Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L’occasion d’une promenade à son image – en toute liberté, et forcément subjective – dans une histoire chargée de découvertes, d’audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.
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La quinzaine a souvent eu du flair, soit en choisissant des réalisateurs prolifiques d’une cinéphilie peu exposée (Oliveira, Leston Peries, Ray …), soit en fidélisant des cinéastes « étiquettés » cannois, soit encore en sélectionnant des réalisateurs qui n’avaient qu’un ou deux longs métrages (pas forcément exportés) à leur actif (Paul Pawlikowski, Todd Solondz, Stephen Frears, Todd Haynes, Denys Arcand, Ann Hui, Atom Egoyan, Roberto Benigni, Ken Loach …). Elle a aussi manqué les débuts de Hou Hsiao-hsien et Aki Kaurismaki, n’a jamais choisit Pedro Almodovar ou Nanni Moretti, et a souvent invité Newell, Chahine, Oshima, Fassbinder, Schroeter ou encore Carle.
Aussi la sélection suivante n’intègre pas des cinéastes passés par la Quinzaine comme Théo Angelopoulos, Abderrahmane Sissako, Ang Lee, Bong Joon-ho, Gregg Araki, Michel Ocelot, Lynne Ramsey, Werner Herzog, ou tous ceux que nous venons de citer, puisqu’on ne peut pas dire qu’ils aient été révélés par la sélection parallèle. Cependant on notera que trois d’entre eux sont en compétition pour la Palme d’or cette année. Et que certains ont reçu par la suite Palmes ou/et Oscars.
Bob Rafelson – Head (1969)
Produit et coscénarisé par Jack Nicholson, ce film musical est l’adaptation au cinéma d’une série télévisée The Monkees créée par Bob Rafelson. Le film sera un échec public. Mais avec Five Easy Pieces en 1970, nommé à l’Oscar du meilleur film, et Le facteur sonne toujours deux fois en 1980, le cinéaste deviendra à la fois culte et populaire.
Lucian Pintilie – La reconstitution (1970)
Son premier film, en 1965, Dimanche à six heures, n’avait pas connu une carrière internationale fracassante malgré ses prix à Mar del Plata. Avec ce deuxième long, le cinéaste roumain s’offre une belle exposition qui en fera une figure de proue du cinéma roumain dans la période communiste. Deux fois en compétition à Cannes par la suite, avec Un été inoubliable et Trop tard, il recevra pour Terminus Paradis un Grand prix du jury à Venise.
George Lucas – THX 1138 (1971)
C’est le premier long métrage de Lucas. Déjà dans la Science-fiction. Déjà à Cannes. Sans aucun doute cette sélection lui a conféré l’aura d’un auteur singulier, avant son American Graffiti et surtout avant Star Wars, qui le propulsera sur une autre planète du cinéma. C’est évidemment son ouvre la plus audacieuse.
Martin Scorsese – Mean Streets (1974)
C’est son troisième long métrage (après Who’s That Knocking at My Door et Bertha Boxcar), mais c’est véritablement le premier à se frayer un chemin vers l’international. Mean Streets, dans la mouvance du nouveau cinéma américain initié par Coppola (qui le produit), Rafelson, Hopper, Lucas et Spielberg (tous deux avant leur passage au blockbuster), précède Alice n’est plus ici et Taxi Driver (Palme d’or deux ans plus tard). Le film révèle Robert de Niro, grâce auquel il reçoit ses premiers prix d’interprétation, et Harvey Keitel.
André Téchiné – Souvenirs d’en France (1975)
Six ans après son premier film, Pauline s’en va, primé à Venise, le cinéaste galère. Ce deuxième film si tardif, avec la présence de Jeanne Moreau en tête d’affiche et de Marie-France Pisier, qui sera césarisée l’année suivante, va lui ouvrir les portes du 7e art. Surtout, on se souvient de Pisier balançant l’une des répliques cultes du cinéma français: « Foutaises ! Foutaises ! »
Jim Jarmusch – Stranger than Paradise (1984)
Quatre ans après Permanent Vacation, Jim Jarmusch débarque à Cannes avec son 2e film, une version longue d’un court métrage réalisé un an plus tôt. Il a tout juste 31 ans. Et il devient rapidement une sensation du festival. Le film obtient la Caméra d’or à Cannes et le Léopard d’or à Locarno quelques mois plus tard. Un tremplin vers la compétition puisqu’il y sera 8 fois sélectionné, emportant le Grand prix du jury pour Broken Flowers en 2005. Il n’a jamais été nommé à un seul Oscar.
