Test Blu-ray : Trois femmes

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Trois femmes

 
États-Unis : 1977
Titre original : 3 Women
Réalisation : Robert Altman
Scénario : Robert Altman
Acteurs : Shelley Duvall, Sissy Spacek, Janice Rule
Éditeur : Wild Side Vidéo
Durée : 2h04
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 25 mai 1977
Date de sortie DVD/BR : 8 mai 2019

 

Pinky, une jeune Texane de 18 ans, est engagée dans un sanatorium du désert californien. Elle y rencontre Millie, modèle de féminité en perpétuelle quête de perfection et de reconnaissance sociale, qui lui enseigne les ficelles du métier d’aide-soignante, l’invite à emménager dans son appartement et lui présente Willie, une mystérieuse artiste peintre. Fascination, répulsion, emprise, usurpation… De leur singularité va se tisser un lien vénéneux. Ces trois femmes en surface si différentes pourraient bien se rapprocher jusqu’à la folie…

 


 

Le film

[4/5]

Pinky Rose débarque, venue d’on ne sait où, dans un spa pour personnes âgées. Jeune rousse fragile physiquement et psychologiquement, elle est guidée pour son premier jour par Millie Lammoreaux, épaisse comme une brindille, qui semble exercer une fascination trop rapide sur elle. Pinky Rose, oxymore à la fois dans son nom et dans son rapport avec celle qu’elle semble avoir choisi pour se forger une personnalité. Mauvais choix ?

Dans son autobiographie « Altman on Altman », série d’entretiens passionnants avec David Thompson, il décrit l’héroïne de Trois femmes, Pinky, comme pouvant être une extra-terrestre arrivant sur notre planète et qui pour se fondre dans la foule déciderait de voler une personnalité au hasard. Manque de bol, elle choisit ce modèle qui se révèle très vite bien peu intégrée à ses contemporains. Tentative de vol d’identité par une criminelle en fuite ou enfant perdue dans un monde trop grand pour elle ? Pinky ne se révèle pas beaucoup et ce ne sont pas ses parents très âgés qui apporteront une réponse à ce mystère. Sissy Spacek joue avec son emploi de ses premières années de comédienne, celui de la femme-enfant, entre le repoussoir et une attirance trouble, Carrie au bal du diable en étant le jalon. Elle est impressionnante de fragilité d’abord, de dureté implacable ensuite.

Deuxième femme de cet étrange récit, Millie est interprétée par Shelley Duvall (alias Olive dans sa version de Popeye) dont le physique si unique enrichit l’étrangeté de celle qui peine à s’intégrer. Elle ne s’attire que railleries et moqueries de la part de ses collègues, des médecins auprès desquels elle s’impose à l’hôpital où elle déjeune ou de ses voisins dans le motel où elle réside et qui se moquent d’elle, alors qu’elle est à portée de voix, et qui la surnomment avec cruauté « Thoroughly Modern Millie ». Persuadée d’être importante, de faire preuve d’un grand style dans sa cuisine et dans son art de la décoration d’intérieur bien trop jaune, se rend-elle compte de l’effet qu’elle produit, avec ses remarques qui tombent à plat et sa folie des grandeurs ? « Je suis mondialement connue pour ma cuisine » croit-elle, mais des Pringles à la crème de gruyère en pot pour charmer les invités, vraiment ? Son voisin Tom fait semblant d’être enrhumé pour calmer ses ardeurs mais ne se cache pas vraiment de ce subterfuge. Présente comme un fantôme, elle parle à des gens qui ne l’écoutent pas ou la méprisent. Malgré sa maladresse, c’est elle qui fait naître les émotions les plus fortes avec sa tristesse profonde et son aveuglement. Elle est la plus humaine de ce récit dur, comme le montre une scène terrible d’accouchement, dure, pénible, encore plus intense par le regard choqué de la comédienne au visage si expressif. La discussion sur les prénoms fait naître un doute : serait-ce une forme de schizophrénie, s’invente-t-elle une amie invisible ? Qui est vraiment Pinky Rose ? Aucune des deux « amies » ne semble assumer ce prénom de roman, Mildred.

La troisième femme est cette femme enceinte propriétaire du motel où séjournent les deux Mildred, et dont le mari est un ancien « doubleur de stars ». Elle reste encore plus une énigme et il n’est pas étonnant que leurs singularités respectives les unissent. Elle est interprétée par Janice Rule (Merle Kittridge dans L’adorable voisine), qui était habituée à un univers hollywoodien plus « normal » que cette œuvre bien étrange, et sa discrétion lui permet de se glisser dans le duel de ses pensionnaires, mais en restant à la marge. Robert Atman évite ainsi de rajouter de l’étrange inutile à ce qui l’est déjà suffisamment.

