7h40. Gare d’Austerlitz. Train pour Brive-la-Gaillarde. 4h30 de trajet en train Intercité en pleine grève SNCF. La raison ? S’abreuver de moyens-métrages dans un festival qui en est à sa quinzième édition En 2018. Que ne ferait-on pas pour le pot de confiture à la framboise Léonce Blanc qui accueille les invités année après année ! (et du pâté également). Ceux qui ne l’ont pas goûtée ne sauront jamais que ça vaut largement le voyage. Pour le pot donc, mais aussi pour les films. Parfois.
On ne présente plus l’événement. Il est important car unique en son genre en Europe dans la promotion qu’il fait d’un format généralement détesté des producteurs comme des diffuseurs et donc à la visibilité moindre. On le sait, le cinéma est une industrie et donc un milieu peuplé de froussards dont les rares courageux se trouvent depuis 15 ans dans des lieux comme Brive. Le festival est en pleine adolescence mais ses moments de crise semblent loin et tant mieux. Il traverse néanmoins cet âge dit ingrat, bien sirupeux, comme le rappelle à coups de caméra super 8 Hubert Viel à chaque ouverture de séance dans des portraits de deux minutes tendrement moqueurs. Mais un peu de cynisme et d’ironie – volontaire ? ça reste la grande question – pour commencer, ça ne fait jamais de mal !
Arrivée en gare à 12h10. Première séance 20 minutes plus tard dans la deuxième salle du Rex, plutôt bien remplie pour l’occasion, tout comme les autres tout au long de la journée. Dans le brouhaha général de la cour du cinéma, nombreux sont ceux qui redoutaient, les trains manquants, la diminution du manque d’invités et les renoncements de dernière minute. Heureusement, il n’en est rien. Tout le monde, souvent les mêmes – ceux qui ont probablement goûté aux excellents restaurants du festival – revient d’années en années, ce qui est un gage de qualité.
Et ce en dépit des films.
Oui, les films. Premier jour, quatre séances, presque huit heures de projections et de discussions. Une fois encore, focus sur la compétition officielle. Impossible de trouver du temps pour les à-côtés alors que… Krzysztof Kieslowski, Hervé Guibert, Clément Cogitore, Alain Cavalier. Une fois encore, sans raison aucune, nous replongeons donc la tête la première dans l’Erreur™. Pourtant, le dictateur en chef de votre site préféré n’avait fait aucune requête spéciale au préalable ! C’est à s’interroger sur son propre niveau de masochisme parfois…
Certes, on en fait un peu trop. Dans les faits, sur huit films vus, on en a trouvé trois bons – dont un déjà vu au festival de La Roche sur Yon – deux passables et seulement trois calamiteux. Commençons pas quelques mots sur ces derniers, tous issus de la salle 2 (c’est à se demander si le 37 derrière le premier chiffre ne serait pas tombé).
Déter de Vincent Weber commence comme un film de vacances crépusculaire. La nuit, bord de plage. Deux filles parlent dans le vide. Un gros lourd bien caricatural vient les importuner, et elles le rabrouent. Au lieu de les suivre, elles et leur vie chiante au Grau du roi, le réalisateur dressera le portrait du gros lourd du Grau du roi. Encore pire. Comment faire un film qui ne soit pas un tas de clichés lorsqu’on suit un personnage qui en est un ? Impossible apparemment, répond le métrage. Tout ce qui lui arrive nous passe par-dessus la tête. Sa vie solitaire, misérabiliste, toujours vécue dans l’obscurité et en gros plans (à de rares exceptions) – ouh le joli symbolisme primaire – est consternant. Mais comme il fait tout en dansant, peut-être que le réalisateur s’est dit que ça devrait rajouter une dimension… euh… une dimension, quoi. Car oui, il danse : dans la rue et habillé, dans la rue mais en caleçon, en boîte (habillé à nouveau), chez lui à poil, avec une fille et habillé… comme si lui, sa bougeotte et son cul possédaient un quelconque intérêt. Bien sûr, seul, à la recherche de quelque chose, il croise un autre type, ils se traitent de pédales, jouent les racistes et voilà leur amitié virile de vacances construite, qui les mènera dans de palpitantes aventures faites de dragues, de visites au marché, d’alcool, de colères. L’un des deux ayant déjà les cheveux blonds, il ne manquait plus que le crocodile sur le blouson, pour reprendre ces deux grands philosophes que sont David et Jonathan. Et arrivent les filles qui, comme chacun sait, ne sont bonnes qu’à faire pleurer les mecs et démolir leurs solides relations intemporelles de la veille. Bouh. Heureusement, entre ces moments de faux amusements, notre héros fait du sport. Des pompes. De la « air-boxe » comme d’autres font de l’air-guitare. Quitte à se lever du lit pour agiter ses poings avant l’aube avec sa conquête endormie non loin. Pourquoi ? Parce que. Nous, on priait pour une sieste mais le son était trop fort.
