70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.
Aujourd’hui, J-44. Retrouvez nos précédents textes du dossier Cannes 70 en cliquant sur ce lien.
Si aujourd’hui, on s’offusque de voir une magnifique Claudia Cardinale retouchée sur l’affiche du 70e Festival de Cannes, imaginez ce qui est arrivé quand, en 1954, l’actrice Simone Silva fit scandale durant le Festival de Cannes en étant photographiée « topless ».
C’était l’époque des starlettes: en 1953, le cinéma avait créé Brigitte Bardot sur la Croisette, avant la déferlante des comédiennes italiennes. C’était aussi les prémices de la Révolution sexuelle et du féminisme. En 1954, deux événements littéraires majeurs ont acté la naissance de l’émancipation du corps de la femme. D’abord, en juin, la parution du sulfureux et sado-masochiste Histoire d’O de Pauline Rage, édité par Jean-Jacques Pauvert (qui sera jugé deux ans plus tard pour avoir osé publié les œuvres du Marquis de Sade). Ensuite, la remise du Prix Goncourt à la théoricienne du féminisme, Simone de Beauvoir, pour Les Mandarins, cinq ans après son essai fondamental Le deuxième sexe.
En 1954, la France n’a pas encore découvert le naturisme ou les couvertures du magazine Lui. Playboy vient juste de naître outre-Atlantique.
Sur la Croisette cannoise, tout juste élue Miss Festival, l’actrice britannique Simone Silva, 26 ans alors, née en Egypte de parents franco-italiens, fait sensation. Pas loin, Robert Mitchum pique-nique en public aux îles de Lérins. La jeune femme laisse tomber son soutien-gorge dévoilant ainsi son opulente poitrine, tout en cachant ses seins avec ses mains. La voyant mitraillée par les photographes, le « bad boy » d’Hollywood, Mitchum, en bon gentleman qui se respecte et pas dégonflé, joue avec ses paluches autour de ces seins…
Soyons honnêtes: les médias et les photographes ont adoré capter ce moment libertin et ludique, pour ne pas dire « libéré » des carcans puritains. Le Festival a moins apprécié, terrifié par cette publicité considérée comme vulgaire et indigne de sa réputation.
Car au départ, c’est bien un scandale diplomatique qui se profile à cause de ces seins nus. On est aussi en pleine guerre froide. L’Amérique crie au scandale et demande le boycott du Grand Bob (qui tournera quand même l’un de ses chefs d’œuvre l’année suivante: La Nuit du chasseur). Le Festival oblige Simone Silva à quitter Cannes. Sous la pression de l’opinion publique aux Etats-Unis (rappelons qu’on ne montre toujours pas un téton aujourd’hui à la télévision américaine), la délégation américaine suit le mouvement et abandonne le soleil de la Côte d’Azur. Robert Favre Le Bret, alors délégué général du Festival, part négocier pour convaincre les Américains de rester en compétition. Par sanction contre Cannes, « synonyme de débauche », Grace Kelly ne participera pas au Festival. Tant qu’il y aura des hommes de Fred Ziinneman repartira quand même avec un prix spécial.
Le destin de Simone Silva fut tragique par la suite. Elle venait chercher à Cannes une notoriété. L’actrice a cru pouvoir aller travailler à Hollywood. Une fois son visa rejeté, elle revient au Royaume Uni, mais sa carrière ne décolle pas et on la retrouve morte chez elle trois années plus tard. Simone Silva a payé lourdement son audace et sa naïveté.
La justice s’empare du topless
Mais on peut la remercier d’avoir provoqué un déclic avant l’heure. Car dix ans plus tard, à Saint-Tropez, les femmes commencent à faire du « topless » sur la plage: le monokini arrive dans les rayons et facilite le dévoilement de la partie haute du corps. En juillet, un restaurateur a d’ailleurs demandé à Claudine, une jeune fille du coin, de jouer au ping-pong les seins découverts. Les photographes sont là encore ravis. Mais il faut savoir que des maires ont signé des arrêtés pour interdire cette pratique (ça vous rappelle une autre polémique plus récente?). Le restaurateur et Claudine ont été condamnés en septembre. Non pas à cause du monokini de la jeune femme mais parce qu’elle s’était exhibée contre une rétribution, dans un but publicitaire, et dans le cadre d’une mise en scène planifiée. Autrement dit, la Justice n’a pas condamné les seins nus de la « délinquante » (qui sera finalement relaxée après une longue querelle juridique) mais la manipulation des masses par une image « osée »: « Le spectacle de la nudité n’a rien qui puisse outrager une pudeur normale même délicate s’il ne s’accompagne pas de l’exhibition des parties sexuelles, ou d’attitudes ou gestes lascifs ou obscènes. » Victoire pour les nénés !
Les seins nus sur les plages vont accompagner le mouvement d’émancipation des femmes, affirmant leur corps, s’affranchissant du passé et des hommes. Dix ans plus tard, les maires autorisent officiellement les femmes à ne porter qu’une culotte sur les plages, aux yeux du public. Et aujourd’hui
Vincy de Ecran Noir