Test Blu-ray : L’au-delà

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L’au-delà

 
Italie : 1981
Titre original : L’aldilà… E tu vivrai nel terrore!
Réalisation : Lucio Fulci
Scénario : Dardano Sacchetti, Giorgio Mariuzzo, Lucio Fulci
Acteurs : Catriona MacColl, David Warbeck, Cinzia Monreale
Éditeur : Artus Films
Durée : 1h27
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 14 octobre 1981
Date de sortie DVD/BR : 5 septembre 2018

 

 

La Nouvelle-Orléans, 1927. Le peintre Schweick se fait lyncher, dans un hôtel, par la population, pour avoir peint une fresque représentant l’Enfer. Cinquante ans plus tard, Liza Merril hérite de cet hôtel et entreprend de le rénover. Mais, très vite, des événements tragiques succèdent les uns aux autres, et les ouvriers meurent dans des circonstances mystérieuses. Puis, Liza fait la connaissance d’Emily, une jeune aveugle, qui la met en garde contre ce lieu maudit : l’hôtel abriterait une des sept portes de l’Enfer dont le peintre martyr serait le gardien…

 

 

Le film

[4,5/5]

Certains cinéastes ont réellement acquis leur statut ainsi que leurs lettres de noblesse non pas dans les salles de cinéma mais avec l’avènement de la VHS domestique. A force de bouffer de la K7 vidéo et de traîner leurs guêtres dans les vidéo-clubs les plus douteux au fil des années 80, une nouvelle race de cinéphages (âgés de quarante à cinquante ans aujourd’hui) a en effet érigé un culte ardent autour de certains réalisateurs généralement oubliés par la critique, et dont les films figuraient sur la liste des tristement célèbres « video nasties », cette fameuse liste gouvernementale anglaise recensant les films trop gore, obscènes, malsains ou dérangeants pour être exploités en vidéo de l’autre côté de la Manche. Dans la liste des 72 video nasties, le nom d’une poignée de cinéastes aujourd’hui « cultes » avait l’insigne honneur (horreur) d’apparaître plusieurs fois : on recensait en effet deux films de Dario Argento, de Tobe Hooper, d’Umberto Lenzi, de Joe D’Amato ou encore de Ruggero Deodato. Mais seulement deux metteurs en scène apparaissaient à TROIS reprises sur la liste : Jess Franco et Lucio Fulci.

Alors bien sûr, les adolescents des années 80, avides de sensations – et souvent lecteurs de Mad Movies et Vidéo 7 – cherchaient forcément à découvrir à tout prix les films présents sur la liste des video nasties, si bien qu’aujourd’hui, beaucoup d’entre eux ont probablement vu la plupart des bandes bisseuses (et pas toutes forcément inoubliables) signées Lucio Fulci durant les années 70/80. Sa réputation relativement tardive s’est essentiellement établie à l’occasion de sa tétralogie autour des morts-vivants, constituée de L’enfer des zombies (1979), Frayeurs (1980), L’au-delà et La maison près du cimetière (1981). A eux quatre, ces films ont contribué à masquer durant de très longues années la majeure partie des longs-métrages de Fulci qui les ont précédé, privant les cinéphiles français de quelques perles restées un brin trop « confidentielles » au fil des ans, telles que La longue nuit de l’exorcisme (1972) ou L’emmurée vivante (1977).

 

 

