Le réalisateur français Claude Lanzmann est décédé ce jour à Paris. Il était âgé de 92 ans. Tout au long d’une vie artistique et intellectuelle bien remplie, Lanzmann œuvrait contre l’oubli et les demi-vérités, avec comme point d’ancrage majeur de ce travail de mémoire hors pair l’extermination de plusieurs millions de juifs par les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que dans une moindre mesure la raison d’être de l’état d’Israël et l’image que les Israéliens s’en faisaient au fil du temps. Le film monument de Claude Lanzmann reste bien sûr Shoah, l’un des plus importants documentaires de l’Histoire du cinéma, qui a su durablement modifier la mémoire et la représentation rétrospective du génocide contre les juifs d’Europe dans les années 1940. Le réalisateur continuait inlassablement dans cette tâche vitale jusqu’à la fin de sa vie, puisque son dernier film Les Quatre sœurs est sorti en France la veille de sa disparition.
Résistant en France pendant la Deuxième Guerre mondiale, Claude Lanzmann devient d’abord un journaliste de renom, qui participe à la revue « Les Temps modernes » avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Il ne se consacre au cinéma qu’à partir des années ’70, réalisant son premier documentaire en 1973, Pourquoi Israël sur la vie dans l’état juif un quart de siècle après sa création. Alors qu’à plus de trois heures la durée de celui-ci est déjà imposante, son film suivant fait voler en éclats les conventions du genre. Or, malgré ses neuf heures et demie, l’effet réellement historique de Shoah découle du regard sans fard qu’il jette sur les camps d’extermination. Pendant onze ans, Lanzmann recueille en fait les témoignages des victimes qui ont survécu à l’enfer et de leurs bourreaux, excluant volontairement tout document d’archives. Il en résulte, comme le clame le réalisateur lui-même, un film sur la mort, qui avait fait l’effet d’une bombe en 1985, quoique d’une manière moins populaire que la mini-série américaine « Holocauste », face à laquelle il constitue une sorte d’antithèse dans la représentation filmique des horreurs commises pendant la guerre.
Au cours des années ’90, Lanzmann tourne deux documentaires supplémentaires, chacun sur l’un des sujets qui lui tiennent le plus à cœur. Dans Tsahal, il s’interroge sur l’armée israélienne, tandis que Un vivant qui passe prolonge la réflexion entamée par Shoah à travers l’entretien de Maurice Rossel, délégué de la Croix rouge qui avait pu inspecter le camp d’Auschwitz. Ce travail de récupération d’éléments filmés pendant la longue phase de préparation de Shoah, Lanzmann allait de nouveau l’appliquer dans Sobibor 14 octobre 1943 16 heures sur la seule révolte des condamnés à mort juifs, dans Le Dernier des injustes sur le dernier président du conseil juif du ghetto mensonge de Theresienstadt et donc dans Les Quatre sœurs sur les souvenirs de quatre femmes juives. Seul Napalm, sorti en septembre 2017, faisait exception à la règle thématique sinon consciencieusement appliquée par Lanzmann, puisqu’il traitait de la Corée du Nord, entre la première visite du réalisateur dans ce pays coupé du monde en 1958 et des voyages plus récents.
Claude Lanzmann a été nommé à deux reprises au César du Meilleur documentaire, en 1995 pour Tsahal et en 2014 pour Le Dernier des injustes. Auparavant, il avait reçu un César spécial pour Shoah en 1986. Ce film lui avait également valu les prix des principales associations de critiques américains : la Los Angeles Film Critics Association, le New York Film Critics Circle et la National Society of Film Critics. Le Festival de Berlin lui avait décerné un Ours d’or d’honneur en 2013.