Mais ce n’est rien comparé à ce qui nous attendait en troisième séance. Popfolk de Jivko Darakchiev et Perrine Garnot. Alors que d’habitude Ecce film est un gage de qualité, et que leur logo avant chaque générique nous rassurait, on est tombé de haut. Mais qu’est-ce qu’ils ont foutu ? 37 minutes dont presque 30 de voix off infernale, monotone, lourde qui nous abreuve de récit autour des Thraces en Bulgarie avec des images vaguement illustratives par-dessus qui n’ont aucune utilité ni fondement sauf de jouer sur le réel et le kitsch. Après 10 minutes, on a fermé les yeux pour les économiser tout en continuant à écouter l’histoire sans queue ni tête de ce narrateur qui présente ses personnages de pseudo-mafieux tombés dans une secte dionysiaque pour mieux les lâcher aussitôt. Et c’était aussi bien ainsi. Pourquoi donc dépenser du fric et faire ce truc vaguement filmique quand on aurait pu tout aussi bien faire un livre audio et l’accompagner de photos bonus ? Mystère.
Mystère également, mais autre, des Dernières nouvelles du monde de François Prodromidès. Une histoire de moine copiste qui quitte son éternel lieu de villégiature en déclarant aller chercher de l’encre pour, en fait, découvrir l’imprimerie naissante. Il rencontrera au cours de son périple un messager sans destinataire ni destinateur, un arabe sans patrie, et il ira voir la mer par procuration pour se retrouver face à une ado qui parle dans le vide et enfin quitter les ordres. Chouette. Quoique. Une idée revenait sans cesse dans les quelques neurones encore connectées qui nous restaient à force de subir de telles outrances : afin de savoir si quelque chose est véritablement utile à une narration – et ainsi raccourcir les longueurs – il faut tester ce que serait le scénario si on l’enlevait. Ressentir le changement. Le problème de ce moyen-métrage c’est qu’on aurait pu enlever chaque séquence sans que cela change quoi que ce soit. Les rencontres que fait le protagoniste sur son chemin sont vides et nulles, le style n’est ni picaresque, ni réflexif, ni épique, ni initiatique et n’est en fait rien. Les personnages secondaires n’aident pas le héros à redéfinir sa vision, son monde, sa personnalité ou son périple. Le fait qu’il soit moine n’a strictement aucun intérêt non plus. Et le copiste après avoir vu l’imprimerie nouvelle – hors champ pour ne pas trop en montrer – ne fait rien. C’est juste un type qui sort marcher pour ne jamais rentrer, il sombre dans l’oubli et on finit sur des poteaux électriques (si, si !). Il aurait finalement été possible de tout ôter, de ne rien conserver, on aurait économisé trente-quatre minutes de notre vie. Moi, me dis-je, si j’avais 34 minutes à dépenser, je marcherais tout droit vers une fontaine. Ou voir un film. Un vrai.
Heureusement on a quand-même eu droit à un peu de cinéma dans tout ça. Pour la première année, la compétition brivoise s’ouvrait à l’international après être restée longtemps européenne. Et les deux premiers films qu’on a pu voir venus d’autres contrées sont japonais. On ne s’extasiera devant aucun mais impossible de ne pas voir leurs qualités.
Yeah de Yohei Suzuki est un film qui ne vient de nulle part, le genre d’œuvre fauchée avec quelques idées qu’on voit apparaître de temps à autre et qui aurait d’autant plus pu passer inaperçu que son format l’y incitait. Le cinéaste rappelait qu’il avait d’abord fait pour montrer la vie dans un quartier résidentiel moche et coupé de tout, qu’il connaît bien. Il y a donc implanté ses fantômes, comme tout bon japonais qui se respecte : une fille avec de la coriandre sur la tête, ses démons en forme d’épouvantail, d’arbre et d’hallucinations, une autre qui est un haricot qui cuisine du curry, et quelques individus errants ci et là. Et ses décors identiques avec de légères variations dans un paysage qu’on croirait imaginaire tant il est différent des lieux habituels, jusqu’à cet hôpital vide de gens et de machines dirigé par un punk en blouse. Le cheminement de l’héroïne est tout autant burlesque et angoissant, mental et affectif que réel et illusoire, et il est impossible de savoir comment se situer vraiment. Si le réalisateur avait eu l’idée d’écrire un vrai scénario et de donner une structure à ses flottements, on aurait pu voir un grand film.
