Entretien avec José Mota (Abracadabra)

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J’ai grandi avec les sketchs de José Mota à la télévision. Je me retrouve aujourd’hui l’heureux invité d’un cocktail à l’Ambassade d’Espagne à Paris pour rencontrer celui qui est l’invité d’honneur avec Pablo Berger, le réalisateur du film Abracadabra (lire entretien) pour un entretien privilégié. Je tiens à remercier Michel Burstein, l’attaché de presse du film et José Mota pour leur générosité. (critique du film)

Critique-Film : Tu as beaucoup travaillé sur le petit écran [NDLR : plus de vingt ans d’expérience en tant qu’humoriste à la télévision espagnole]. Je voulais te demander s’il y a une différence pour toi quand tu prépares un projet pour la télévision et quand tu le fais pour le cinéma.

Il n’y a aucune différence en ce qui concerne la forme. Tout ce que je filme, je le fais en haute définition, en 2K. Nous avons filmé pour le cinéma en 2K ou en 4K, avec une Arri, la caméra avec laquelle tout le monde travaille aujourd’hui. Enfin, presque tout le monde, car il y a certains qui aiment bien travailler en analogique. Certaines connaissances m’ont parlé d’une nouvelle tendance qui monte en puissance en ce moment : le retour de la pellicule au cinéma. En ce qui concerne le fond, le voyage d’introspection que je fais est bien plus grand au cinéma. Il a fallu plonger au plus profond de moi-même pour construire le personnage que Pablo me proposait. J’entreprends ce voyage intérieur et je sors une partie de Pepe. Je crois qu’un acteur qui interprète un rôle dévoile toujours certains aspects de lui-même, même si je ne sais pas exactement dans quelle mesure. Nous avons tous un être merveilleux à l’intérieur de nous-mêmes et, en même temps, un petit monstre. Nous avons tous un virtuose, un misérable, nous avons tous plein de choses à montrer et beaucoup des je tout petits. C’est à ce moment-là que la vraie aventure commence. L’aventure réelle se trouve là et c’est fascinant et étonnant : ce travail d’introspection immersive à l’intérieur de soi-même, à l’intérieur de son esprit, de sa personnalité… afin de chercher à construire ce qu’on t’a demandé de faire. Voilà la grande aventure.

CF : Ce matin, Pablo me disait qu’il adore ta manière de travailler : il trouve que tu es quelqu’un de très méthodique et que tu travailles d’une manière très consciencieuse. C’est très intéressant ce que tu commençais à me dire sur Pepe. Qu’est-ce qui a attiré ton attention sur Pepe au début ?

Le personnage dessiné par Pablo est immature. L’enfant qui habite toujours en lui mène sa vie à sa guise. Pepe est habitué à cette insécurité. Il est censé habiter toujours chez ses parents, dans le lit superposé où dormait son frère qui est parti, mais lui vit encore là. Il est un personnage hésitant, dubitatif, pas sûr de lui… C’est justement ce déséquilibre qui lui permet de se projeter devant les autres avec une certaine puissance quand il interprète son rôle professionnel [NDLR : Pepe rêve de devenir hypnotiseur professionnel, même s’il travaille en tant qu’agent de sécurité dans un supermarché pour gagner sa vie]. Tu le vois apparaître sur scène, dans son costume de magicien, et tu vois quelqu’un sûr de lui. C’est dans la fiction qu’il peut devenir l’homme qu’il veut être [NDLR : L’Ambassadeur d’Espagne à Paris, Fernando Carderera, vient dire au revoir à José Mota et l’interview s’interrompt quelques instants]. Je ne sais plus ce que je te disais…

 

CF : Tu me disais que Pepe est sûr de lui quand il est dans la fiction, c’est là qu’il peut devenir l’homme qu’il veut être…

Oui, c’est dans cette fiction qu’il se sent sûr de lui. Cependant, dans la réalité, Pepe est quelqu’un d’anxieux. C’est cette double personnalité qui le fait paraître fragile dans sa vie quotidienne. Toutefois, quand il monte sur scène, il se projette comme celui qu’il n’est pas dans son quotidien : Ici, c’est moi qui commande. Voilà pourquoi quand Carlos, le mari de Carmen monte sur scène dans le but de boycotter mon numéro, l’attitude de Pepe change radicalement. Quand je demande à Antonio de la Torre (alias Carlos) de s’asseoir, je lui dis : « Je veux que tu regardes ma main fixement ». Pepe sait qu’il s’agit d’un moment clé, toi ou moi. « C’est possible que dans la vraie vie tu m’écrases, mais ça ne va pas se passer comme ça ici : tu ne pourras pas m’écraser ».

CF : « Ici, c’est moi qui gagne » …

Tout à fait, c’est ça. Voilà la fragilité du personnage : mais qui est Pepe ? Pour Carmen, il est le mouchoir pour sécher ses larmes. Elle est malheureuse dans son mariage et elle l’utilise pour être réconfortée. Pepe a compris qu’elle l’utilise mais sa cousine lui plaît. C’est un flirt qui ne va jamais plus loin. Disons que chacun a besoin de l’autre. Voici les premiers traits du personnage dessiné par Pablo. Nous avons ensuite plongé ensemble à l’intérieur du personnage et après plusieurs répétitions, nous avons réussi à lui donner naissance.

