Cannes 70 : Mon royaume pour une Palme

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70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd’hui, J-38. Retrouvez nos précédents textes du dossier Cannes 70 en cliquant sur ce lien.

Depuis l’aube des temps du cinéma, c’est à dire 1895, le barde de Stratton upon Avon a été une source d’inspiration pour les réalisateurs et les producteurs du monde entier. Depuis l’aube des temps des festivals, c’est à dire 1946, Shakespeare a fait quelques embardées sur la Croisette pour des adaptations des fois réussies, des fois non, faisant du bruit et de la fureur ou beaucoup de bruit de rien.

Une Palme d’or pour une plume en or

Avant Kenneth Branagh et son Henry V en 1990, Shakespeare au cinéma rimait surtout avec Laurence Olivier et Orson Welles. Jamais retenu en compétition pour les trois adaptations dont il fut l’acteur et le réalisateur, Laurence Olivier n’a donc pas pu prétendre à des prix sur la Croisette pour Hamlet (Oscar du meilleur film et du meilleur acteur néanmoins), Henry V ou Richard III. Petite consolation, ces trois titres furent présentés à Cannes Classics en 2007.

Déjà remarqué au théâtre grâce à son travail avec le Mercury Theatre, le génie à l’oeuvre derrière et devant la Caméra pour Citizen Kane est le seul jusqu’à présent à avoir reçu la Palme d’or pour une adaptation de Shakespeare. Représentant officiellement le Maroc pour Othello, Orson Welles a donc connu cet unique honneur en 1952 avec son incarnation majestueuse et tourmentée du Maure vénitien dans un cadre dépouillé et des décors d’Alexandre Trauner. À ses côtés, Micheál MacLiammóir est un bien serpentin Iago et la française Suzanne Cloutier la fragile et innocente Desdémone, victime de ses subtiles manigances qui vont détruire son compagnon, incapable de surmonter le monstre aux yeux verts de la jalousie. Cerise sur le gâteau en 1966, le Falstaff de Welles toujours reçoit le prix du XXe anniversaire et le Prix de la Commission supérieure technique. Pour son auteur, il s’agit de son meilleur film, juste devant La Splendeur des Amberson. Sa mise en scène possède une énergie rugueuse et son interprétation tonitruante le fait glisser d’une apparente bouffonnerie à une profondeur de caractère noyée sous ses kilos qui l’alourdissent. Son Falstaff, protagoniste de plusieurs pièces de Shakespeare, apparaît comme un double symbolique du cinéaste dans ses dimensions multiples, émouvant, drôle et intelligent malgré ses travers, ses emportements et ses faiblesses physiques comme morales. Un homme trahi par le prince devenu roi, comme Welles le fut par Hollywood.

En 1955, une version soviétique signée Lev Arnchtam et Leonid Lavrovsky de Roméo et Juliette recevait le Prix du film lyrique, à l’unanimité, un enthousiasme aussi lyrique que sa dénomination qui pourrait laisser penser que le président cette année là était Jean Cocteau mais c’est à un jury dirigé par Marcel Pagnol que l’on doit cet honneur singulier remis à ce film-ballet porté par la musique de Prokofiev et mis en mouvement par les danseurs du Bolchoï. L’année suivante, l’URSS propose un autre Othello, sous la direction de Sergueï Ioutkevitch et qui ne semble pas avoir démérité pour le jury d’alors, avec un Prix de la mise en scène, sacré défi si peu de temps après le chef d’oeuvre de Welles, encore frais dans les esprits. Une troisième variante, l’Otello de Franco Zeffirelli, sera en compétition en 1987.

Kenneth Branagh est apparu à Cannes à deux reprises en tant que troisième grand acteur-cinéaste-shaekespearophile. En 1993, il est en compétition avec Beaucoup de bruit pour rien dont il est l’un des interprètes principaux aux côtés de Emma Thompson, son épouse d’alors et une fidèle de la compétition cannoise à cette période. Il signe une comédie enjouée, peut-être la meilleure adaptation de l’auteur dans le registre de la comédie. La distribution, délicieusement hétéroclite (preuve du talent de «casteur» souvent surprenant de Branagh) réunit Keanu Reeves, la débutante Kate Beckinsale, le déjà oscarisé Denzel Washington et Michael Keaton fraîchement sorti de sa période Batman. Il revient quatre ans plus tard hors-compétition avec la première adaptation intégrale de Hamlet dans laquelle on retrouve la crème du cinéma anglais (Richard Attenborough, Julie Christie, Derek Jacobi, John Gielgud, Judi Dench et Kate Winslet quasiment à ses débuts, quelques mois avant Titanic) et quelques invités internationaux dont les vétérans américains Charlton Heston et Jack Lemmon, ainsi que Billy Crystal et Robin Williams ou le français Gérard Depardieu. Une version passionnante malgré les quatre heures de la version intégrale, la version courte n’ayant aucun sens artistique.

To be Macbeth of the best… or not

Sa pièce de théâtre la plus sombre, la plus crue, la plus sauvage a d’ailleurs inspiré le meilleur et le pire des adaptations sur grand écran de Shakespeare à Cannes. À tout seigneur, tout honneur avec Roman Polanski qui a dirigé une version cinglante et sanglante de Macbeth présentée hors-compétition en 1972. Il saisissait dans toute sa folie et son horreur les tourments d’un couple d’ambitieux dont le destin tragique suivait un cours inexorable malgré les signes de leur fin annoncée et les cassandres qui annoncent leur tourment futur. Climat fantastique magistralement composé par le cinéaste polonais dans ce premier long-métrage tourné après le meurtre de son épouse. À défaut de se risquer à le comparer à une catharsis, son adaptation est d’une étonnante grande violence, radicale, mettant en images des meurtres présentés hors champ chez Shakespeare.

En 2015, Justin Kurzel était moins heureux avec sa version académique et balourde malgré un couple interprété par Marion Cotillard et Michael Fassbender qui auraient pu apporter beaucoup de subtilité à leur jeu. Hélas, il leur est difficile de briller dans cette version sans substance et hystérique au style lourdement affecté. Les fulgurances de couleur de Adam Arkapaw, tournées dans les paysages de plaine et de montagne d’Ecosse, peuvent être saluées mais de belles images ne font pas un film.

En 1959, le tchécoslovaque Jiří Trnka était en lice pour la Palme pour une version en marionnettes du Songe d’une nuit d’été. Hors-compétition en 1997, on découvrait « Où est mon Roméo » d’Abbas Kiarostami au sein du film collectif Chacun son cinéma signé par une trentaine de grands cinéastes réunis par Gilles Jacob pour célébrer le soixantième anniversaire. Des femmes réunies dans le silence d’une salle de cinéma regardaient en communion la version de Franco Zeffirelli de Roméo et Juliette.

Les textes du dramaturge apparaissent également parfois au détour de citations, notamment extraites de Macbeth. Ainsi, De bruit et de fureur est devenu le titre d’un grand moment de cinéma brut, poétique et politique, d’une force inébranlable sur la banlieue, présentée à Cannes en 1988 dans le cadre de la section des Perspectives du cinéma français. Pas de lien avec le texte d’origine mais une citation utilisée de façon marquante par Jean-Claude Brisseau qui partage avec le dramaturge un goût pour un fantastique s’immiscant dans un contexte réaliste. La même citation est utilisée en ouverture du Woody Allen Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, présenté hors compétition en 2010 : «la vie est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien». Un résumé parfait de ce texte !

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