Albi 2018 : Girl

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Girl

Belgique, 2018
Titre original : Girl
Réalisateur : Lukas Dhont
Scénario : Lukas Dhont & Angelo Tijssens
Acteurs : Victor Polster, Arieh Worthalter, Oliver Bodart, Tijmen Govaerts
Distribution : Diaphana Distribution
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 10 octobre 2018

Note : 3/5

D’un point de vue purement médical, changer de sexe devient petit à petit anodin, grâce à une intervention chirurgicale, accompagnée d’un traitement hormonal, qui n’ont plus de secrets pour les spécialistes. Or, le seul progrès de la science ne suffira jamais à dédramatiser la communauté transgenre, à en faire une banalité sociale en lieu et place de l’attraction de foire que les hommes et les femmes ayant franchi ce pas décisif restent hélas jusqu’à ce jour. Les aspects pénibles de la transition sont en effet légion, à partir de la difficulté de faire accepter ce choix – qui n’en est pas vraiment un – à son entourage jusqu’à la quête d’une tolérance plus grande, souvent espérée en vain, dans l’espace public, en passant par sa propre image, jamais tout à fait conforme à l’idéal de genre auquel il / elle avait osé aspirer. Girl, Caméra d’or du Meilleur Premier film au dernier Festival de Cannes et passé en séance de rattrapage au Festival d’Albi, traite sans ménagement de ce dernier point : le profond malaise existentiel que peuvent déclencher les aléas de ce changement majeur, pourtant né dans ce cas-ci sous une bonne étoile. Le film de Lukas Dhont y parvient brillamment, en restant extrêmement près aux côtés de son personnage principal, une future ballerine qui éprouve toutefois de plus en plus de mal à concilier ses exigences sportives et le prix à payer pour se débarrasser de ses attributs masculins. Car être transgenre n’est pour personne une occupation à plein temps, c’est juste le désir impossible à contenir d’être bien dans son corps et dans son esprit, peu importe comment on est né !

Synopsis : Lara rêve de devenir une danseuse étoile. En même temps, elle a décidé, avec l’accord de son père, de devenir définitivement une fille. Alors que sa cure hormonale ne doit pas tarder à commencer, elle est acceptée à l’essai pendant huit semaines à l’une des meilleures écoles de danse de Belgique. Son entraînement très dur, au cours duquel elle devra apprendre à danser sur la pointe des pieds comme ses nouvelles camarades de classe, et les incertitudes par rapport à son changement d’identité finiront par l’épuiser profondément.

Chaque jour une femme nouvelle

Dans un contexte social et moral en Europe – ne parlons pas des pays moins progressistes à ce sujet, par peur de tomber en dépression –, où être transgenre ne signifie en rien de mener la vie en rose, Girl fait preuve d’un certain optimisme. Lara, anciennement Victor, a ainsi toutes les chances de son côté pour réussir ce qui pour beaucoup d’adolescents dans une situation semblable relève de l’impossible : son père la soutient de tout cœur – la véritable révélation du film, c’est lui, interprété d’une façon particulièrement désarmante par Arieh Worthalter –, son encadrement médical et psychologique sont des plus consciencieux et elle n’a pas à se cacher outre mesure dans son long cheminement vers la féminité. Assez réfractaire à quelque charge polémique que ce soit, le récit fait principalement office d’accompagnement au fil des trois pôles de certitude et de réconfort que devraient être pour Lara son foyer, son école et les cabinets de médecins, dans lesquels elle se rend avec une anticipation joyeuse, tant que la procédure suit son cours préétabli. Ce n’est pas tout à fait un conte de fées sur comment s’épanouir à chaque étape de sa transition, mais presque, jusqu’à ce que ce beau monde malheureusement si peu commun montre ses premières fissures.

Sur la bonne route

Désormais, le sourire jusque là si rayonnant sur le visage de Victor Polster, tout aussi convaincant dans un rôle aux fortes exigences physiques et mentales, se crispe. Les séquelles de l’effort surhumain que lui demande sa double ambition, dans les studios de l’école de danse et sur les tables d’injection des hôpitaux, s’affichent au grand jour. L’immense pudeur avec laquelle la narration a suivi depuis le début de Girl le personnage dans son calvaire ne fait alors toujours pas défaut. Bien au contraire, elle s’accentue au fur et à mesure que Lara se heurte violemment aux obstacles de toutes sortes, tels que les pieds ensanglantés qui lâchent, les copines qui la provoquent dans les derniers retranchements de sa différence et en ultime ressort le père, impuissant dans ses tentatives successives de renouer avec l’entente intime, qui rendait auparavant leur relation si touchante. Pendant longtemps, la tragédie se lit seulement dans les traits tirés des uns et des autres ou dans l’horreur sourde reflétée dans les yeux de Lara après ses premiers rapports sexuels. La gêne profonde, provoquée autant par le sujet délicat du film que par l’injustice flagrante qui l’entoure dans la vie réelle, n’éclate qu’assez tardivement dans un acte de désespoir absolu. A moins que Lara, à la fin de sa trajectoire finement édifiante, ait simplement eu marre d’attendre que tout soit prêt pour lui permettre d’assumer sa véritable identité.

Conclusion

Jusqu’à nouvel ordre, l’identité transgenre reste le dernier grand tabou dans notre civilisation, qui a néanmoins fait d’énormes progrès ces dernières décennies en termes d’acceptation ou au moins de tolérance à l’égard de la communauté homosexuelle par exemple. Peut-être un jour, le fait de changer de sexe n’aura plus rien d’exceptionnel et n’invitera plus les énergumènes les moins sensibles à une avalanche de railleries immondes, voire à des actes de discrimination proprement barbares. Girl est le film à peu près idéal pour participer activement à cette dédiabolisation urgentissime, puisqu’il sait évoquer sans fard, ni pathos inutile, une histoire hautement émouvante.

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