Pour autant, et même au sein de ce quatuor zombiesque, L’au-delà a toujours été unanimement reconnu comme l’un des plus grands chefs d’œuvre de la carrière de Lucio Fulci. Déjà parce qu’il constitue sans conteste un des sommets plastiques de sa filmographie : l’habile composition des plans, la sublime photo signée Sergio Salvati, tout concourt à faire du film une expérience visuelle assez époustouflante. Mais si le film sort un peu du lot par rapport aux autres films de Fulci, c’est aussi et peut-être surtout parce que L’au-delà s’impose rapidement comme un film d’ambiance, développant une atmosphère si étrange et une narration si bizarrement « flottante » que les défauts de certains de ses films précédents en prennent ici des allures de qualités, dans le sens où ils renforcent encore l’atmosphère cauchemardesque et macabre de l’ensemble. Ainsi, plusieurs séquences du film s’avèrent particulièrement inutiles, incompréhensibles,voire même incohérentes : la visite de la femme du plombier à la morgue, les recherches du journaliste au cadastre… Fulci casse la linéarité de l’intrigue, propose des digressions oniriques semblant dénoter d’une volonté farouche de déstabiliser le spectateur, de le priver du confort de ses repères rationnels. Ainsi, L’au-delà nous propose au final de suivre une poignée de personnages dans leurs errements au cœur d’une intrigue dont la temporalité semble dilatée ; curieusement et presque contre toute attente, la magie opère, nous livrant sur celluloïd l’expression la plus pure et la plus exacerbée de la sensibilité artistique, à la fois macabre et poétique, de Fulci.

Et puisqu’il s’impose presque comme un « manifeste » artistique pour le réalisateur, L’au-delà synthétise finalement parfaitement toutes les qualités et les défauts de son cinéma. Ainsi, en bon « opportuniste » de toujours, Fulci va chercher son inspiration ailleurs, et plutôt de préférence dans les films d’horreur ayant cartonné les années précédentes. S’il renonce à piller Romero pour cette fois, L’au-delà en revanche lorgnera énormément du côté du Inferno de Dario Argento (1980), avec qui il partage de nombreux points communs. Impossible non plus de ne pas penser à La sentinelle des maudits de Michael Winner (1977), à Suspiria (1977) pour la séquence de l’aveugle qui se fait bouffer par son propre chien. Mais l’inspiration se fait également littéraire, et par bien des aspects, L’au-delà évoque aussi l’œuvre d’Howard Philip Lovecraft – le plus évident d’entre eux est certainement le livre des morts, « Eibon », présent dans quelques ouvrages de Lovecraft comme un cousin du Necronomicon.

 

 

Au final, et comme on l’a déjà noté un peu plus haut, l’intrigue s’impose comme un embrouillamini assez fumeux de thèmes divers et de séquences désordonnées, déstructurées presque, donnant à l’intrigue des relents surréalistes. Comme souvent chez Fulci, l’artificialité des situations est complète, l’interprétation est pour le moins aléatoire (d’un acteur à l’autre, d’une séquence à l’autre…), mais le cinéaste passe en force à l’aide de quelques scènes gore et/ou choc nous offrant des visions toutes plus salingues, grotesques et complaisantes les unes que les autres, avec ses chairs qui fondent littéralement, ses énucléations sauvages et ses animaux tueurs. Le tout est également soutenu par la musique de Fabio Frizzi, toujours très étrange, et par les bruitages, particulièrement peu ragoutants.

Et bien sûr, il y a ce final, qui vient parachever un peu moins d’une heure et demie d’errements oniriques et de visions (très) sanglantes. Tout comme dans L’enfer des zombies et Frayeurs, Fulci opte pour une fin absolument marquante et inoubliable, à l’opposé du happy-end auquel le public aurait pu s’attendre, qui demeure, presque quarante ans plus tard, toujours sujette à de nombreuses interprétations. Un pari gonflé et payant !

 

 

Le coffret Blu-ray + DVD

[5/5]

Si les consommateurs connaissent bien Artus Films depuis de nombreuses années maintenant, le fait est néanmoins qu’il s’agit d’un éditeur encore relativement récent sur le front de la Haute Définition en France. Ainsi, si les premiers Blu-ray aux couleurs d’Artus ne sont sortis qu’il y a quelques mois seulement, les fans et les vrais connoisseurs en matière de films de genre en HD savent parfaitement que l’éditeur s’est fait un point d’honneur à proposer non seulement des masters Haute Définition soignés, mais également de « beaux objets », propres à fasciner les collectionneurs. A ce titre, le packaging de l’édition combo Blu-ray + DVD de L’au-delà est probablement ce qui ce fait de mieux dans l’hexagone en matière de soin éditorial apporté à un coffret. A l’occasion de la sortie de ce deuxième combo Blu-ray + DVD consacré à Lucio Fulci (après L’enfer des zombies au mois de mai – lire notre article), l’éditeur nous propose à nouveau un superbe coffret digibook cartonné aux couleurs du film, contenant un bouquin de 80 pages en plus du déjà très beau boitier contenant les deux galettes. On a donc vraiment entre les mains une édition collector de grande classe, un packaging qui en impose avant même le visionnage du film. Le soin apporté à l’ensemble et la qualité des finitions en font vraiment un superbe objet, qu’on sera très fier de voir trôner sur nos étagères.