Et puisque tout film japonais est un film de fantômes, Good afternoon d’Akira Yamamoto n’échappe pas à la règle, même si les fantômes sont bien plus métaphoriques. C’est le fantôme d’une famille japonaise où nul n’a de personnalité, où tout le monde se déchire pour des histoires d’argent, de liens qui s’effacent. Alors que les réunions se font rares, qu’ils ne se voient qu’aux enterrements, tout le monde finit dans son coin à contempler des plantes, faire du sport, pleurer, muet, errant de pièces en pièces. Good afternoon est d’abord un film sur l’espace et l’organisation spatiale à la fois carrée, étroite, strictement régentée par une architecture monotone, des murs d’un blanc crème hideux et la répétition du même, et désordonnée par des mouvements familiaux amples, explosifs et incessants même s’ils sont tous vains et cafouilleux. Ils ne mèneront finalement qu’à révéler la déstructuration totale de leur microsome déjà éclaté et, finalement, mort.
Reste trois films sur lesquels revenir et ceux-là sont les plus intéressants, parmi lesquels les films de deux « stars ». A l’heure où le régionalisme reprend ou, après la Catalogne qui réclame et lutte pour son autonomie, les débats nationalistes reprennent de l’ampleur et commencent à peser réellement sur la situation en Corse, Thierry de Peretti, réalisateur ajaccien et auteur du long-métrage Une vie violente l’année passée, dresse dans Lutte jeunesse un état de ce que pense la génération des 20-35 ans nés sur l’île de beauté. Le dispositif est simple : le cinéaste reprend une partie des entretiens filmés avec les personnes qu’il a interviewées pour jouer dans le long précité et il les a montés. L’ensemble propose des réflexions sur l’indépendantisme, ses mouvements, ses réseaux, ses idées actuelles. Tous sans exception parlent d’une identité corse, de valeurs (même si celles-ci, à la manière des politiques, restent floues et peu définies), d’une lutte qui doit passer par la démocratie avant les armes, des erreurs des générations passées, des drames familiaux, de la langue qui se meurt. Ce que le film reflète, c’est un état d’esprit, quelque chose de l’âme d’une nation perdue entre ses désirs d’évasion, d’émancipation, l’idée de partir voir le monde pour ceux qui y sont et celle d’un retour au pays, d’une nostalgie des terres et des racines pour ceux qui n’y vivent plus. Il est aussi légèrement biaisé, mais ce n’est pas important tant qu’on en prend conscience et qu’on ne le considère pas comme la seule vérité Corse actuelle. Difficile, en effet, de conclure que le film reflète la pensée majoritaire : le cadre est celui d’essais d’acteurs non professionnels pour un long-métrage autour du nationalisme, les comédiens amateurs qui ont répondu à l’annonce sont peut-être les plus intéressés par l’histoire. Certains pourraient également dire ce que la directrice de casting voudrait entendre afin de retenir son attention. Il ne faut prendre le film que pour ce qu’il est sans en faire un objet de tous les combats : une trace mémorielle, une archive à conserver, et une forme militante avec tout ce que cela implique.
Vu la taille déjà importante du texte et le samedi qui s’annonce court, nous reviendrons plus tard sur les deux autres réussites du jour : Hanne et la fête nationale de Guillaume Brac, et le magnifique Derniers jours à Shibati d’Hendrick Dusolier. Le petit déjeuner et de nouveaux films nous attendent.
PS : Vu nos commentaires apparemment trop peu flatteurs pour certains qui, l’année passée, se demandaient pourquoi dire du mal d’œuvres fragiles, il faut rappeler que la fragilité n’est qu’une excuse bidon. Créer – et peu importe la création – c’est accepter de s’exposer au regard du public et donc à la critique. Considérant que les métrages courts, longs ou moyens sont d’abord du cinéma, il n’existe aucune raison qu’ils dérogent à un argumentaire critique, même – et surtout – négatif. Ceux que ça dérange peuvent arrêter le cinéma, ils arrêteront ainsi d’être vus et parfois mal aimés.