Spike Lee – Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (1986)
C’est son premier long métrage trois ans après son film de fin d’études. Le turbulent Spike Lee surgit dans la cinéphilie mondiale avec sa Nola. Non seulement ce fut un énorme succès mais il glana plusieurs prix dont celui du meilleur premier film aux Independent’s Spirit Awards. Tourné en 12 jours, il insuffle un ton nouveau dans le cinéma indépendant américain. Le film sera même décliné en série tv. Et Spike Lee est de nouveau en compétition cette année.
Terence Davies – Distant voices, Still lives (1988)
Après trois moyens métrages, le romancier et réalisateur britannique dévoile la délicatesse de son style dans ce premier long. Et ce sera la découverte d’un grand auteur. Le film sera récompensé par un Léopard d’or au Locarno Festival 1988 et cité pour le César du meilleur film européen. Il emporte également le prix FIPRESCI à Cannes puis à Toronto. Davies revient de loin: faut de budget conséquent, il a du tourner le film durant les week-ends pendant deux ans.
Michael Haneke – Le septième continent (1989)
Le futur cinéaste double-palme d’or a commencé sa carrière à l’écart du Bunker. Connu dans son pays pour ses téléfilms, il arrive avec son premier long métrage dans la section parallèle. Il y présentera les deux suivants avant d’être « upgradé » en compétition pour presque tous les films qui suivront. C’est déjà le style Haneke avec cette histoire d’une famille dont la vie quotidienne n’est rythmée que par des actes répétitifs jusqu’à s’autodétruire.
Jaco Van Dormael – Toto le héros (1991)
Quatre ans avant le carton du Huitième jour en compétition, le réalisateur belge arrive à Cannes dès son premier coup (en même temps il n’a réalisé que quatre longs métrages en près de 30 ans). Après quelques documentaires et courts métrages, ce succès public autour d’une histoire existentielle et de revanche (comme tous ses films), formellement originale, récolte toutes les récompenses: Caméra d’or à Cannes, quatre prix du cinéma européen, un césar du meilleur film étranger, quatre « César » belges…
James Mangold – Heavy (1995)
Bien avant de tourner pour les studios et les méga-stars (Logan, Wolverine 2, Night and Day , Walk the Line et Cop Land entre autres), le réalisateur américain est venu discrètement présenté son premier film à la Quinzaine, quelques mois après son avant-première à Sundance. Le film, avec Liv Tyler, est dans la lignée du cinéma américain des seventies, un peu prolétaire, un peu dramatique.
Jean-Pierre et Luc Dardenne – La promesse (1996)
C’est leur troisième fiction, et les deux frères belges sont déjà auteurs de plusieurs documentaires. Pourtant, avant qu’ils ne soient consacrés par une double Palme d’or, les Dardenne surgissent en mobylette avec un néophyte, Jérémie Renier. Tout y est déjà: la classe moyenne (plutôt celle du bas), la caméra à l’épaule, la conscience morale, le dilemme biblique, la jeunesse. C’était bien la promesse d’un certain cinéma qui allait conquérir le plus grand des festivals. Le film obtient une quinzaine de prix dans le monde.
Jafar Panahi – Le ballon blanc (1995)
De retour en compétition à Cannes cette année, le cinéaste iranien condamné à ne plus tourner ni à sortir de son pays, s’est envolé dans les étoiles il y a 23 ans à la Quinzaine avec son Ballon Blanc, drame familial poétique. C’est le seul film du réalisateur qui est sorti en Iran. Caméra d’or avec ce film, Panahi enchaînera ensuite avec un Léopard d’or au Festival international du film de Locarno pour Le Miroir, un Lion d’or à la Mostra de Venise pour Le Cercle et un Ours d’or du meilleur film au Festival de Berlin pour Taxi Téhéran. Manque plus que la Palme.
Naomi Kawaze – Suzaku (1997)
Après plusieurs documentaires, dont l’écriture influera sur celles de ses fictions, la japonaise Naomi Kawase passe au long métrage avec un drame familial dans un village en déclin. Elle aussi reçoit la prestigieuse Caméra d’or à Cannes, ouvrant la voie à six sélections en compétition ou à Un certain regard. Elle est récompensée d’un Grand prix du jury en 2007 et auréolée d’un Carrosse d’or de la Quinzaine des réalisateurs en 2009.
