Critique : Yomeddine

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Yomeddine

Egypte : 2018
Titre original :
Réalisation : A. B. Shawky
Scénario : A. B. Shawky
Interprètes : Rady Gamal, Ahmed Abdelhafiz, Shahira Fahmy
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h37
Genre : drame, aventure, comédie
Date de sortie : 21 novembre 2018

4/5

Né au Caire il y a 33 ans, A.B. Shawky est égyptien par son père et autrichien par sa mère. Une mère cinéphile qui lui a fait découvrir le cinéma indépendant, en particulier le cinéma iranien. Cela l’a conduit à étudier le cinéma, en Egypte d’abord, puis à New-York. Il y a 10 ans, la réalisation de son premier film, un documentaire de 15 minutes, l’avait conduit dans une léproserie située à deux heures de route au nord du Caire. Les rencontres qu’il a faites lors de ce tournage lui ont donné l’idée de consacrer son premier long métrage de fiction aux opprimés, aux exclus, à des gens qui, malgré tout, arrivent à s’en sortir. On peut parier que lorsqu’il a commencé à penser à ce film, il n’imaginait pas concourir un jour à la Palme d’or du Festival de Cannes …

Synopsis : Beshay, lépreux aujourd’hui guéri, n’avait jamais quitté depuis l’enfance sa léproserie, dans le désert égyptien. Après la disparition de son épouse, il décide pour la première fois de partir à la recherche de ses racines, ses pauvres possessions entassées sur une charrette tirée par son âne.
Vite rejoint par un orphelin nubien qu’il a pris sous son aile, il va traverser l’Egypte et affronter ainsi le Monde avec ses maux et ses instants de grâce dans la quête d’une famille, d’un foyer, d’un peu d’humanité…

 

Un long voyage

Beshai est un lépreux. Un lépreux guéri, un lépreux qui, certes, n’est plus contagieux mais qui garde sur son corps les stigmates de la maladie. Son père l’avait amené jeune dans une léproserie et il n’est jamais venu le rechercher. Beshai est chrétien. C’est également un homme marié, mais sa femme souffre d’une maladie mentale et elle est internée dans un asile proche de la léproserie. Pour gagner sa vie, Beshai passe ses journées dans une montagne de détritus afin d’y trouver du matériel qu’il entasse dans la carriole que traîne Harly, son âne, matériel qu’il essaye de revendre au meilleur prix. Un gamin s’est attaché à lui, il s’incruste auprès de lui avec obstination, il a une dizaine d’années, il est nubien, il est orphelin et il prétend s’appeler Obama. Lorsque son épouse décède, ayant rencontré la mère de celle-ci et constaté ses regrets de ne pas avoir visité sa fille durant de longues années,  Beshai décide d’entreprendre le voyage qui lui permettra, espère-t-il, de retrouver sa famille avant qu’il soit trop tard. Un long voyage qu’il va faire avec son âne et sa petite charrette. Avec Obama, également, le gamin arrivant à s’incruster une fois de plus. C’est ce voyage que raconte Yomeddine, un voyage plein d’aléas et de rencontres, un voyage qui va souder encore davantage les liens entre Beshai et Obama et leur faire regarder le monde avec des yeux tout neufs.

Plein d’humanité, sans aucun pathos

Lorsqu’on prend connaissance du thème du film et qu’on apprend en plus que Yomeddine signifie « jugement dernier » en arabe, le jour où tous les humains seront égaux et où plus personne ne sera jugé sur son apparence, on a le droit de craindre la vision d’un film dégoulinant de bons sentiments, suintant le pathos à plein nez. Heureusement, il n’en est rien. Dans ce « road-movie » qui est en même temps un « feel-good movie », A. B. Shawky a su rester sobre dans l’émotion, injectant en plus de bonnes doses d’humour dans les situations et dans les dialogues. Tout du long, malgré les problèmes rencontrés, l’atmosphère reste sereine, presque légère. On retient en particulier un grand moment d’humanité qui fait chaud au cœur sans chercher à bassement flatter nos cordes les plus sensibles :  la rencontre avec un trio de mendiants aux lourds handicaps qui commencent par rejeter Beshai et Obama avant de les accueillir dans leur espace sous un pont puis les aider à poursuivre leur trajet en leur fournissant un moyen de transport.

Pas facile !

Il a fallu de longues années à A.B. Shawky pour boucler ce film qui lui tenait tant à cœur, lui permettant de parler des exclus, de ceux que la société évite de regarder et qui, le plus souvent, n’ont pour seul objectif dans la vie que de survivre, tout en montrant une Egypte de la campagne qu’on voit peu au cinéma. Le financement a été difficile à trouver, les comédiens également, même si Rady Gamal, Beshai dans le film, a été le premier à se présenter auprès du réalisateur lorsqu’il a commencé à rechercher son interprète à la léproserie : Rady n’avait bien sûr aucune expérience de comédien, il ne sait pas lire et, en plus, on recommandait à A.B. Shawky de ne pas choisir trop vite, de ne pas faire son choix dès la première personne auditionnée. On peut se féliciter que Rady Gamal ait finalement été choisi tant ce débutant au cinéma sait être à la fois drôle et touchant. Même réussite avec Ahmed Abdelhafiz, le jeune interprète d’Obama, un gamin plein d’énergie et que l’on devine très débrouillard.

Pour constituer son équipe technique, très internationale, A.B. Shawky a beaucoup fait appel à des anciens condisciples de la Tisch School of the Arts, école faisant partie de l’Université de New-York et dans laquelle il avait poursuivi ses études de cinéma. C’est ainsi que son Directeur de la photographie, Federico Cesca, est argentin. Ce sud-américain a su parfaitement capter la lumière de l’Egypte !

Conclusion

Cannes n’est pas une ville connue pour ses miracles. En mai dernier, pourtant, un miracle s’est produit sur la Croisette : un « petit » film égyptien, ayant comme principaux interprètes un lépreux et un gamin de 10 ans, s’est retrouvé en lice pour l’obtention de la prestigieuse Palme d’Or. Certes, Yomeddine est reparti bredouille, mais ce film attachant et généreux a profondément marqué le public et il a, depuis Cannes, reçu des récompenses dans un grand nombre de festivals.

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