Critique : Une femme heureuse

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Une femme heureuse

Grande-Bretagne : 2017
Titre original : The escape
Réalisation : Dominic Savage
Scénario : Dominic Savage
Interprètes : Gemma Arterton, Dominic Cooper, Jalil Lespert, Marthe Keller
Distribution : KMBO
Durée : 1h41
Genre : Drame
Date de sortie : 25 avril 2018

4/5

Sa carrière dans le cinéma, le britannique Dominic Savage l’a commencée à l’âge de 13 ans, en 1975, avec Stanley Kubric : un petit rôle dans Barry Lindon. En tant que réalisateur, il a surtout travaillé pour la télévision, que ce soit sur des documentaires ou des fictions. Une femme heureuse n’est en fait que son deuxième long métrage de fiction pour le cinéma. Dès l’écriture du scénario, il a travaillé avec Gemma Arterton, tête d’affiche et productrice du film.

Synopsis : Tara est une jeune mère qui vit dans la banlieue de Londres. Femme au foyer, elle passe ses journées à s’occuper de ses enfants, de la maison et à attendre le retour de son mari le soir. Cette vie calme et rangée lui pèse de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus supporter sa situation. Elle commence à se promener dans Londres, redécouvre le plaisir de s’acheter des livres, et songe à suivre des cours d’art. Son mari Mark, qui travaille dur chaque jour, ne comprend pas ses nouvelles envies. Tara prendra sur elle jusqu’au jour où, acculée, elle pensera à changer de vie.

Une femme malheureuse

Avec beaucoup de délicatesse et de tact, sans qu’il ait été besoin de faire jouer pour lui les grandes orgues, le spectateur comprend dès les toutes premières minutes du film l’état dans lequel se trouve Tara : une jeune mère de famille, femme au foyer, un mari très lourd qui, après lui avoir proposé « un petit coup avant le boulot » dès le réveil va s’emporter pour une histoire de linge qui n’est pas sec et ne pas trouver mieux à dire que « Je bosse moi, je ne peux pas tout faire ! ». Tara ne repousse pas son mari mais on voit qu’elle n’éprouve aucun plaisir. C’est certain : Tara est tout sauf heureuse. Et ce n’est pas le reste de la journée qui va contribuer à changer la donne : les enfants qui piaillent, qu’il faut conduire à l’école, les courses à faire, etc. Et, lorsqu’il revient de son travail, Mark, son mari, qui insiste sur la chance qu’ils ont, elle et lui, « tout le monde n’a pas ça ». Et qui ne comprend rien à l’état de sa femme : « On dirait que tu vas pleurer ». Eh bien oui, Mark, ta femme n’est pas heureuse et elle a les larmes aux yeux ! Et lorsque Tara répond par un petit rire crispé à ton « J’ai raté un truc », tu devrais comprendre que, pour elle, ce sont beaucoup de trucs que tu as ratés. Sans compter la traditionnelle question de nombreux maris face à une telle situation : « T’as rencontré quelqu’un ? ».

Une petite lueur d’espoir et d’apaisement s’allume lorsque Tara prend vraiment conscience qu’elle aussi a le droit de faire quelque chose de sa vie. S’inscrire dans une école d’art, par exemple. Mais cet espoir ne risque-t-il pas d’être vite déçu par le manque d’enthousiasme de Mark ? Il suffit alors d’une goutte d’eau pour faire déborder le vase. Par exemple, se voir traiter d’empotée et d’idiote par Mark, devant leurs enfants. Et alors, c’est la fuite, l’évasion, les deux mots qui, en français, traduisent le titre original du film : « The escape ». Pourquoi ne pas avoir utiliser, comme titre français, une de ces deux traductions ? Ou ‘L’escapade », pourquoi pas ? Pourquoi, surtout, avoir choisi « Une femme heureuse », tout le contraire de ce que montre le film ?

 

Un choix gagnant : celui de l’improvisation

Des films sur les problèmes rencontrés par un couple, le cinéma mondial nous en propose plusieurs chaque année. Ils peuvent être traités sur le ton de la comédie totalement loufoque comme sur celui du drame le plus sordide. Pour Une femme heureuse, Dominic Savage a choisi une approche quasiment documentaire : tournage du film dans une véritable maison à Swanscombe, à l’est de Londres, tout près de la ville natale de Gemma Arterton, et, surtout, l’utilisation de l’improvisation par les comédien.ne.s. Choix difficile, choix risqué, mais, in fine, choix totalement gagnant. Bien entendu, Gemma Arterton, l’interprète de Tara, et Dominic Cooper, celui de Mark, sont pour beaucoup dans cette réussite : ils ne jouent pas Tara et Mark, ils sont Tara et Mark ! Tara, une femme dont le mari est persuadé qu’elle a tout pour être heureuse, qui, peut-être, l’a cru au début de leur relation, mais qui, petit à petit, prend conscience de la vacuité de son existence et se heurte à l’incompréhension de Mark. Mark, pas franchement le mauvais bougre, mais émotionnellement très maladroit dans sa relation amoureuse. Ne pas oublier également que ce choix est également gagnant grâce à Laurie Rose, le directeur de la photographie qui a su capter avec beaucoup de bonheur ces scènes de la vie conjugale.

Dans la deuxième partie du film, on saura gré à Dominic Savage d’avoir évité de glisser de sordides histoires de fric dans la relation entre Tara et Mark. C’est ainsi que ce dernier ne coupe pas l’utilisation de la carte de crédit dont dispose son épouse, alors qu’il est très probable qu’il avait la possibilité de le faire. On lui saura gré aussi d’avoir fait tout le contraire d’un « french bashing » dans cette deuxième partie : les personnages rencontrés par Tara lors de son escapade parisienne sont tous éminemment sympathiques et serviables. Anna, par exemple, une femme d’expérience, dont les conseils peuvent être utiles pour une femme déboussolée. Son interprète : Marthe Keller. Toutefois, ce qu’on retient le plus de cette deuxième partie, c’est une des plus belles et des plus émouvantes scènes de drague qu’on ait vue au cinéma. Tout laisse à penser que Gemma Arterton et Jalil Lespert l’ont improvisée : la façon dont Tara et ce photographe rencontré dans une exposition tournent l’un autour de l’autre, la façon presque animale qu’ils ont de se « renifler », ce long moment a vraiment quelque chose de magique, et il est parfaitement mis en images par le Directeur de la photographie.

 

Conclusion

Avec Une femme heureuse, le réalisateur britannique Dominic Savage nous introduit de façon presque documentaire dans l’intimité d’un couple en train de vivre des moments très compliqués. Avec beaucoup de vérité dans son approche et grâce à des comédien.ne.s au sommet de leur art, il montre combien il peut être difficile pour certaines femmes de se sentir libre tout en étant mariée. Il n’est pas exclu que Une femme heureuse puisse aider des couples à éviter l’implosion de leur relation en les poussant à discuter calmement de ce qu’ils ressentent, avant qu’il ne soit trop tard. Par ailleurs, et ce n’est pas rien, Une femme heureuse nous fait cadeau d’une des plus belles et des plus émouvantes scènes de drague que le cinéma nous ait offerte.

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