Critique : Chris the Swiss

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Chris the Swiss

Suisse, Croatie, Allemagne, Finlande, 2018
Titre original : Chris the Swiss
Réalisateur : Anja Kofmel
Scénario : Anja Kofmel
Intervenants : Anja Kofmel, Hedi Rinke, Julio Cesar Alonso
Distribution : Urban Distribution
Durée : 1h30
Genre : Documentaire animé
Date de sortie : 3 octobre 2018

Note : 3/5

Parmi les genres cinématographiques au sens large, c’est peut-être le documentaire qui vit ces dernières années son époque la plus riche et foisonnante. A la fois d’un point de vue économique et formel, il y a énormément de choses à découvrir dans ce domaine, grâce à des documentaires qui dynamitent sans gêne les règles anciennes de la transmission en apparence neutre d’un semblant de réalité. L’incursion de l’animation fait partie de cette conception quasiment révolutionnaire d’un mode filmique, ayant somnolé pendant des lustres dans l’indifférence publique. Présenté à la dernière Semaine de la Critique au Festival de Cannes, Chris the Swiss appartient à cette catégorie de voix documentaires nouvelles, qui savent associer des ruptures de supports régulières à un cheminement personnel, voire intimiste, du côté du fond. Il en résulte un film loin d’être inintéressant, dont la vocation n’est guère de rendre la guerre des Balkans dans les années 1990 plus compréhensible, mais au contraire de souligner avec adresse à quel point il était alors facile de s’y perdre corps et âme. La réalisatrice y entreprend un travail de détective familial, qui ne tarde pas à englober un regard plus vaste sur le conflit en Croatie en particulier et la folie cruelle de la guerre en général.

Synopsis : La réalisatrice Anja Kofmel a vécu l’annonce de la mort de son cousin Christian Würtenberg en janvier 1992 comme un événement marquant de son enfance. Cette nouvelle avait déclenché chez elle une série de cauchemars et n’a pas cessé de l’intriguer jusqu’à l’âge adulte. Comment son cousin, parti en Yougoslavie au moment de la guerre au début des années ’90 en tant que journaliste, y avait-il trouvé la mort et quels enseignements tirer de cette disparition traumatisante ? Elle revient alors sur les lieux désormais paisibles de ce conflit sanglant et interroge les hommes et les femmes dont le chemin avait croisé celui de son cousin, afin de mieux comprendre les motivations de ce dernier, ainsi que les raisons de sa mort brutale.

La fascination de la guerre

Une certaine morbidité se dégage d’emblée de Chris the Swiss, avec cette animation aussi belle que lugubre, qui est censée représenter les mauvais rêves de la réalisatrice. En effet, il n’y a rien de particulièrement édifiant à tirer de ce documentaire, peut-être initialement conçu en tant qu’hommage à un cher disparu, véritable idole d’enfance, mais finalement plus à l’aise en termes de constat impuissant sur l’absurdité de la guerre. Ce manque de sens et de raison, le personnage clé du récit en est un vecteur essentiel et pas seulement parce que son engagement perçu d’abord comme le signe d’un aventurier des temps modernes se mue assez rapidement en périple d’un inconscient, au caractère trop contradictoire pour en saisir tous les revirements. La narration évite alors le piège de la complaisance à son égard. Elle ne fait pas comme si tous ses faits et gestes devaient culminer, selon les codes de la fiction héroïque, dans cette mort solitaire dans un champ à l’abri de la ligne de front. Elle le dépeint davantage comme un jeune mercenaire, dont la cause ne devient jamais tout à fait claire, pas plus d’ailleurs que sa capacité à se glisser tel un caméléon dans ses rôles successifs et mutuellement exclusifs. Or, la schizophrénie plutôt évidente du sujet ne s’empare à aucun moment du propos du documentaire, figé dans la posture pas sans attrait du doute et de l’incompréhension.

Lignes de fuite

Trois ou même quatre dispositifs formels vivent en parfaite harmonie au sein de Chris the Swiss. Tandis que ceux de l’entretien des témoins de cette époque déjà assez lointaine, de l’accompagnement de la réalisatrice pendant son trajet initiatique en Croatie et de l’emploi des reportages pris sur le vif au moment de la guerre relèvent d’une convention fermement établie depuis longtemps, l’inclusion de l’animation confère une pointe d’originalité au film. Ce dernier n’a guère tendance à en abuser, à l’exception éventuelle du symbole un peu trop récurrent de la mort sous forme d’invasion d’oiseaux. Sinon, le climat d’angoisse et d’incertitude morale, qui pèse tel une chape de plomb sur le film, y trouve un moyen d’expression ingénieux. La virtuosité du trait de l’animation participe même à une perte supplémentaire des repères, en donnant tour à tour accès à l’univers onirique de la réalisatrice, ainsi qu’à une sublimation visuelle de faits sans doute infiniment plus ternes dans le chaos de cette guerre extrêmement sale. Ce métissage des formes ne permet certes pas d’y voir plus clair dans le marasme de ce qui était, après tout, une guerre par procuration entre blocs idéologiques et culturels, comme il y en a eu hélas tant d’autres depuis, jusqu’à aujourd’hui. Il rend par contre un projet à la base très personnel – car qui se souvient encore de ce journaliste massacré dans des circonstances suspectes, mis à part sa famille et ses proches ? – accessible et percutant pour quiconque s’intéresse à cette Nouvelle vague de documentaires, source de bonnes surprises et d’euphorie.

Conclusion

Le constat final de la réalisatrice sur la fragilité de la vie, de ses intentions et de ses apparences, a beau sonner un peu trop sommaire, ce qui lui précède est sensiblement plus nuancé dans son approche d’un destin hors du commun. Or, Chris the Swiss ne fait justement pas l’éloge de Chris le journaliste casse-cou, qui tenait accessoirement le rôle de figure presque mythique de grand frère fantasmé pour Anja Kofmel. Le documentaire préfère lui substituer une incursion plus abstraite dans l’état d’esprit symptomatique d’un métier et d’une époque, quoique nullement démodé dans sa confrontation assez crue aux diverses manifestations de misère causées par la guerre.

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