Thomas est contacté par Rachel, qu’il avait recrutée avant de superviser sa mission en Iran. Par codes opérationnels interposés, elle lui demande de l’extraire du pays ennemi et de l’aider à décrocher de ce métier auquel elle ne croit plus. Convoqué immédiatement par la cellule européenne des services secrets israéliens, Thomas se rappelle alors les étapes de la carrière en vitesse accélérée de cette femme, désormais devenue un risque pour ses anciens employeurs.

© Kolja Brandt / Le Pacte Tous droits réservés

Pièces rapportées

La mise en place de la tension peut paraître un peu trop calculée, dès la première séquence de The Operative. La caméra y accompagne Thomas tout au long de son footing matinal, une activité sportive qui peut se solder par toutes sortes de désagréments comme nous le rappelle notre mémoire de cinéphile, encore plutôt vive par rapport au magnifique prologue de Birth de Jonathan Glazer. Or, cette entrée en la matière des facettes sombres du monde de l’espionnage à la fin des années 2000 donne le ton à un récit, qui procède précisément par voie d’une astucieuse alternance entre des moments de tension ponctuels et des rencontres plus banales. Ces dernières ne sont pas seulement plus représentatives du travail au jour le jour des agents de terrain, elles instaurent en même temps un rythme presque conversationnel au sein de l’intrigue. On parle donc beaucoup dans ce film, mais pour dire quoi au juste ? Que les mots ne suffisent pas pour rendre compte avec sincérité du prix que coûte l’activité d’espion ordinaire à ces hommes et à ces femmes, sans cesse confrontés à des dilemmes moraux dont seul un robot doté d’une intelligence artificielle sortirait indemne. En attendant ce jour prochain des guerres larvées menées exclusivement par des drones, il appartient à Rachel et ses confrères de prendre en toute autonomie solitaire des décisions de vie ou de mort, de faire preuve d’abnégation personnelle en faveur d’une cause dont les contours deviennent de plus en plus flous, au fur et à mesure que la narration nous permet d’assembler les pièces du puzzle.

© Kolja Brandt / Le Pacte Tous droits réservés

Le secret comme seconde nature

Car Yuval Adler ne se contente pas ici de priver l’univers des services secrets de son aura mythique, faite de complots tonitruants et de jeux machiavéliques à trois bandes. Il orchestre l’histoire selon un va-et-vient dans le temps, servant moins à brouiller artificiellement les pistes qu’à symboliser la perte de repères existentiels dont le personnage principal tombe victime, une fois qu’il aura atteint le plafond de verre qui l’empêchera de prendre réellement part à l’action. Pour revenir à l’image du rouage, dispensable dès qu’il aura rempli sa fonction, Rachel en est l’incarnation parfaitement tragique. Elle se croit plus maligne que ses supérieurs, jusqu’au moment où un enchaînement de missions humiliantes lui rappelle douloureusement la marge de manœuvre réduite dont elle dispose. S’engage alors un jeu du chat et de la souris dont strictement personne ne sortira vainqueur, ni l’agent en roue libre aux vestiges d’innocence aussi attachants que périlleux, ni l’appareil administratif qui avance tel un rouleau compresseur, sans se soucier des dégâts collatéraux engendrés par cette stratégie musclée. Cependant, la mise en scène se garde bien de céder à un manichéisme facile. Grâce au regard nuancé qu’elle porte sur ce microcosme sans code d’honneur manifeste, elle peut se défendre contre toute accusation de complaisance, voire de partialité à l’égard d’un contexte géopolitique plus que jamais brûlant aujourd’hui.

© Kolja Brandt / Le Pacte Tous droits réservés

Conclusion

Le pari n’était pas gagné d’avance de tourner un film sur un agent israélien infiltré en Iran, qui se découvre une conscience sur le tard. Présenté hors compétition au dernier Festival de Berlin, The Operative avait de surcroît l’apparence d’une co-production au prestige et au propos douteux. Finalement, Yuval Adler s’est acquitté plus que convenablement de la tâche d’en faire un film d’espionnage subtilement haletant, au croisement du spectacle fictif et d’une approche plus proche de la réalité peu glorieuse du travail clandestin, auquel nous devons le maintien de notre statu quo fragile.

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