Critique : Kids return

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Kids return

Japon, 1996
Titre original : Kizzu ritân
Réalisateur : Takeshi Kitano
Scénario : Takeshi Kitano
Acteurs : Ken Kaneko, Masanobu Andô, Leo Morimoto, Mitsuko Oka
Distribution : La Rabbia
Durée : 1h48
Genre : Drame d’adolescents
Date de sortie : 9 août 2017 (Reprise)

Note : 3,5/5

Takeshi Kitano est de retour ! A cette annonce, susceptible de déclencher des effusions de joie chez les admirateurs du maître japonais, il faudrait cependant joindre un bémol quelque peu doux-amer. Car si le public français a le privilège au début du mois d’août de voir trois films signés Kitano sur grand écran, il convient de préciser qu’il s’agit de la ressortie en copies restaurées d’œuvres issues de sa période faste, pendant la deuxième moitié des années 1990. A ce moment-là, chaque nouvelle réalisation de la part de la vedette du petit écran japonais faisait sensation, tandis que de nos jours, ses films récents n’ont même pas eu l’honneur d’une sortie cinéma à la hauteur de sa réputation internationale. Une dose de mélancolie se mêle par conséquent à l’euphorie de (re)voir ces films qui ont autant marqué une époque. Ce sentiment s’avère particulièrement adéquat dans le cas de Kids return, le sixième film de Kitano et le deuxième à sortir sur le territoire français en 1997, calendrier chaotique de découverte sur le tard de chefs-d’œuvre asiatiques oblige. Encore plus que les deux autres films au programme de cette somptueuse mini-rétrospective concoctée par le distributeur La Rabbia, Hana-bi et L’Eté de Kikujiro, ce drame jette un regard nullement complaisant sur l’âge difficile de l’adolescence et les choix qui y décideront sans appel sur le cours de la vie d’adulte.

Synopsis : Shinji et Masaru sont des amis inséparables. Plutôt que d’aller en cours, ils préfèrent s’amuser en faisant le pitre dans la cour du lycée ou en se moquant des profs et de leurs camarades de classe qui n’ont pas choisi la voie des cancres. Ils se font un peu d’argent en rackettant les autres élèves, comme des caïds en herbe, puisque leurs notes insuffisantes les prédestinent quasiment à une carrière parmi les yakuzas. Quand Masaru se fait tabasser par un ami de leurs victimes habituelles, il décide d’apprendre la boxe afin de mieux savoir se défendre.

Le Péril jeune contre Rocky, premier round

A des détails mineurs près, propres à la culture ou au contexte historique, les 400 coups se font de la même façon en France ou au Japon, à la fin des années 1950 ou au milieu des années ’90, chez Truffaut ou sous l’œil avisé de Kitano. Aussi différents d’un point de vue formel ces deux films soient-ils, ils procèdent de concert à la démystification de la jeunesse, dépeinte sans équivoque comme le terroir de la bêtise, voire de la méchanceté. Dans Kids return, nous assistons au retour en arrière, empreint d’une conception pour le moins rude de la réalité, de deux amis d’enfance qui s’étaient perdus de vue, avant de se retrouver par hasard au début du film. Or, ce dispositif narratif ne paraît guère intéresser la mise en scène ou en tout cas pas en tant que créateur de sentiments mielleusement nostalgiques. Non, chez Takeshi Kitano règne la loi de la jungle urbaine, directe et brutale, parfois volontairement décousue, quoique sans cesse à la recherche d’une vérité filmique qui nous réserve de nombreux morceaux de bravoure. Ainsi, il filme avec une virtuosité jamais prise en défaut le mouvement, en vélo ou en course à pied, sur les notes poétiques de la partition de Joe Hisaishi. Sauf que la vocation de ces échappées n’est point d’accentuer le caractère héroïque et fédérateur de l’épreuve sportive – contrairement à la morale volontariste qui sous-tendrait pareille entreprise du côté du cinéma hollywoodien –, mais de relativiser au contraire l’état d’esprit peu glorieux des deux protagonistes, en lui conférant en quelque sorte ses lettres de noblesse cinématographiques.

Branleurs pour la vie

L’exploit du réalisateur va même encore plus loin, puisqu’il réussit à nous passionner pour un récit dont les points d’identification restent presque rageusement flous. Alors que le retour périodique à une poignée de décors instaure petit à petit une familiarité des plus élégantes, le fait de brasser large en termes de personnages de référence aurait pu avoir de quoi nous déconcerter. Ni tout à fait un conte d’apprentissage individuel, ni davantage le portrait choral d’une tranche d’âge en pleine perdition, le film procède avec une hardiesse narrative pleinement assumée à un collage dépourvu de prises de position arbitraires et, à plus forte raison, de jugements présomptueux. L’incroyable force de Kids return résulte de sa capacité de balancer aisément entre le pittoresque et le pitoyable, de trouver toujours le ton juste pour relayer les multiples facettes d’une réalité, dont la cruauté peut souvent se résumer à un bref plan à l’impact durable. Le sort de ce groupe de feignants, les prisonniers d’abord de leur passivité personnelle, puis de circonstances structurelles de la société japonaise qui ne leur réservent aucun espoir d’un avenir épanouissant, nous tient ainsi légèrement moins à cœur que l’admiration face à la maestria de Takeshi Kitano. Celle-ci fait preuve d’une lucidité incisive quant à la difficulté de se forger une personnalité, voire un destin dans un monde truffé de pièges plus ou moins mesquins.

Conclusion

Notre film préféré de Takeshi Kitano reste le sublime et hélas trop méconnu A Scene at the sea. Kids return figure cependant parmi les films les plus accomplis de son réalisateur ! Il n’y va pas par quatre chemins pour bousculer à la fois le spectateur – joliment privé de repères et de rythmes dramatiques rassurants – et ses héros improbables, de misérables pions largement dépassés par le temps qui passe et surtout par les conséquences néfastes de quelques choix de jeunesse anodins seulement en apparence.

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