 

 

Techniquement, l’éditeur n’est pas en reste puisque le transfert du Blu-ray s’avère vraiment de toute beauté, composant avec les limites du support et surtout du matériel disponible à ce jour. Couleurs, piqué, contrastes et encodage, tout est fait pour magnifier le travail de Lucio Fulci et de son directeur photo Sergio Salvati. Bien sûr, certaines séquences accusent quelques baisses de définition, mais l’ensemble est excellent. Côté son, VF et VO italienne sont proposées en LPCM 2.0 et sont tout simplement parfaites, rendant honneur à la douce étrangeté du film ; on notera que si on préfère la version originale, il faut admettre le soin apporté au doublage français, assuré entre autres par Monique Thierry et Bernard Tiphaine. Des voix connues et appréciées pour une VF de qualité !

Mais en plus d’être un bel objet, le coffret édité par Artus Films n’est d’ailleurs pas avare en suppléments, avec tout d’abord un joli livret de 80 pages intitulé « La Louisiane, territoire des morts », rédigé dans un style clair et concis par un collectif réuni autour de Lionel Grenier (luciofulci.fr). Sur la galette proprement dite, l’éditeur nous propose également quelques véritables morceaux de choix : on commence avec un « Bravo Lucio » (21 minutes), un entretien avec Catriona MacColl enregistré en français et au cours duquel cette dernière évoque non seulement le tournage du film mais également ses relations professionnelles et humaines avec Lucio Fulci, grand cinéaste qui semble l’avoir particulièrement marqué par ses colères. Un entretien passionnant et d’une belle sincérité.

 

 

On continuera avec « Les yeux d’Emily » (17 minutes), entretien avec Cinzia Monreale, qui incarne la jeune aveugle dans le film et qui nous révèle également ses souvenirs de tournage, ainsi que ses relations avec l’équipe du film. On terminera le tour des entretiens avec l’équipe avec « Arachnophobie » (28 minutes), un entretien avec Michele Mirabella, qui tient un petit rôle dans le film (le journaliste qui se fait bouffer par les araignées) mais qui, d’après ses dires, semble plutôt avoir été embauché car il était un bon ami de Lucio Fulci et avait pour mission de le « divertir » pendant le tournage. Les anecdotes vont bon train, sur le tournage de la fameuse scène des z’araignées bien sûr, mais également sur d’autres moments un peu croustillants du tournage – notamment quand Fulci a par mégarde appuyé sa main contre la poitrine d’une figurante : on vous laisse découvrir la teneur des propos de Mirabella, impayable dans son genre.

Mais l’interactivité ne s’arrête pas là : on notera également la présence du prologue du film en noir et blanc (et Haute Définition), ainsi qu’en couleurs (qualité DVD) – de quoi troubler les amoureux du film habitués depuis de très nombreuses années à l’introduction aux couleurs sépia. Enfin, et en complément des traditionnelles bandes-annonces et galeries de photos et d’affiches, on terminera avec « Au-delà du gore » (19 minutes), une analyse du film par Lionel Grenier du site luciofulci.fr. Synthétique et assez passionnant, Grenier reviendra sur les influences, le tournage et la réception du film. Les anecdotes sont nombreuses et très intéressantes – on tire donc notre chapeau à Lionel Grenier, dont le seul défaut est d’être un peu fâché avec l’utilisation des pronoms (« il en profite pour sortir dans les clubs dès que le planning lui permet », « Lucio Fulci bénéficie d’une équipe douée, et dont il a totalement confiance », « L’au-delà se rapproche d’une autre œuvre dont on ne l’a jamais rapproché »…). Un superbe boulot éditorial donc, à mettre au crédit d’une édition HD indispensable.

 

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