Critique : Les bienheureux

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Les bienheureux

France, Belgique, Qatar : 2017
Titre original : –
Réalisation : Sofia Djama
Scénario : Sofia Djama
Acteurs : Sami Bouajila, Nadia Kaci, Lyna Khoudri
Distribution : Bac Films
Durée : 1h42
Genre : Drame
Date de sortie : 13 décembre 2017

2.5/5

En France, on sait tous plus ou moins ce qu’est (ou ce qu’est censé être !) un soixante-huitard. Par compte, quid  d’un quatre-vingt-huitard ? C’est en Algérie que ce terme est utilisé dans certains milieux et c’est chez un couple de quatre-vingt-huitards d’Alger que Sofia Djama nous invite pour son premier long métrage. L’occasion d’écouter leurs désaccords, de rencontrer leurs ami.e.s, leurs enfants et les ami.e.s de leurs enfants. Bref, de rencontrer un pan de la société algérienne de 2008.

Synopsis : Alger, quelques années après la guerre civile. Amal et Samir ont décidé de fêter leur vingtième anniversaire de mariage au restaurant. Pendant leur trajet, tous deux évoquent leur Algérie : Amal, à travers la perte des illusions, Samir par la nécessité de s’en accommoder. Au même moment, Fahim, leur fils, et ses ami.e.s, Feriel et Reda, errent dans une Alger qui se referme peu à peu sur elle-même.

2008 : une famille bourgeoise à Alger

On l’a bien oublié dans l’hexagone, mais, au début d’octobre 1988, l’Algérie a connu des événements ressemblant fort à une révolution, suivis, de 1991 à 2002 d’une véritable guerre civile qui a fait 60 000 morts. C’est en 2008, vingt ans après les événements de 1988 et relativement peu de temps après la guerre civile, que la réalisatrice algérienne Sofia Djama situe l’action de Les bienheureux, son premier long métrage. Qui sont donc ces bienheureux ? Le sont-ils vraiment ? Le couple formé par Samir et Amal fait partie des quatre-vingt-huitards, ces gens qui, en octobre 1988, ont vigoureusement manifesté et ont obtenu, entre autres, la fin du Parti unique et une ouverture démocratique. Une grande désillusion a suivi, avec la montée de l’islamisme et la guerre civile. Ils se sont souvent posé la question : rester, partir ? Ils sont restés et ils vivent à Alger une vie très bourgeoise, tout en essayant de rester fidèles à certaines valeurs. C’est ainsi que Samir, gynécologue, a, d’un côté, l’ambition d’ouvrir une clinique mais, par ailleurs, il prend le risque de pratiquer des avortements clandestins. A un journaliste qui lui reprochait d’avoir choisi un couple algérien non représentatif, la réalisatrice a répondu que des couples de ce genre existent vraiment, ne serait-ce que dans sa famille, et qu’ils représentent une petite frange de la société dont on ne parle pas beaucoup.

Avec leurs amis de la même génération, les discussions sont parfois houleuses et tournent là aussi le plus souvent autour du thème du départ. Un départ que n’envisage pas Samir mais que Amal appelle de ses vœux, ne serait-ce que pour faciliter les études de Fahim, leur fils. En effet, aux côtés de ces quadragénaires vit une autre génération, Fahim, son meilleur ami Reda, sa meilleure amie Feriel dont il est secrètement amoureux.  Elève au lycée français, Fahim est plutôt du genre glandeur, au grand désespoir de sa mère. Reda, lui, à la fois musulman particulièrement dévot et fan du Velvet Underground,  il a deux rêves : se faire tatouer des sourates dans le dos et monter un groupe de funk halal. Quant à Feriel, sa mère s’est suicidée à cause des islamistes et elle a une vilaine cicatrice au cou qu’elle cache avec un foulard.

