Albi 2018 : Qui a tué Lady Winsley ?

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Qui a tué Lady Winsley ?

France, Turquie, Belgique, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Hiner Saleem
Scénario : Véronique Wüthrich, Hiner Saleem & Thomas Bidegain
Acteurs : Mehmet Kurtulus, Ezgi Mola, Ergün Kuyucu
Distribution : Memento Films
Durée : 1h30
Genre : Policier
Date de sortie : 2 janvier 2019

Note : 3/5

Les meilleurs policiers sont ceux pour qui l’identité de l’assassin est secondaire, où le chemin parcouru avant d’arriver à la grande révélation finale importe plus que le petit jeu de devinette par procuration, auquel le détective dans l’âme qu’on est malgré tout se prête trop facilement. Présenté en avant-première au Festival d’Albi, Qui a tué Lady Winsley ? est de ceux-là. On y voit certes un cadavre et, in extremis, le vilain assassin n’échappera pas à son juste sort, mais sinon, le réalisateur kurde Hiner Saleem y met l’accent sur une variété de sujets, en alternance rocambolesques ou plus sérieux. L’instabilité volontaire du ton constitue d’ailleurs la plus grande qualité du film, capable de faire suivre à des moments de mélancolie aiguë des événements d’une absurdité presque hilarante. Les mythes du polar y sont respectés à la lettre, en l’occurrence celui de l’enquêteur solitaire arrivant dans un microcosme sectaire au sein duquel il ne pourra compter que sur son instinct redoutable pour déjouer l’hostilité ambiante. Mais en même temps, rien ne s’y passe exactement comme prévu ou plutôt le coloris local fait en sorte que cette affaire en apparence sordide dévie sans cesse sur quelque chose de plus désinvolte. Ainsi, la question épineuse des Kurdes en Turquie a beau y être évoquée à plusieurs reprises, le onzième film du réalisateur enveloppe ses revendications dans un habillage filmique haut en couleur et par conséquent amplement divertissant.

Synopsis : La romancière américaine Lady Winsley a été assassinée dans sa villa, située dans la petite ville balnéaire de Yeniköy, au large d’Istanbul. L’inspecteur Fergan est dépêché sur place, afin de conduire l’enquête sans créer d’incident diplomatique. Dès son arrivée, le fonctionnaire de police s’étonne que les interrogatoires des principaux suspects ont d’ores et déjà été effectués par les forces de l’ordre locales. Pire encore, ses propres méthodes, basées sur des analyses pointues des échantillons d’ADN prélevés sur les habitants de l’île ayant fréquenté la victime, ne font qu’épaissir le mystère autour de sa mort. En dépit de l’assistance plus ou moins vigoureuse de la tenancière de son auberge Azra et de la seule infirmière du coin, Fergan devra redoubler d’efforts pour débusquer l’assassin.

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Qui a tué Lady Winsley ? est tout sauf une plongée réaliste dans les tensions sociales et culturelles qui agitent ces temps-ci la Turquie. Le film n’évolue pas dans une bulle, coupée du monde et exclusivement redevable envers le talent visuel et narratif de son réalisateur. Les effets de mise en scène y sont tout de même assez prononcés pour créer un décalage infranchissable entre la fiction et la réalité, entre ce huis clos peuplé de personnages invraisemblables et les bribes de mise en cause politique née d’un malaise périphérique. Ce qui n’aurait pu être qu’un choc des cultures caricatural, voire tendancieux, avec d’un côté l’Amérique et ses sbires instruits et de l’autre la population consanguine de l’île plus ou moins atteinte dans son intégrité intellectuelle, s’avère en fin de compte être un tableau infiniment plus complexe dans le regard qu’il porte sur ces communautés diamétralement opposées. L’inspecteur Fergan, pour commencer, n’a pas grand-chose d’un Hercule Poirot ou d’un inspecteur Columbo. Il avance à tâtons, en s’appuyant souvent à tort sur les ressources locales, nullement adaptées à l’examen de pareil fait divers sanglant. Au détail près que la pauvre victime, en quelque sorte une consœur insoupçonnée du super-flic venu du continent, et son destin funeste passent progressivement à l’arrière-plan, laissant libre cours au chaos mi-burlesque, mi-grotesque dans lequel la bande de suspects au nombre extensible à volonté s’engouffre par elle-même. Le protagoniste peut alors se poser à loisir des questions sur sa propre identité et même bénéficier d’une parenthèse romantique, amenée avec la même aisance dramatique que le reste de cette histoire, qui a l’air de partir dans tous les sens, mais dont Hiner Saleem reste toujours le maître incontesté.

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Ce qui n’est pas une mince affaire, vu le nombre de digressions qu’il s’autorise au fil d’une intrigue, qui perd rapidement son aspect sensationnel pour mieux aménager une pléthore de chemins de traverse rarement amenés jusqu’à leur destination. En éternel apprenti sorcier du cinéma, Hiner Saleem y tente énormément de choses, mais ne se soucie pas plus que ça de leur accomplissement en bonne et due forme. Ainsi, l’agression en pleine nuit de l’inspecteur, à cet instant plus ostracisé que jamais, par des cavaliers venus de nulle part n’aura pas davantage de suite que les étapes hachées de l’enquête, à dessein sans queue, ni tête. L’évocation d’une atmosphère, basée sur un mélange saisissant de paranoïa, de xénophobie et de solidarité vaguement familiale et néanmoins guère dépourvue d’humour, réussit par conséquent bien plus au réalisateur que le respect rigoureux d’une quelconque logique criminelle. L’amalgame que l’on peut faire parmi ces autochtones empressés d’en finir avec tout signe d’ingérence venue de l’extérieur ne participe sans doute pas par hasard de l’impression d’une adversité tentaculaire, face à laquelle le personnage principal n’est pas le seul à perdre pied. Car l’entreprise d’hypnose consentante entre le film et le spectateur se traduit ici par la relecture fascinante de passages obligés du genre policier, dépoussiérés grâce au talent d’un réalisateur espiègle, pourtant parfaitement conscient du rôle de passeur entre la culture kurde et le reste du monde qu’il accepte avec une grande lucidité depuis vingt ans déjà.

Conclusion

Il est toujours fort agréable de commencer un festival avec un film polyvalent, c’est-à-dire capable de nous faire réfléchir et, simultanément, de nous divertir, sans que l’on ne voie non plus de trop près les rouages de la magie cinématographique y opérer. Qui a tué Lady Winsley ? correspond aisément à ces critères, grâce à sa facture loufoque, jamais sûre de rien, si ce n’est la nécessité d’explorer encore et encore la relation conflictuelle entre les peuples kurde et turc. Soyez toutefois rassurés, il ne s’agit en aucun cas d’un film à thèses, mais au contraire d’une jolie farce au fond subtilement plus grave.

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