Critique : Visages villages

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Visages villages

France, 2017

Titre original : –

Réalisateurs : Agnès Varda et JR

Scénario : Agnès Varda et JR

Distribution : Le Pacte

Durée : 1h29

Genre : Documentaire

Date de sortie : 28 juin 2017

3,5/5

Agnès Varda nous manque. Plus important que ce deuil personnel, qui finira tôt ou tard par disparaître, c’est que son don exceptionnel pour la curiosité et la conciliation dans ce qu’elles ont de plus simple manquera amèrement au cinéma français, traditionnellement retranché dans des clivages entre le commerce et l’art, le populisme et la prétention. Rien de tel chez l’immense Agnès ! Elle est certes petite de taille et bien consciente de l’être. Mais elle dispose d’une si grande ouverture d’esprit et générosité qu’elle n’a pas honte de commencer son dernier documentaire sorti au cinéma par la longue liste de ceux et celles qui ont contribué par leur implication dans le financement participatif à donner le coup d’envoi à Visages villages. Aussi n’a-t-elle pas peur de se laisser porter au gré du vent – tant qu’il ne souffle pas trop fort sur la côte – et des rencontres dans un projet commun artistique aux délimitations aussi floues que la vision de la réalisatrice presque nonagénaire. Car pour une fois, elle n’est pas seule aux commandes dans son vagabondage à travers les coins les moins touristiquement attrayants de l’Hexagone. A ses côtés, un petit jeune, qui pourrait presque être son petit-fils au niveau générationnel, mais qui paraît plus engagé dans une démarche complémentaire que directement intéressé de prendre l’univers de Agnès Varda en héritage. L’artiste JR, avec son parler moqueur et ses travaux artistiques qui relèvent autant de la photographie que de la construction éphémère, fait finalement bon ménage avec le mythe Varda, bousculé sans la moindre méchanceté ou rivalité dans ses habitudes et son penchant pour la nostalgie dans ce qu’elle a de plus noble.

© 2016 Agnès Varda / JR / Ciné-Tamaris / Social Animals Tous droits réservés

Synopsis : Ils ne se sont pas rencontrés sur la route, chez le boulanger ou à l’arrêt de bus. La réalisatrice Agnès Varda et l’artiste-photographe JR avaient simplement envie de faire un film ensemble. A bord du camion qui sert de laboratoire ambulant à JR, ils se sont mis en route vers la France des petits villages et du monde rural, des stations balnéaires et des grands ports. Toujours en quête d’hommes et de femmes prêts soit à poser devant leur objectif, soit de voir leurs portraits énormes de groupes de travailleurs, d’hier et d’aujourd’hui, de paysans et de femmes de dockers, de têtes de chèvres et de pieds d’Agnès Varda, embellir leurs murs et autres châteaux d’eau et bunkers échoués sur la plage.

© 2016 Agnès Varda / JR / Ciné-Tamaris / Social Animals Tous droits réservés

Réimaginer notre belle France

Ce qui fait depuis longtemps la qualité inestimable du cinéma de Agnès Varda et qui devrait lui assurer, espérons-le, une longévité conséquente, c’est la façon désarmante avec laquelle la réalisatrice traite ses sujets d’une banalité assumée. Dans Visages villages, ce sont une fois de plus des personnes, des lieux et des objets tout droit sortis de la vie quotidienne qui occupent le devant de la scène, rendus intéressants, voire importants grâce à son regard doucement valorisant. Le malaise de ses sujets devant la caméra y est parfois palpable et même ouvertement exprimé. Pourtant, tout un chacun se prête à la pose, naturelle et au pire enrichie de quelques accessoires glanés par ci, par là, devant la double mise en abîme des viseurs opérés par les deux co-réalisateurs. La notion du cliché éphémère, du portrait qui ne résistera pas à l’épreuve du temps et dans un cas précis même pas à la prochaine marée, y est omniprésente, au carrefour prodigieux entre le travail de JR, nullement ému que ses œuvres disparaissent aussi vite qu’elles ont été créées et installées, et celui de Agnès Varda, dont le credo documentaire repose justement sur sa volonté d’enregistrer le frottement entre les époques et les influences, sociales et culturelles, diverses et variées, que chacun d’entre nous porte en soi. Le choix des lieux de tournage peut ainsi paraître arbitraire, mais il épouse intimement la force du hasard, sous le signe duquel la réalisatrice admet avoir posé sa filmographie toute entière.

© 2016 Agnès Varda / JR / Ciné-Tamaris / Social Animals Tous droits réservés

D’innombrables moments de paix

Néanmoins, aucun flottement narratif ne vient sérieusement dévier le récit d’une balade entre amis. Bien au contraire, il existe une certaine logique – et une fois de plus une grande élégance des transitions – dans ce cheminement entre les coins les plus paumés de la province et le Louvre, entre les compositions de containers au Havre et la rue Daguerre à Paris. Toutes ces voies ne convergent pas nécessairement vers le rendez-vous final manqué avec cette « peau de chien » Jean-Luc Godard. Elles s’inscrivent plutôt dans un tâtonnement sublime, une merveilleuse faculté de s’émerveiller encore et toujours, même à 88 piges, devant les belles choses, petites et devenues grandes par l’intermédiaire du mode opératoire de JR, que la vie nous réserve. Les attaches n’y importent pas davantage que le mérite social, puisque ce monde filmique est intégralement fondé sur la célébration de la singularité passagère. L’instant présent capté sans autre subterfuge que son appréciation lucide, c’est cela qui a toujours fait la force et le courage créatif de Agnès Varda. Elle y persévère sans sourciller et sans céder non plus à la tentation du chant de cygne auto-référentiel. Le tandem improbable qu’elle forme avec le désinvolte JR nous réserve au contraire de brèves séquences pleines de tendresse, comme cette manière de marcher côte à côte, visiblement mal assorti et cependant un appui précieux l’un pour l’autre. Enfin, l’instant où l’anticipation mortuaire aurait pu devenir la plus pesante, sur la tombe de Henri Cartier-Bresson dans un minuscule cimetière enchanté, reste très sobre par son balancement, ici et ailleurs, entre la banalité et la solennité dans leurs états respectifs les plus épurés.

© 2016 Agnès Varda / JR / Ciné-Tamaris / Social Animals Tous droits réservés

Conclusion

Il nous aura fallu du temps pour rattraper Visages villages, le dernier grand documentaire de Agnès Varda. C’est désormais chose faite, quelques semaines à peine après le décès de la réalisatrice, en guise d’hommage à cette cinéaste hors pair. La contribution de JR en fait un film hybride, moins centré sur la personnalité de Varda que l’a été par exemple Les Plages d’Agnès. Et pourtant, ce passage de relais informel entre la vieille garde et un artiste contemporain contient pratiquement tout ce que nous trouvons profondément passionnant chez l’irremplaçable Agnès Varda !

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