Un travail magnifique est effectué sur l’aspect visuel. Millie vit entourée de jaune que l’on retrouve partout, dans son appartement, le lit, les verres, les vêtements qu’elle porte, sa voiture, son sac, jusqu’à la teinte discrète donnée au film pour refléter la dominante du désert dans lequel évoluent ces personnages. La décoratrice/costumière Scott Bushnell, et coproductrice d’une vingtaine des films d’Altman, a créé ces costumes et est en grande partie l’auteur de l’aspect graphique du film, avec le décorateur James Vance. C’est une réalité déformée que filme Altman, qui met ainsi en valeur la force de ces esprits tourmentés qui vivent dans un décor de cinéma, dans une ambiance fantomatique. Le mari de la troisième femme est un ancien doubleur de vedettes de westerns mais n’est lui-même qu’un vestige. Robert Fortier, présent dans la série télé The troubleshooters du cinéaste, apporte une mélancolie inattendue à un autre personnage bien triste.

Trois femmes est certainement le film le plus libre et le plus expérimental mis en scène par Robert Altman, avec peut-être Images, tourné dans cette période troublante de son cinéma, où il évitait les intrigues solides, avec plus ou moins de réussite, mais avec une quête de qualité parfois innovante. Les intrigues étaient limitées au strict minimum, permettant ainsi une ambiance hypnotisante, comme c’est très nettement le cas ici. Le plus tardif Company s’inscrit également en partie dans ce registre mais est plus réaliste, comme un documentaire, justifiant ainsi un récit quasi invisible. Trois femmes est bien plus étrange et il se permet des libertés narratives jusqu’au dénouement troublant, qui confirme l’atmosphère de cauchemar éveillé qu’il nous fait partager. Cette folie généralisée pourrait sonner faux mais cette invitation au rêve déformé est magnifique, avec même de drôles de jumelles bien maléfiques et une musique envoûtante et irréelle de Gerald Busby. À noter dans le rôle du père endormi de Pinky, le réalisateur John Cromwell (père de l’acteur James) qui sera également présent dans Un mariage en prêtre dur d’oreille. Un sacré tempérament d’acteur…

Critique de notre rédacteur en chef Pascal le Duff.

 

 

Le Blu-ray

[5/5]

C’est sous les couleurs de Wild Side Vidéo que nous parvient aujourd’hui le Blu-ray de Trois femmes, et les amoureux du film ayant déjà investi dans l’édition britannique éditée par Arrow en 2015 seront en terrain connu concernant le rendu visuel proposé par l’éditeur, puisque le master utilisé par Wild Side semble être exactement le même : le film est proposé en 1080p et au format 2.35 respecté, l’image est stable et plutôt propre, la granulation d’origine est parfaitement respectée et le piqué s’avère d’une parfaite précision. Les couleurs sont éclatantes, mais les contrastes, voire même l’étalonnage, qui pousse à fond les teintes de jaunes, pourra peut-être surprendre le spectateur, même s’il s’agit probablement là d’une volonté artistique – on avait déjà constaté cela lors de notre découverte du film en salles. Niveau son, VO et VF d’origine sont proposées dans des mixages DTS-HD Master Audio 1.0 globalement solides, qui présentent un bon équilibre entre les dialogues et la musique ; on repère un léger souffle sur la VO, peut-être un peu moins perceptible sur la version française, mais cette dernière est un peu moins ample que sa grande sœur, et parait par moments un peu étouffée.

Côté suppléments, l’éditeur fait à nouveau très fort avec une luxueuse édition Digibook nous proposant une visuel de toute beauté – retranscrivant parfaitement l’étrangeté du film – qui s’accompagnera, comme souvent avec Wild Side, d’un livret de 60 pages intitulé « Je est un autre » et signé par Frédéric Albert Levy, ancien de Starfix et grand habitué des suppléments DVD / Blu-ray en France depuis quelques années. Il y reviendra sur le film et sur sa symbolique, sur les actrices et la notion de « féminisme » au cœur de l’œuvre. Il terminera par ailleurs avec un chapitre dédié au sous-titrage du film. Très intéressant !

Sur le Blu-ray à proprement parler, on trouvera un entretien avec Diane Arnaud, enseignante et chercheuse en cinéma, qui reviendra pendant une quarantaine de minutes sur le cinéma de Robert Altman, sur la place de Trois femmes dans sa carrière, ainsi que sur l’aspect profondément « onirique » du film.

 

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