Critique : La Féline (Paul Schrader)

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La Féline

États-Unis, 1982
Titre original : Cat people
Réalisateur : Paul Schrader
Scénario : Alan Ormsby, d’après une histoire de DeWitt Bodeen
Acteurs : Nastassja Kinski, Malcolm McDowell, John Heard, Annette O’Toole
Distribution : CIC
Durée : 1h58
Genre : Fantastique / Interdit aux moins de 12 ans
Date de sortie : 8 septembre 1982

Note : 2,5/5

La Féline, version Schrader, est bel et bien le fruit de son temps. Tandis que la prémisse passablement grotesque des humains plus qu’attirés par le règne animal pouvait encore faire illusion dans le cadre du film noir des années 1940 et donc paraître sensiblement plus suggestive chez Jacques Tourneur, ici, elle fournit le prétexte souvent bancal pour un mélange malgré tout pas complètement dépourvu d’intérêt d’érotisme et d’ésotérisme. L’aspect fantastique du récit se résume en effet au prolongement symbolique d’une sexualité hautement frustrée, autant muselée par une malédiction abracadabrante que par des ambitions romantiques en apparence plus pures que les manifestations d’un désir malsain. En somme, il y aurait eu de quoi nous concocter une belle orgie de sexe et d’effets spéciaux improbables, au rythme des troubles psychiques – eux aussi fort farfelus – du personnage principal. Que le résultat final soit plutôt langoureux, voire paradoxalement trop long pour aboutir à quelque conclusion satisfaisante que ce soit, ne fait pas pour autant du remake de Paul Schrader un ratage complet. Il s’agit davantage de la confirmation presque rassurante de notre théorie personnelle, au demeurant partagée par environ l’ensemble de l’humanité, que cela ne sert généralement à rien de refaire des films qui ont connu le succès au moment de leur sortie, ainsi que de l’évidence historique que chaque film porte les signes de son époque, peu importe que pareil datage ait été prémédité ou non.

Synopsis : Placée il y a des années en famille d’accueil, Irena Gallier retrouve enfin son frère Paul à la Nouvelle Orléans, où il travaille pour une église. Les retrouvailles sont assez chaleureuses, même si Irena peine à s’expliquer l’attirance étrange que son frère semble éprouver pour elle. Alors qu’elle est à peine installée, Paul disparaît sans prévenir pendant plusieurs jours. Une absence qui ne paraît guère inquiéter sa gouvernante Fimali. En même temps, une prostituée est sauvagement attaquée par une panthère, qui s’était cachée sous le lit sur lequel elle attendait son client. La police prévient le conservateur du zoo local Oliver Yates pour qu’il prenne en charge la bête sauvage prise au piège. Par hasard de passage au zoo lors de sa visite de la ville, Irena ne peut se soustraire au regard magnétique du fauve en cage.

Panthère noire dans chambre noire

Le ton est d’emblée donné avec le thème musical hypnotisant signé David Bowie, en fond sonore du générique initial. Tout le poids esthétique des années ’80 s’abat en effet sur nous pendant les premières minutes de La Féline, à travers un prologue atrocement stylisé qui est censé nous mettre dans l’état d’esprit adéquat pour croire, tant soit peu, en l’alliance entre la femme et l’animal, le yin et le yang d’un pacte ancestral venu des terres lointaines d’un pays exotique par voie de cliché. La bande originale de Giorgio Moroder, le compositeur par excellence de cette décennie au bagage culturel pour le moins encombrant, poursuit pendant deux heures le travail d’invitation à l’état de transe, en parallèle d’une intrigue en fin de compte incapable de s’affranchir de son introduction trop solennelle pour susciter une éventuelle réaction viscérale de la part du spectateur. Or, la finalité du récit consiste justement à enflammer les passions sexuelles ou plutôt à bloquer ces dernières sous les braises d’une libido chaotique, mais on y reviendra. En attendant, constatons simplement que le mode opératoire du passage de la frontière entre la forme humaine et son pendant animalier demeure moins énigmatique que largement illogique ou en tout cas exploité d’une façon beaucoup trop laborieuse pour mettre convenablement en valeur le côté fantastique de l’histoire.

Pulsions animales

L’axe de lecture ou d’analyse encore le plus fascinant du film est sans doute celui de la sexualité réprimée, autant le signe d’une époque toujours passablement coincée, qui allait de surcroît connaître sous peu le traumatisme collectif de l’épidémie du sida, que d’un éternel dilemme de représentation cinématographique. Le moteur de l’intrigue biscornue est sans conteste le sexe. Tous les enjeux dramatiques tournent autour, quoique avec une dose considérable de frilosité, propre aux contradictions inhérentes à la civilisation américaine. Avoir des rapports sexuels équivaut même en quelque sorte à une condamnation à mort, tellement cette forme d’intimité charnelle est placée sous le contrôle de garde-fous à ne surtout pas franchir. Dans le même ordre d’idée, Nastassja Kinski et Malcolm McDowell ont beau se promener abondamment à poil et cultiver accessoirement une relation aux accents incestueux troublants, aucun capital érotique ne résulte de ce subterfuge voyeuriste. Bien au contraire, il participe par son inscription de longue date sur la liste interminable des frustrations corporelles de l’âme collective américaine à perpétuer cette gêne à s’adonner sans arrière-pensées aux plaisirs charnels. Ce puritanisme à peine larvé peut prendre des formes exagérées, comme la peur de Irena de coucher avec l’homme qu’elle aime, en l’occurrence un John Heard en séducteur peut-être un peu trop terre à terre pour être crédible. Mais en dépit de cette surcharge mélodramatique, ces frictions irréconciliables entre le désir et la raison forment depuis toujours le cœur des préoccupations existentielles du cinéma de Paul Schrader, un affront permanent contre l’Amérique, s’exprimant selon les films avec plus ou moins d’adresse et de subtilité.

Conclusion

Nous n’avons jamais réellement accroché à l’histoire d’une femme, qui laisse libre cours à son côté félin, quitte à devenir le paria d’une société amplement formatée. Dans l’ambiance feutrée du film noir des années ’40, elle pouvait encore plus ou moins fonctionner, tandis que son adaptation aux codes des années ’80, les coiffures outrancières en moins, dans l’air poisseux de la Louisiane, nous semble déjà moins réussie. La Féline est donc un remake qui porte les stigmates de son époque, avec tout ce que cela implique en termes de richesse de fouilles dans l’Histoire récente du cinéma d’un côté et des excès et maladresses difficiles à supporter de nos jours de l’autre.

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