Bruno Dumont – La vie de Jésus (1997)
Les débuts de Bruno Dumont ont commencé au milieu de la Croisette, deux ans avant son Grand prix du jury pour L’Humanité et neuf ans avant son deuxième Grand prix du jury pour Flandres. Cet abonné au Festival (Ma Loute fut en compétition) n’a jamais dédaigné revenir à cette sélection qui l’a révélé. on y a vu l’an dernier Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc et surtout la série tv P’tit Quinquin. Dumont filme déjà le Nord, la précarité, les exclus, avec des comédiens non professionnels, avec au centre un jeune chômeur qui vit chez sa mère à Bailleul dans un triangle amoureux pas joyeux. Le film recevra en plus le Prix Jean Vigo et une mention spéciale à la Caméra d’or.
Sofia Coppola – Virgin Suicides (1999)
Prix de la mise en scène l’an dernier à Cannes avec Les proies, lauréate d’un Lion d’or à Venise, auteure d’un film culte et populaire (Lost in Translation, qui remis Bill Murray sur les rails et révéla Scarlett Johansson), l’héritière Coppola a fait ses premiers pas à Cannes avec un film qui a vite fait le buzz. Kirsten Dunst n’était pas encore connue. Kathleen Turner n’avait plus le glam d’antan. Pourtant cette tragédie familiale, enveloppée des mélodies mélancoliques du groupe Air, a lancé sa carrière avec des projections blindées et l’affirmation d’une cinéaste qu’il fallait suivre.
https://youtu.be/6ANHInTHGMA
Cristian Mungiu – Occident (2002)
Dès son premier film, le cinéaste roumain arrive à Cannes, qu’il ne quittera plus d’une manière ou d’une autre: en sélection officielle, dans un jury… ou au palmarès en 2007 avec la Palme d’or, le Prix FIPRESCI pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, en 2012 avec le Prix du scénario pour Au-delà des collines et en 2016 avec le Prix de la mise en scène pour Baccalauréat. Occident est sans doute le plus « léger » de ses films, se focalisant sur l’exode des jeunes voulant partir dans la partie la plus prospère de l’Europe, dans un pays où la corruption, l’injustice et la pauvreté ne laissent pas beaucoup d’espoir…
Nadine Labaki – Caramel (2007)
En compétition à Cannes cette année avec Capharnaüm, la cinéaste libanaise, qui nous avait enchantés à Cannes avec son précédent film Et maintenant, on va où ? il y a sept ans, a d’abord fait étape à la Quinzaine avec ce premier film, le sensuel et féministe Caramel. Un salon de beauté et de coiffure de Beyrouth permettent à cinq femmes d’évoquer leurs amours (parfois infidèles) et leurs désirs (parfois tabous). Ce portrait du Liban, et de ses communautés comme de ses conflits, a charmé le Festival, et connu un joli succès public.
Xavier Dolan – J’ai tué ma mère (2009)
A quoi reconnait-on un chouchou cannois? A sa trajectoire cannoise: de la Quinzaine au Grand prix du jury de la compétition, en passant par une Queer Palm et le film chéri d’une édition (Mummy). Xavier Dolan s’est imposé dès son premier film. Les critiques se sont vite emballées autour de ce drame de la jeunesse, où l’on retrouve déjà les principaux thèmes de son œuvre et son style personnel. Anne Dorval, Manuel Tadros, Suzanne Clément sont déjà devant sa caméra. Ces 400 coups reçoivent à Cannes le prix Art et Essai CICAE et le prix de la SACD pour le scénario, puis plusieurs mois plus tard le prix du meilleur film québécois aux « César » locaux.
Damien Chazelle – Whiplash (2014)
Avant d’être le plus jeune réalisateur oscarisé pour La la Land, le cinéaste américain a débarqué avec un film faussement musical, vraiment dramatique, et totalement initiatique. Une pulsion violente autour du perfectionnisme. Le film, déjà sacré à Sundance, a fait explosé sa cote grâce à sa réception à la Quinzaine, dithyrambique, et ce quelques mois avant d’être distingué à Deauville et d’être nommé aux Oscars. Ironie de l’histoire, son scénario a été dans la fameuse Black List des grands scripts non produits et il lui a fallu réalisé un court métrage à partir d’une partie du scénario pour convaincre des producteurs. Désormais il est au firmament, parmi les noms les plus courtisés par Hollywood. Pourtant ce n’est pas le premier film de Chazelle (il en avait réalisé un quand il était étudiant). C’est cependant bien à Cannes que sa notoriété a décollé.
Vincy pour le site Ecran Noir