La Roche-sur-Yon 2017 : Lucky

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2003

Lucky

Etats-Unis, 2016
Titre original : Lucky
Réalisateur : John Carroll Lynch
Scénario : Logan Sparks et Drago Sumonja
Acteurs : Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston, Ed Begley Jr.
Distribution : Kmbo
Durée : 1h28
Genre : Drame de vieillesse
Date de sortie : 13 décembre 2017

Note : 3,5/5

Un chant de cygne digne de ce nom, cela ne se commande pas. Il relève en effet de la nature même de la mort que l’on ne sait a priori pas quand elle frappe et que nos préparatifs à son égard seront donc toujours incomplets. Dans le contexte d’une carrière artistique, truffée d’innombrables aléas matériels, choisir avec précision et assurance sa dernière œuvre relève de l’exploit. D’où notre émerveillement, hélas guère souvent renouvelé, face à des films qui terminent dignement une filmographie respectable. Tel est le cas de Lucky, une pépite cinématographique d’une beauté et d’une subtilité bluffantes, qui célèbre la vieillesse au lieu d’y voir une impasse sinistre, jonchée de maladies, de la perte des souvenirs et autres signes d’une décrépitude irréversible. Feu Harry Dean Stanton y tient un rôle crépusculaire en or, probablement en pleine conscience puisqu’il est décédé quinze jours avant la sortie américaine et trois mois avant celle dans les salles françaises. Son personnage est un vieux sage ronchon, un dinosaure qui fait partie intégrante du décor local de la bourgade au milieu de nulle part, où il mène une vie très tranquille et routinière. Nous le devons alors à la mise en scène gentiment rusée de John Carroll Lynch que cet univers préservé et l’histoire simpliste qui s’y déroule, revêtent une intensité filmique irrésistible, à la hauteur du monument confidentiel que son acteur principal était pendant un demi-siècle !

Synopsis : Rien, ni personne ne peut perturber l’emploi du temps journalier du nonagénaire Lucky. Il se lève, se lave, fait exactement cinq exercices de yoga, se prépare une tasse de café, puis traverse à pied la petite ville en plein désert où il vit seul, pour se rendre dans le café de Joe, où il tente de remplir quelques grilles de mots croisés. Fermement calé dans son canapé l’après-midi pour regarder des jeux télévisés, il retrouve le soir venu son ami Howard et les autres habitués du lieu dans le bar de Elaine. Or, un jour, Lucky fait sans raison une chute dans sa cuisine, un accident qui fait aboutir son médecin au diagnostic imparable : c’est la vieillesse.

Rien de rien

Lucky n’est pas un film sophistiqué à outrance, qui chercherait à tout prix à ériger un monument à l’honneur de son acteur de légende. Son découpage est presque austère, avec la répétition des mêmes gestes, matin après matin, dont les variations imperceptibles laissent pourtant supposer que la narration sait pertinemment détecter la nuance dans un éternel retour du même. Vue à travers le regard d’un observateur moins impliqué et sympathique, cette existence répétitive et terne serait l’exemple parfait d’une fin de vie tristounette, solitaire et sans autre projet que d’accueillir avec un minimum d’appréhension une mort qui ne saurait tarder. Pour notre plus grand bonheur, le ton du premier film de l’acteur John Carroll Lynch se rapproche de celui de l’anomalie magistrale dans la filmographie de David Lynch – présent ici devant la caméra en tant que meilleur ami des animaux – Une histoire vraie. Il s’y passe à peine plus que dans le voyage en tondeuse avec Richard Farnsworth. Et pourtant, de fil en aiguille, jamais particulièrement charmant ou généreux, le personnage accède au même niveau de sagesse intime que son frère fictif dans le film de la fin du siècle dernier. De là à voir dans Lucky une réplique filmique, elle aussi investie d’une mélancolie éclairée, du chef-d’œuvre de Lynch le maître, il n’y a qu’un pas que nous franchissons sans hésiter !

En tout et pour tout

Car aussi étonnant que cela puisse paraître de la part d’un protagoniste trop vieux et désabusé pour se prêter encore à quelque folie physique ou spirituelle que ce soit, Lucky traverse tout de même un processus d’apprentissage. En guise de dernière pièce du puzzle pour parfaire son humanité, il se prête à une drôle d’alternance entre des moments de solitude et en compagnie, qui apporteront chacun leur pierre à l’édifice. Le spectre des révélations en tout genre s’étend alors de la découverte mi-linguistique, mi-philosophique que le réalisme existe bel et bien, jusqu’à une séquence onirique qui pourrait quand même sortir tout droit de l’imagination de David, l’avocat des tortues terrestres, en passant par des échanges sans exception très denses, comme si le personnage principal n’avait plus le temps de bavarder et préférait proférer un mélange implacable d’insultes et de vérités profondes. Il est alors tout à l’honneur de la réalisation de ne pas s’éterniser sur ces instants d’une délicatesse inouïe, comme la rencontre fortuite avec un autre vétéran de la guerre du Pacifique, interprété par Tom Skerritt – également plus très jeune – ou la séance de louanges sous l’influence des prouesses de Liberace. Et même la séquence la plus touchante du film, quand l’invité un peu à part de la fête d’anniversaire mexicaine entonne impromptu une chanson, ne force pas non plus le trait. Elle s’inscrit plutôt dans le flux malicieux d’un récit, qui nous subjugue avec finesse, grâce à son pragmatisme au sourire goguenard.

Conclusion

Harry Dean Stanton n’est plus. Avant de partir, il nous a cependant laissé un cadeau filmique de premier ordre, le genre de signe d’adieu à la fois noble et moqueur dont chacun d’entre nous rêve secrètement. Lucky est un premier film d’une humilité renversante, jamais condescendant à l’égard de ses personnages joliment provinciaux, mais au contraire assez courageux pour se mettre à leur niveau, pour mieux en faire ressortir une humanité désarmante. Bref, voici notre premier coup de cœur de la sélection officielle du Festival de La Roche-sur-Yon !

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