Entretien avec Tobe Hooper (septembre 2014)

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Lors de la septième édition du Festival de Strasbourg, Tobe Hooper était invité à présider le jury à l’occasion de la ressortie en salles, en DVD et Blu-rayd’une superbe copie restaurée de Massacre à la tronçonneuse chez TF1 Vidéo (voir test dvd). Voici la reprise d’un entretien qu’il nous avait alors accordé.

Vous êtes originaire d’Austin, Texas, où se trouve une importante scène de réalisateurs indépendants. Quel lien avez-vous avec eux ?

J’ai beaucoup d’amis proches parmi eux, à commencer par Richard Linklater et Robert Rodriguez, et d’autres encore dont Terrence Malick. Mais ce vivier n’est apparu que bien des années après Massacre à la tronçonneuse. Quand je suis revenu à Austin pour tourner la suite, une partie de mon équipe de Los Angeles a tellement adoré la ville qu’ils ont décidé de rester là-bas ! C’est un peu comme ça que l’industrie du cinéma a vraiment débuté à Austin. J’ai vu Slacker de Richard Linklater quand je vivais encore à Londres et son rendu de Austin est très juste. L’université du Texas est là-bas. Austin, c’est un peu le carrefour du monde.

Lorsque vous avez réalisé Massacre à la tronçonneuse, il n’y avait donc pas encore de véritable industrie du cinéma à Austin ?

Au départ, c’était dans les années 60, il n’y avait que moi et quelques copains. Nous avons monté une boîte, Film House, et tourné beaucoup de publicités et de documentaires pour la télévision. Je n’avais pas l’intention de rester dans ce secteur du métier. J’ai exercé cette activité pour me former à la caméra et être capable de faire un film. Ce que je voulais réellement, c’était faire des films qui auraient un impact suffisant pour me faire connaître à Los Angeles et aller travailler là-bas.

Peut-on considérer la scène d’ouverture de Lifeforce, où les personnages pénètrent dans le vaisseau par un conduit comparé à une “artère géante” comme un hommage au Voyage fantastique de Richard Fleischer ? Lorsque Lucky Mc Kee (May) est venu ici en 2011, il expliquait d’ailleurs que c’était vous qui lui aviez fait découvrir son œuvre et inciter à voir L’Étrangleur de Boston.

Richard Fleischer était un de mes réalisateurs favoris. Il pouvait faire n’importe quel film, passer de L’Etrangleur de Boston à L’Etrangleur de Rillington Place en passant par Soleil vert. C’était un formidable cinéaste. Il m’a beaucoup influencé. John Frankenheimer aussi, en particulier Seconds-l’opération diabolique et Un crime dans la tête. Pour cet élément de Lifeforce que vous évoquez, c’est très probable. J’ai vu tellement de films, avant même de savoir parler ! Le cinéma est dans mon ADN.

Dans Toolbox Murders, un personnage dit «ça ne sert à rien de fermer les portes pour empêcher le mal d’entrer, il est déjà à l’intérieur». Cette idée de «mal intérieur» peut s’appliquer à la majorité de vos films où des innocents viennent de l’extérieur et dérangent ou réveillent ce mal intérieur, une famille, une communauté ou un animal. C’est valable pour Le Crocodile de la mort, Les Vampires de Salem, Massacre dans le train fantôme, Poltergeist… Deux films font exception à ce principe, Lifeforce et L’Invasion vient de Mars. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ces deux films où le Mal vient plutôt de l’extérieur et comment votre mise en scène s’est adaptée à cette variation d’origine ?

En ce qui concerne Lifeforce, j’ai toujours aimé les films de la Hammer comme par exemple Frankenstein s’est échappé. Lifeforce avait un plus gros budget grâce à la Cannon qui l’a produit et distribué et j’ai pu donner une atmosphère gothique, notamment dans la scène de l’église. Je voulais faire quelque chose de différent. J’ai vécu au Royaume-Uni et à Londres, et j’ai tendance à devenir une sorte de caméléon et à absorber les cultures des autres, à m’inspirer d’eux et à être comme un miroir. Pour L’Invasion vient de Mars, j’adorais, quand j’étais enfant, le film d’origine de William Cameron Menzies, Les Envahisseurs de la planète rouge (Invaders from Mars). Effectivement l’horreur vient de l’extérieur mais elle est déjà à l’intérieur car les parents sont contaminés, comme par des «body snatchers». Avoir peur de ses parents, les voir se transformer, c’est terrifiant pour un enfant. J’ai tenu à reprendre le symbole de la barrière qui se dresse en haut de la colline derrière la maison comme dans le film d’origine. J’ai engagé le directeur artistique Les Dilley, qui avait travaillé avec Ridley Scott sur Alien, pour recréer cette image.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette période de votre carrière qui couvre les années 80, de Poltergeist aux trois films que vous réalisez pour la Cannon (Lifeforce, Massacre à la tronçonneuse 2 et L’Invasion vient de Mars) ?