Si on gratte bien, une description très riche

A coup de petites touches, Les bienheureux accumule les détails sur ce qu’est la vie à Alger en 2008 : une apparence de démocratie dissoute dans la chape de plomb d’une bigoterie issue de ce qui ressemble fort à une victoire du conservatisme religieux . C’est ainsi que lorsque Samir et Amal cherchent un restaurant pour fêter leur vingtième anniversaire de mariage, ils doivent abandonner leur choix initial car on y refuse la présence de femmes au comptoir. Quant au suivant, il n’est pas question non plus question d’y rester : on n’y sert pas d’alcool en terrasse. Par ailleurs, ce que nous montre Sofia Djama des quatre-vingt-huitards, ce sont des quadragénaires revenus de leurs illusions, qui vivent entre eux, perpétuellement enfermés dans des lieux clos.

Dans la génération de leurs enfants, on investit davantage l’espace public et on n’hésite pas à rencontrer des jeunes d’un autre milieu. Toutefois, s’ils semblent plus libérés que leurs parents, si, pour eux, la question du départ ne se pose pas car ils ambitionnent de créer leur avenir dans leur pays, ces jeunes sont d’une certaine façon aussi enfermés que leurs parents, et leur point de chute préféré est un « diki », une petite cave qu’ils ont l’habitude de squatter. Dans ce qui est pour eux un espace de liberté, ils écoutent du taqwacore, mélange de punk et de piété musulmane, ils boivent, ils fument du shit, ils oublient les interdits que la société leur impose par ailleurs. Par contre, quand la révoltée Feriel se retrouve avec son frère dans la maison familiale, elle, le seul élément féminin restant, a du mal à faire comprendre à son frère Sofiane qu’elle n’est pas sa bonne.

Le fond : oui. La forme : non.

Tout ce qui précède tendrait à prouver que Les bienheureux est un film important qu’il ne faut surtout pas manquer. C’est vrai au niveau du fond, c’est malheureusement faux au niveau de la forme. En effet, c’est extrêmement brouillon et une bonne partie du film demande aux spectateurs beaucoup d’efforts pour extirper tous les détails intéressants d’un récit dans lequel on se perd et qui, globalement, présente peu d’intérêt. En fait, le film présente deux moments très forts : un repas entre ami.e.s où vérités pas toujours bonnes à dire croisent du cynisme et de l’humour ; la discussion entre Samir et Amal dans le restaurant luxueux où ils ont finalement atterri, une discussion au cours de laquelle Amal arrive à se lâcher face à l’immobilisme de son mari.

Si il y a bien un domaine dans lequel aucun reproche ne sera fait à Sofia Djama, c’est celui du casting. Dans le rôle de Samir, Sami Bouajila campe parfaitement, avec un mélange de charme et de lâcheté, ce gynécologue cultivé qui a su s’arranger avec le système et qui fait semblant de croire qu’il n’a pas trahi ses idéaux. A son côté, Nadia Kaci est une Amal qui, elle, n’en a pas fini avec l’idéologie. Elle a manifestement fini d’aimer son mari mais elle reste avec lui par habitude et pour faire bonne figure par rapport à l’entourage du couple. Jusqu’à quand ?

Parmi les jeunes, on remarque particulièrement Lyna Khoudri, l’interprète de Feriel, un rôle dans lequel elle se montre espiègle et pleine d’énergie : on peut penser que, pour Sofia Djama, c’est Feriel qui représente l’avenir de l’Algérie, la comédienne représentant quant à elle l’avenir de la réalisatrice puisqu’elle écrit un nouveau film pour elle. Les qualités de Lyna Khoudri ont été reconnues lors de la récente Mostra de Venise : elle y a reçu le Prix d’interprétation féminine de la compétiton Orizzonti.

Conclusion

Ce n’est jamais de gaieté de cœur qu’on fait des réserves importantes au sujet d’un premier long métrage d’une jeune réalisatrice, d’autant plus lorsqu’il est évident, comme ici, qu’elle a mis dans son film beaucoup d’énergie et de passion. Malheureusement, il est impossible de ne pas signaler que le côté très brouillon de la conduite du récit dessert la perception qu’on peut avoir d’un film dont les sujets traités présentent beaucoup d’intérêt.

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