Test Blu-ray : La Forme de l’eau

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La Forme de l’eau

États-Unis : 2017
Titre original : The shape of water
Réalisation : Guillermo del Toro
Scénario : Guillermo del Toro, Vanessa Taylor
Acteurs : Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins
Éditeur : 20th Century Fox
Durée : 2h03
Genre : Fantastique
Date de sortie cinéma : 21 février 2018
Date de sortie DVD/BR : 30 juin 2018

Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultra-secret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…

Le film

[3,5/5]

Sur critique-film, on ne fait pas les choses à moitié, et à l’occasion de la sortie en Blu-ray / DVD de La Forme de l’eau, qui a raflé quatre Oscars l’année dernière, dont celui du meilleur film, on s’est dit qu’un seul avis ne suffisait pas, et que même deux, c’était un peu juste afin d’évoquer la dernière œuvre de Guillermo Del Toro. Ce sont donc les avis de trois rédacteurs que vous pourrez découvrir dans les lignes qui suivent. Trois avis qui finalement dessineront peut-être l’esquisse des contours d’un film qui, s’il nous a tous paru très joli, parfaitement interprété et mis en scène, ne semble paradoxalement pas avoir trouvé le chemin de nos cœurs de façon franche et définitive…

1er avis : Pascal Le Duff, rédacteur en chef

Éternel amoureux des créatures dont il fait des symboles de tous les marginaux de nos sociétés, Guillermo Del Toro leur rend une nouvelle fois un hommage vibrant via une histoire d’amour inattendue. Comme dans Le labyrinthe de Pan ou Hellboy, on retrouve cette affection pour ces monstres qui ne le sont qu’en apparence. Il se fait le champion de ceux qui ne sont pas dans la norme : une sourde, un homosexuel, une femme noire et même un espion russe, ennemi de l’État mais motivé par de nobles idéaux, au contraire de ses supérieurs soviétiques ou de l’ambitieux Strickland joué par le menaçant Michael Shannon. (…)

La réussite esthétique est impressionnante mais l’excès de stylisation nuit souvent à l’émotion et par extension à l’identification. S’il fait preuve d’une réelle audace dans la représentation de la sexualité et du désir, le film est paradoxalement enfantin dans son écriture. Il est difficile de ne pas penser au Fabuleux destin d’Amélie Poulain, les deux héroïnes ayant de nombreux points communs psychologiques (une certaine naïveté, un aplomb sans faille face aux grincheux et un éternel optimisme malgré les pires déboires) et physiques (la coupe de cheveux et le sourire indécrottable). Heureusement, Sally Hawkins confère à Elisa une dimension très vivante et on ne s’étonne jamais de ce qu’elle ressent.

L’apparence de l’amphibien est très directement inspirée de L’étrange créature du lac noir, un classique du cinéma fantastique des années 50 dont le réalisateur est un grand amateur. Sa sincérité dans son envie de défendre ces personnages, et sa critique à peine voilée de la dérive actuelle de son pays d’adoption, atténuent les réserves sur cette fable dont les émotions restent à la surface.

2ème avis : Aubin Bouillé, chroniqueur

Techniquement, rien n’est à redire. Esthétiquement, au niveau de sa photographie, de son graphisme et des couleurs, La Forme de l’eau est magnifique. Il permet un retour aux sources pour Del Toro qui ajoute une nouvelle créature à son bestiaire. Le cinéaste apprécie l’eau, c’est un élément qu’il a souvent utilisé comme dans Hellboy, Pacific Rim ou L’échine du Diable. Ici, c’est la quintessence de cet élément qui est mise en valeur. La forme de l’eau fait la part belle aux couleurs bleue et verte dans une danse aquatique sublime. (…)

Guillermo Del Toro se sert de l’art pour exprimer ses hantises, ses peurs et ses désirs. D’origine mexicaine, la créature est peut être une représentation de ses débuts dans le monde américain, dans le monde du cinéma. Un amour impossible avec l’art qu’il va pourtant surmonter. Il distille ça et là des partitions musicales, des extraits d’émissions télévisées, des instruments de musique, etc… La bande originale d’Alexandre Desplat, lui aussi récompensé aux Oscars, nimbe cette histoire dans une musique française à l’ancienne passionnante et immersive, qui permet au spectateur de retourner à un autre temps.

Mais, finalement, dans son propos, Guillermo Del Toro n’évolue pas beaucoup. Avec une énième histoire d’amour impossible et une nouvelle créature aquatique, Del Toro est presque paresseux. Si ce n’est que le personnage de Sally Hawkins est muet, le film n’apparaît pas franchement sous un jour nouveau. Les divers rebondissements sont plutôt attendus, à commencer par l’idée d’une créature, torturée, qui va s’éprendre d’une jeune femme. Cette dernière va le faire évader, l’aider et le libérer. Une créature ambiguë entre intelligence, violence et humanisme. Seuls les personnages secondaires demeurent intéressants : des noirs, un homosexuel, un communiste bien soviétique et un grand méchant archétype de l’américain blanc, riche et raciste, représentation d’une Amérique conservatrice et dangereuse.