Tout se mélange dans ma mémoire sur ces années-là car à l’époque je passais d’un film à l’autre. C’était la plus belle période de ma vie, je faisais des films sans vraiment me reposer entre chacun d’entre eux. Le tournage de Lifeforce s’est étalé sur 117 jours, ce qui est très long. Tout ce que je peux vois dire de cette période, c’est que j’étais heureux, tout simplement. J’étais devenu un membre de la famille Cannon. Menahem Golan était bigger than life, un personnage assez fantasque.

Lifeforce est comme un inversement des genres du Dracula de Bram Stoke entre le vampire masculin et sa proie, Lucy, devenue un homme. Cet élément était-il présent dans le roman de Colin Wilson dont Lifeforce est l’adaptation ?

J’ai dû couper drastiquement le roman en l’adaptant. Le roman s’appelait Les Vampires de l’espace, donc la référence aux vampires était déjà là. Quand l’âme est aspirée comme par une sorte d’électrocution, beaucoup parlent de zombies mais moi je les considère plutôt comme des walking shrivelled, des «ratatinés qui marchent». C’est pour ça que j’ai fait appel à des acteurs très maigres auxquels je faisais porter des costumes très très larges de telle sorte pour qu’ils aient l’air émaciés lorsque leur énergie vitale leur était ôtée. Le thème majeur pour moi, c’est le mystère des relations humaines, comment elles fonctionnent, comment elles peuvent vider votre énergie. C’est plutôt là que se trouverait l’inversion du mythe de Bram Stoker. Cela dit, Mathilda May était bien plus jolie que Bela Lugosi !

A partir des années 90, vous travaillez de plus en plus pour la télévision, notamment avec Lawrence Hertzog, créateur de la série L’Homme de nulle part (Nowhere Man) dont vous réalisez le pilote. Quel a été votre apport à cette série paranoïaque ?

Lawrence a écrit le pilote et je l’ai réalisé. C’était un scénario très cool, lui aussi était un gars très cool d’ailleurs et très intelligent. Nous fumions tous les deux le cigare et c’est devenu un gimmick dans la série. À chaque fois qu’un personnage allume un cigare et utilise la pointe d’un crayon pour y percer un petit trou pour aspirer la fumée, sur l’air de La Vie en rose, on sait que quelque chose de terrible va se produire.

Dans cette série, il est question de la façon dont on peut changer le sens d’une image en la retravaillant, comme on peut le voir à travers cette photo intitulée « Hidden Agenda » qui a un rôle important dans l’histoire. En passant de l’argentique au numérique pour parvenir à la copie restaurée de Massacre à la tronçonneuse, le style visuel du film a-t-il été transformé, voire trahi ?

Nous n’avions pas le choix. L’émulsion de l’original était en train de se dégrader et, sans restauration, on aurait perdu le film. Mais j’étais très conscient des inquiétudes des critiques qui craignaient que le résultat soit trop propre, trop net. J’ai passé beaucoup de temps pour m’assurer que les couleurs restent fidèles à l’original et gardent le même équilibre dans les effets de contrastes. J’ai également beaucoup travaillé sur le son, j’ai dû couper certains morceaux et les remplacer, en prenant soin de ne pas ruiner le mixage original de Robert «Buzz» Knudson, un des meilleurs mixeurs de l’époque. Il a obtenu trois Oscars dont un pour L’Exorciste et a aussi travaillé sur La Mélodie du bonheur. Je voulais à la fois conserver le mix original en mono et passer au Dolby pour renforcer l’impact du son sur le spectateur.

Propos recueillis conjointement par Pascal Le Duff pour critique-film.fr et Ray Fernandez pour le site Daily Mars, tous les deux hyper frustrés du temps limité pour cet entretien (moins de trente minutes) mais ce fut une belle rencontre, avec un cinéaste qui aimait parler de son travail. Merci à Adèle Hattemer pour la traduction des propos de Tobe Hooper.

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