Amin
France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Philippe Faucon
Scénario : Philippe Faucon, Yasmina Nini-Faucon & Mustapha Kharmoudi
Acteurs : Moustapha Mbengue, Emmanuelle Devos, Marème N’Diaye, Noureddine Benallouche
Distribution : Pyramide Films
Durée : 1h32
Genre : Drame social
Date de sortie : 3 octobre 2018
Note : 3/5
Que serait le cinéma français sans Philippe Faucon ? Ce n’est pas un réalisateur qui déplace les foules et les médias ne lui prêtent réellement attention que depuis son sacre aux César pour Fatima il y a deux ans. Or, depuis un quart de siècle et désormais une petite dizaine de longs-métrages, Faucon est l’un des rares cinéastes à mettre les Français face à leurs responsabilités, à la fois en tant que communauté historique et au niveau individuel de membre d’une société aux dysfonctionnements difficiles à ignorer. Il y procède sans emphase et il ne lève pas non plus le doigt, afin de désigner sommairement un coupable pour tant de misère au quotidien. Ses films sont au contraire discrets et presque austères dans leur description d’un réalisme français, dont les répliques se font ressentir jusqu’aux coins les plus reculés des anciennes colonies. Ce rôle d’observateur attentif et hélas quasiment exclusif des facettes multiples de l’immigration, hier et aujourd’hui, il le remplit une nouvelle fois avec sobriété dans son nouveau film Amin, présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes. Il y est question de solitude et d’éclatement familial, d’ambition matérielle et de détresse conjugale. Rien de très nouveau en fait dans le corpus thématique de la filmographie du réalisateur, de surcroît exprimé sur un ton comme d’habitude très posé. Mais c’est justement le flegme trompeur de la narration qui purifie l’action de toute fioriture, afin de ne laisser que le fait nu : l’existence cruelle au jour le jour de tant de Français venus d’ailleurs, qui ne se sentiront jamais complètement chez eux dans ce beau pays.
Synopsis : Le Sénégalais Amin vit depuis longtemps en région parisienne, où il travaille durement sur les chantiers afin de renvoyer le plus d’argent possible au pays. Il y a laissé sa femme Aïcha, ainsi que ses trois enfants, deux filles et un garçon, qu’il ne voit que lors de ses brèves visites en Afrique, une ou deux fois par an. En France, ses seuls contacts sont ses collègues, originaires du même continent que lui, avec lesquels il loge dans un foyer pour travailleurs immigrés. Un jour, il est chargé par son patron de finir seul l’installation d’une canalisation dans le jardin de l’infirmière Gabrielle. Cette dernière le ramène plusieurs fois en voiture chez lui après de longues journées de travail. Quand le chantier est terminé, Amin et Gabrielle entament une relation à l’avenir incertain.
Paris – Dakar
Le mélange des cultures, au lit et dans les cœurs, est autant une source inépuisable d’eau de rose que d’attendrissements mélodramatiques. Pour quiconque connaît ne serait-ce qu’un tout petit peu le cinéma de Philippe Faucon, il est évident que le réalisateur ne se laissera jamais corrompre par pareil sentimentalisme convenu. Sans surprise, l’aventure sans lendemain ne débute dans Amin qu’au bout d’une bonne demi-heure, comme pour mieux indiquer que le personnage principal, un père de famille droit dans ses bottes et engagé simultanément pour le bien des siens et de sa communauté, a d’autres attaches, d’autres priorités que de se laisser séduire par la première femme blanche venue. C’est ainsi surtout son voyage au Sénégal qui donne le ton, ses préparatifs tout comme son séjour sur place : un acte d’équilibriste entre le renouvellement un peu forcé de son autorité paternelle auprès de sa progéniture qu’il ne voit point grandir d’un côté et de l’autre les crispations dans la relation avec sa femme, qui rêve de l’accompagner en Europe avec les enfants. Le décalage de perception entre le point de vue de la famille restée au bled et celui des travailleurs qui se font globalement exploiter en France, le récit y revient par la suite à plusieurs reprises, dans sa volonté manifeste de rappeler l’inégalité des chances pour ces pauvres élus, envoyés tels des messies économiques au loin, sans espoir de retour s’ils veulent garder la face.
Très loin du paradis
Pendant que ses confrères d’infortune cumulent les déceptions, à l’image de cet ouvrier proche de l’âge de la retraite qui n’en aura pas, en fait, à cause d’une vie professionnelle passée dans l’illégalité, Amin aura au moins droit à un peu de tendresse dans les bras d’une cliente fraîchement divorcée, elle aussi en quête d’un sas de décompression psychologique et affective. Cette relation, promise à aucun épanouissement durable, fonctionne à la fois grâce à la pudeur avec laquelle la mise en scène l’agence et à l’interprétation naturelle de Moustapha Mbengue et de Emmanuelle Devos. Car ce n’est guère de la magie romantique qui scintille entre eux à l’écran, mais plutôt une sorte de résignation vaguement optimiste, néanmoins incapable de faire abstraction du contexte compromettant de leur liaison. Celui-ci, la narration ne le perd jamais tout à fait de vue, par exemple en retournant à intervalles réguliers en Afrique, où les proches d’Amin commencent petit à petit à se douter de quelque chose sans avoir d’autre option que de défendre l’honneur du soutien de famille, ou bien en dénonçant indirectement le jugement trop facile de la part de l’entourage de Gabrielle, soit fourbe et mesquin de la part des adultes, soit ouvertement hostile dans le cas de sa fille, une ado mal dans sa peau à cause de l’implosion récente du noyau familial. Non, dans un tel environnement, filmé par Philippe Faucon avec le même dépouillement formel que dans ses films antérieurs, il n’y a décidément pas de place ni pour l’accomplissement personnel, ni pour le soulèvement collectif face à un climat social fataliste.
Conclusion
Entièrement fidèle à lui-même, Philippe Faucon dresse un bilan social amer dans son neuvième long-métrage, sans pour autant avoir recours à l’outrage pour transmettre son indignation. Amin est un film profondément humain et humaniste, un hommage sans fard aux démunis de notre époque, qui font de leur mieux pour réussir dignement et se retrouvent pourtant toujours du côté des perdants dans un système aux dés pipés d’avance. En somme, il s’agit d’un ambassadeur noble et respectable du cinéma français doucement engagé, qui dénote agréablement parmi la prédominance de strass et de paillettes à Cannes.