CF : Je voulais te demander aussi comment s’était passé ton expérience dans le film La chispa de la vida (Un jour de chance, 2012), réalisé par un très bon ami de Pablo, Álex de la Iglesia. Comment ton travail avec ce personnage t’a influencé pour préparer celui dans Abracadabra ?

La chispa de la vida fut mon premier grand film. Cette collaboration avec Álex de la Iglesia est une des mes meilleures expériences professionnelles. S’attaquer à Roberto, cet espagnol gris qui a eu son moment d’euphorie après avoir crée la phrase « La chispa de la vida » [NDLR : Ce fut un des slogans plus populaires de l’histoire de Coca-Cola en Espagne] et est ensuite tombé en disgrâce ; recréer ce personnage dans sa complexité et sa réalité fut un défi très important pour moi. Ce rôle m’a permis d’être nommé aux Goya [NDLR : l’équivalent des César en Espagne] et m’a apporté plein des belles choses. Je me suis beaucoup amusé, c’était un très beau voyage. Abracadabra est aujourd’hui la continuation de ce voyage. Tout ce qu’on fait dans la vie fait partie d’un apprentissage, même si certaines choses fonctionnent mieux que d’autres. Tout ce travail fait partie d’un système de musculation interprétative, c’est comme si tu faisais du sport. J’ai travaillé dans une série pour la télévision qui n’a pas très bien marché mais ça m’a quand même apporté beaucoup de force.

Tu désires poursuivre ta carrière d’acteur ?

Absolument, je suis un vrai passionné de ce métier. Il y a d’autres projets qui sortiront prochainement, je suis vraiment excité. Mais si tu me demandes si je vais quitter l’humour pour me dédier à ça… J’aimerais continuer, en fait. L’émission de fin d’année me permet de raconter ce que je vois durant l’année, c’est un vrai luxe de pouvoir le dire dans une télévision publique [NDLR : José Mota travaille à Televisión Española, la chaîne nationale de l’Espagne. La dernière émission de fin d’année réalisée par José Mota a dominé l’audimat avec un 31,5 % de parts d’audience]. C’est un privilège que j’aimerais garder, mais bon… on verra la suite des événements. Je prendrai les décisions opportunes le moment venu.

Je voudrais connaître aussi quels sont les humoristes qui t’inspirent, les acteurs qui t’ont marqué au long de ton apprentissage…

C’est une question très vaste… Tu veux que je te parle de mes icônes ? Il y a maintenant, en Espagne, quelques acteurs qui sont spécialement importants : Javier Gutiérrez (La Isla mínima d’Alberto Rodríguez) ; Antonio de la Torre ; Roberto Álamo est incroyable aussi (Qué Dios nos perdone)… Il y a des acteurs qui sont très bons en Espagne. Je n’ai pas besoin de te parler aussi de Javier Bardem… qu’est-ce qu’il nous reste à dire de lui ? J’ai vu récemment Escobar (Loving Pablo de Fernando León de Aranoa, en salles en France le 18 avril). Javier Bardem y est splendide, brillant. J’en étais bluffé.

T’avais imaginé un jour que ta carrière d’humoriste se déroulerait comme ça ?

La plupart des belles choses qui me sont arrivées dans ma vie professionnelle, je ne les ai pas préméditées. Tu proposes un éventail d’idées et c’est l’humour qui choisit, il prend une partie de ci, une partie de ça… C’est souvent comme ça que ça se passe, c’est souvent comme ça…

C’est ta manière de travailler ?

Parfois tu es surpris de voir le cours des événements. Ça m’arrive avec Whatsapp, par exemple. Des petites vignettes de mon travail qui font le buzz et qui reviennent vers moi. J’en reste bouche-bée. Par exemple, je ne sais pas si tu connais le sketch sur les effets secondaires de devenir père…

Je pense l’avoir déjà vu mais je n’en suis pas sûr.

Je commence à lire la notice et je dis à l’homme, « Félicitations, vous êtes père d’un garçon, mais je vous préviens… ». Je lui parle de toutes les difficultés d’être père et il tombe par terre. Ce sketch a fait le tour du net. Je n’avais jamais imaginé que ça pourrait arriver quand je préparais le sketch. L’humour est autonome et a sa propre vie. Tu n’arrives jamais a en maîtriser les ficelles et tu ne peux pas savoir si quelque chose va marcher ou pas. Si tu me demandais si j’aimerais les maîtriser, la réponse serait non. Je veux ce côté chaotique, je veux que tout ne soit pas pré-dessiné. Il y a certaines variables qu’on n’arrive jamais à comprendre et c’est bien. Tu n’as pas à comprendre tout. Ça rend la chose soit vivante, plus intéressante.

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