3ème avis : Mickaël Lanoye, rédacteur Blu-ray / DVD

Quand le générique de fin de La Forme de l’eau apparaît à l’écran, deux sentiments dominent l’esprit du spectateur. Le premier est la satisfaction : celle d’avoir vu Guillermo Del Toro développer pendant deux heures supplémentaires son univers si particulier, démontrant qu’il fait toujours volontiers montre, plusieurs années après ses débuts, de la même sensibilité de pucelle effarouchée qui a bâti une partie de son succès (avec peut-être cela dit un côté un peu plus charnel qu’à l’accoutumée). Une chose est sûre donc : c’est bien un film de Del Toro que nous avons sous les yeux, et si vous pouviez avoir le moindre doute, le cinéaste se laisse même aller à la tentation de l’autocitation, reprenant quelques motifs ou éléments à certains de ses films antérieurs ; ainsi, si vous avez un sentiment de déjà vu en voyant Doug Jones grimé en créature sous-marine se nourrissant d’œufs, c’est normal, il y avait exactement la même chose dans Hellboy. Le talent de Guillermo Del Toro est incontestable, et le fait qu’il navigue en terrain connu ne pourra au final accoucher que d’un très joli film, maîtrisé, personnel et sincère – comme le prouvent sans le moindre doute les quatre récompenses qu’il a reçu lors de la 89ème cérémonie des Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure musique, meilleurs décors).

Le deuxième sentiment qui trottera à coup sûr dans la tête du spectateur s’apparente tout de même en revanche à une certaine déception. De n’avoir réellement pu être « emporté » malgré la beauté des images, et de ne ressentir au final de la part de Del Toro qu’une espèce de « recyclage » de son propre cinéma. Aussi, si l’Académie des Oscars et la plupart des observateurs criant à l’originalité suprême ne sont probablement pas des « gamers » acharnés, on connaît cependant l’attachement du cinéaste mexicain à l’univers du jeu vidéo, et La forme de l’eau donne la désagréable impression que le cinéaste s’est finalement contenté de transposer ses « gimmicks » thématiques à l’univers développé par Ken Levine sur la franchise Bioshock entre 2007 et 2013. Levine et Del Toro s’étaient d’ailleurs rencontrés à l’occasion d’un podcast en 2011 ; on espère que le succès de La forme de l’eau rendra à César ce qui lui appartient, et permettra la mise en chantier d’une adaptation cinématographique de Bioshock, dans les limbes du « Development Hell » depuis 2008…

Le Blu-ray

[4,5/5]

Le Blu-ray de La forme de l’eau est édité par 20th Century Fox, et est disponible chez votre dealer de culture habituel depuis le 30 juin. Comme d’habitude avec la Fox, le Blu-ray du film fait vraiment figure de galette de démonstration : l’image est d’une précision et d’une limpidité à toute épreuve, le piqué est d’une précision à couper le souffle, les couleurs en envoient plein les mirettes, et les contrastes ont été boostés afin de rendre honneur à la sublime photo du film signée Dan Laustsen. Côté son, la piste VO, mixée en DTS-HD Master Audio 5.1, fait honneur à l’ampleur et à l’ambition formelle du film. Les scènes aquatiques et fantasmagoriques ont bénéficié d’un soin acoustique tout particulier et s’avèrent d’un dynamisme tout simplement bluffant, facilitant grandement l’immersion (sans mauvais jeu de mots) au cœur du film. La version française, très soignée, doit quant à elle se contenter d’un encodage DTS 5.1 souvent très efficace, mais en deçà de la version originale, surtout en termes de finesse et de précision.

La section suppléments contient tout d’abord un making of en quatre parties, nous proposant de découvrir l’envers du décor et la genèse du film, et nous permettant de découvrir quelques moments volés sur le tournage (« Un conte de fées pour temps agités », 29 minutes). On continuera ensuite avec un entretien avec James Dean (5 minutes), au cœur duquel l’illustrateur revient sur son travail aux côtés de Guillermo Del Toro. On reviendra ensuite plus particulièrement sur le tournage de deux scènes bien précises : le prologue et la scène de danse (8 minutes), qui sont abordées par le biais de la découverte de storyboards et de répétitions. Last but not least, le Blu-ray édité par 20th Century Fox nous proposera de nous plonger dans une masterclass de Guillermo Del Toro (13 minutes), session de questions/réponses avec Guillermo Del Toro et d’autres membres de l’équipe, enregistrée à l’issue d’une projection du film.

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