Critique : Quand une femme monte l’escalier

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Quand une femme monte l’escalier

Japon, 1960
Titre original : Onna ga kaidan wo agaru toki
Réalisateur : Mikio Naruse
Scénario : Ryuzo Kikushima
Acteurs : Hideko Takamine, Masayuki Mori, Reiko Dan, Tatsuya Nakadai
Distribution : Les Acacias
Durée : 1h51
Genre : Drame
Date de sortie : 21 décembre 2016 (Reprise)

Note : 3/5

Et si le cinéma japonais classique était celui qui parlait le mieux de la condition des femmes, à une époque où le féminisme à l’écran n’en était qu’à ses balbutiements mélodramatiques du côté des films occidentaux ? Notre supposition ne vise expressément pas le sous-genre des œuvres mi-sadiques, mi-érotiques, dont l’image de la femme se démarquait au contraire par une dégradation en tant que simple objet sexuel, à la disposition des hommes particulièrement vicieux dans le cadre de ces fantasmes malsains. Il existait néanmoins une école de cinéastes, avec toutes les variations imaginables au sein des filmographies distinctes, qui avait en quelque sorte pour mission de tenir compte du sort des femmes sur l’ensemble de l’Histoire nippone et dans tous les recoins sociaux. Là encore, il faudrait exclure le plus populaire – ou en tout cas le plus prisé en Europe et en Amérique – des réalisateurs japonais de l’époque, Akira Kurosawa, qui faisait alors figure d’exception avec ses épopées sous le signe d’une virilité plus ou moins mal-en-point. Mais les films de Kenji Mizoguchi, de Yasujiro Ozu et de Mikio Naruse ont su dresser sans relâche le portrait d’une gente féminine en détresse et pourtant suffisamment noble pour subir avec une incroyable élégance les diverses tragédies que la société japonaise lui réserve. Moins romanesque que Une femme dans la tourmente du même réalisateur, ressorti en France un an plus tôt, Quand une femme monte l’escalier est toutefois une saisissante fable morale sur le cercle vicieux dans lequel le personnage principal s’épuise malgré lui, après une lutte éprouvante pour élargir le spectre de ses options d’avenir.

Synopsis : Keiko est hôtesse de bar dans un quartier de Tokyo, où les hommes fortunés et autres maris infidèles viennent se prélasser une fois le soir venu. Au début de l’automne, les affaires vont mal et le patron demande à Keiko d’appeler ses anciens clients, qui ont suivi sa collègue Yuri, partie ouvrir son propre établissement. Une femme de principes malgré son métier peu valorisant, elle refuse et change de bar, accompagnée par son fidèle manager Komatsu. Pendant qu’elle y jongle entre ses prétendants habituels, bien décidée à ne pas se laisser enfermer dans le choix d’un client attitré, Keiko doit se rendre à l’évidence du choix existentiel pressant, entre un nouveau mariage ou l’opportunité professionnelle d’ouvrir à son tour son propre bar.

Romance ou commerce

Toutes proportions gardées, il ne serait sans doute pas exagéré de qualifier Keiko de femme de carrière, le type de fonceuse avisée et ambitieuse, qui allait mettre le monde du travail sens dessus dessous quelques décennies plus tard et dont le cinéma américain des années 1980 a amplement relayé les aventures pas toujours édifiantes dans un monde de brutes machistes. Or, son rêve d’autonomie, qui rime forcément avec le pouvoir et surtout la liberté de dire et de faire ce que l’on veut, est constamment plombé par un réalisme social sans fioriture, l’une des qualités indiscutables du film. La vocation d’évasion, inhérente au divertissement cinématographique, y est volontairement laissée de côté, au profit d’un rapport presque obsessionnel à l’argent, d’autant plus précieux et vital lorsqu’on n’en a pas, comme la plupart des personnages de Quand une femme monte l’escalier. De cette précarité généralisée résulte alors non pas un goût prononcé pour le misérabilisme, à retrouver tout juste dans les calculs affectifs de Keiko et de ses consœurs, incapables d’imaginer un amour désintéressé, mais une forme de pragmatisme désillusionné, dont la destination finale s’avère être l’hypocrisie à l’état pur. Le délicat acte d’équilibriste entre la vulgarité du travail et une réputation à défendre bec et ongles réussit pendant un certain temps au personnage principal, aidé, il est vrai, par l’élégance épurée de la mise en scène. Mais l’accumulation de revers finira par la ramener – elle qui donne sans cesse matière à ragots romantiques à ses rivales larvées – au point de départ, c’est-à-dire à une voie sans issue, ponctuée de bifurcations trompeuses sous forme de gueules de bois et de coups sans lendemain, qui provoquent des rêves larmoyants.

Un métier marqué au fer rouge dans la tête

Autour de cette femme meurtrie, interprétée avec une intensité subtile par Hideko Takamine, gravitent toutes sortes d’hommes, nullement mieux lotis qu’elle, lorsqu’il s’agit de faire face au pessimisme de la vie près des bas-fonds. Ses clients gardent tous leur distance face à Keiko, selon un raisonnement complémentaire au sien, qui rechigne à s’engager afin de garder l’éventail des options grand ouvert. Et quand elle s’apprête enfin à franchir le pas, d’abord avec l’homme qui prétend la rendre respectable, puis avec celui qu’elle considérait depuis toujours comme le meilleur parti, ces concrétisations de désirs, en fin de compte contradictoires dans l’univers hautement codifié de Mikio Naruse, se soldent par des échecs encore plus cuisants que tous les problèmes d’argent réunis. Dans ce microcosme mensonger, où le sexe et le fric priment sur tout – même si la narration s’emploie avec une délicatesse remarquable à contourner les événements les plus crus –, il n’y aurait en fait qu’un seul homme en mesure de comprendre, voire peut-être de satisfaire cette femme cruellement consciente de son degré d’exploitation. Hélas, son docile acolyte Komatsu, un Tatsuya Nakadai tout en retenue comme le veut son rôle ambigu, commet la même erreur fatale que la femme qu’il a mis à tort sur un piédestal : il s’obstine à croire en la possibilité de sortir indemne du marasme moral dans lequel ils exercent tous les deux, à tel point de lui proposer in extremis la quadrature du cercle en guise d’échappatoire en couple au service de la prostitution larvée. Naturellement, pareille imagination farfelue ne peut aboutir dans le contexte d’un film avant tout soucieux d’abolir, l’une après l’autre, les fausses promesses d’une fiction réconfortante.

Conclusion

Comparé à ses contemporains précités, Mikio Naruse compte parmi les trésors enfouis du cinéma japonais, à (re)découvrir d’urgence. Quand une femme monte l’escalier est ainsi un conte moral élaboré sans la moindre esbroufe. Très digne dans la description d’un destin de femme loin de toute connotation d’héroïsme ou de romantisme sirupeux, il s’inscrit dans la plus pure tradition d’un cinéma engagé, qui n’a pas besoin de fanfaronner pour convaincre.

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