Critique : We blew it

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We blew it

France : 2017
Titre original : –
Réalisation : Jean-Baptiste Thoret
Scénario : –
Acteurs : Michael Mann, Peter Bogdanovich, Paul Schrader
Distribution : Lost Films
Durée : 2h17
Genre : documentaire
Date de sortie : 8 novembre 2017

4/5

Spécialiste du cinéma américain et, tout particulièrement, de ce qu’on a appelé le Nouvel Hollywood, Jean-Baptiste Thoret s’est rendu il y a 2 ans aux Etats-Unis afin de préparer un film sur le cinéma américain. Une fois sur place, il s’est trouvé immergé dans la campagne de l’élection présidentielle de novembre 2016 et, ayant compris que Donald Trump avait de grandes chances d’être élu, il a fait bifurquer son film dans une autre voie : comment l’Amérique des années 60/70 a-t-elle bien pu glisser vers l’élection d’un individu comme Donald Trump ? D’où le titre du film, tiré d’une réplique de Easy Rider : We blew it, on a foiré !

Synopsis : Comment l’Amérique est-elle passée d’Easy Rider à Donald Trump ? Que sont devenus les rêves et les utopies des années 60 et 70 ? Qu’en pensent, aujourd’hui, ceux qui ont vécu cet âge d’or ? Ont-ils vraiment tout foutu en l’air ?

le début d’une nouvelle période

Impossible de raconter un film comme We blew it ! Un film très riche, qui part dans de nombreuses directions, un film qui s’efforce d’expliquer ce qu’ont été les années 60/70, cet âge d’or pour la jeunesse de l’époque et pour la création artistique. Nostalgie pour celles et ceux qui ont vécu cette période, découverte pour les plus jeunes. Une période dont on arrive assez facilement à dater le début (1963, l’assassinat de Kennedy) mais dont il est beaucoup plus difficile de dater la fin.

L’assassinat de Kennedy, le 22 novembre 1963, We blew it en parle longuement : événement dramatique qui traumatise le pays durant plusieurs semaines. Toutefois, dans la foulée, le film glisse que, peu de temps après Dallas (77 jours, en fait), l’arrivée des Beatles sur le sol américain va redonner le moral à l’Amérique et donner le départ à une longue période de création musicale et de contestations virulentes (Vietnam, Droits civiques). Sans oublier que, le 27 mai 1963, était sorti « The Freewheelin’ Bob Dylan », le deuxième album de Bob Dylan, le premier à rencontrer le succès, révolution musicale au moins aussi importante que l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones, mais cela, le film n’en parle pas.

Un grand nombre de rencontres

Avec We blew it, nous circulons d’est en ouest dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, nous circulons sur les routes et les autoroutes de ce pays, au milieu des grands espaces, nous empruntons un bout de la mythique Route 66 et nous rencontrons une foultitude d’américains divers et variés : de nombreux réalisateurs de cinéma ; Bob Mankoff, un cartooniste et éditeur du New-Yorker ; Ronee Blakley, une comédienne et chanteuse ayant joué dans Nashville. Mais aussi un homme qui a vécu à fond la période Sex, drugs and Rock’n’roll des années 60/70 et qui s’apprête à voter Trump ; une mère de famille qui milite pour Trump au sein des Républicains ; Angel Delgadillo, un vieux barbier de Seligman qui participe activement à la renaissance de la Route 66 dans sa bourgade de l’Arizona ; des habitants de Goldfield, petite ville plus ou moins abandonnée du Nevada ; des vétérans du Vietnam, touchés par l’agent orange, des gens que le pays a oubliés et qui n’ont que les conventions les réunissant pour pouvoir parler, entre eux, de ce passé difficile.

We blew it montre l’importance de l’année 1969, une année qui, pour le réalisateur, représente 10 années de l’histoire des Etats-Unis. Avec, cette année là, le Festival de Woodstock, sommet musical de cette période « peace and love ». Curieusement, le réalisateur choisit de prendre l’assassinat de Sharon Tate par la « family » de Charles Manson, le 9 août 1969, comme marquant plus ou moins la fin de cette période d’insouciance. Curieusement, car cet assassinat a eu lieu une semaine avant Woodstock ! Plus judicieux eut été le choix du Festival d’Altamont, en décembre 1969, avec le coup de poignard mortel donné à Meredith Hunter, un jeune noir de 18 ans,  par un hells angel du service d’ordre.

On s’accorde toutefois à prolonger cette période particulière de l’histoire des Etats-Unis bien au delà de 1969. Pour certains sa fin coïnciderait avec l’arrivée du disco de Donna Summer, pour d’autres ce serait le départ de Saïgon par les américains. En tout cas, elle se situe au milieu des années 70. Et, dans l’imaginaire américain, cette période représente la grandeur des Etats-Unis pour quiconque se situe à gauche de l’échiquier politique alors que, pour la droite, c’est ce qui précède, les années 50, et ce qui suit, les années 80 et 90, qui représentent cette grandeur.

 

Des choix intelligents

Jean-Baptiste Thoret a eu l’intelligence de ne jamais intervenir directement dans son film : sans doute après avoir préparé le terrain, hors tournage, il laisse parler ses interlocuteurs. Autre choix intelligent : il ne cherche jamais à se moquer, grâce, par exemple, au montage, de celles et ceux qui, probablement, ne partagent pas ses valeurs. Son film n’est jamais un film à thèse. N’étant pas guidé par un commentaire orienté, il faut découvrir par soi-même pourquoi un ancien adepte du « Sex, drugs and rock’n’roll » en arrive aujourd’hui à voter Trump : et si c’était, tout simplement, parce que ce dernier, pas aussi stupide qu’on le pense, est arrivé à mettre dans la tête de ses électeurs qu’il était LE candidat hors système. Hors système comme l’étaient les hippies dans les années 60 ! Ce qui a foiré ? On ne sait pas trop, finalement. Peut-être le fait, comme le dit un protagoniste, que, dans ces festivals et dans les mouvements de contestation de l’époque, le plus important n’était peut-être pas de chercher à changer la société mais plutôt de trouver avec qui coucher dans un avenir proche !  Est-il envisageable, aujourd’hui, de reprendre le flambeau de cette époque ? Difficile d’y croire, même si l’émergence de Bernie Sanders sur l’échiquier politique peut donner un semblant d’espoir.

Bien évidemment (comment, vue l’époque, aurait-il pu en être autrement !), l’accompagnement musical du film est de toute première qualité : Jefferson Airplane, The Band, Simon and Garfunkel, Creedence Clearwater Revival, Bob Dylan, Otis Taylor, Sam Cooke, Led Zeppelin, Bruce Springsteen, etc. Toutefois, il est intéressant de savoir que la confection de cette bande son n’a pas été de tout repos. Impossible, par exemple, d’obtenir les droits pour l’interprétation de « Star Spangled Banner » par Jimi Hendrix lors du Festival de Woodstock : les ayant-droits ne veulent plus que le nom de Jimi Hendrix soit associé à la violence, à la drogue et à la politique. Par contre, aucune difficulté avec Bob Dylan : « vous aimez le cinéma de Sam Peckinpah, moi aussi », accord conclu !

Conclusion

Même si on peut se montrer irrité par certains partis pris, même si on peut se montrer en désaccord avec certains choix, on ne peut que remercier Jean-Baptiste Thoret pour ce film d’une grande richesse qui, tout en n’étant en rien un film à thèse, devrait permettre au public français de mieux comprendre ce qu’ont été les Etats-Unis des années 60/70 et ce qu’ils sont aujourd’hui.

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