Berlinale 2017 : retour sur un Futur Imparfait

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Comme chaque année, le Festival de Berlin propose de découvrir une belle série de longs-métrages inédits contemporains venus du monde entier dans sa sélection officielle ainsi que dans les sections du Forum et du Panorama. Mais, à l’instar de Cannes avec sa section Cannes Classics, il est également possible de se plonger ici dans le passé du 7ème Art grâce à une section rétrospective souvent alléchante avec pour cette édition un hommage à la grande créatrice de costumes Milena Canonero qui recevra un Ours d’honneur pour l’ensemble de sa carrière et une thématique sur le Futur Imparfait autour d’un cinéma fantastique qui interroge notre futur, évidemment imaginé différemment selon les époques des tournages des décennies avant l’action. Il peut ainsi se révéler aseptisé et propre, vivant et sale, terrifiant ou apaisé.

Commençons ce mini-retour en deux titres (seulement, hélas, aléas de la programmation berlinoise) avec l’une des pépites déjà programmées sur la Croisette en mai dernier.

Le film tchèque Ikarie XB1 qui sortira en salles le 19 avril prochain est une petite merveille de SF de 1963 soutenue par une musique moderne signée Zdenek Liska, dans la lignée d’un Pierre Henry ou d’une Delia Derbyshire (les inventions sonores de Dr Who) et à qui l’on doit plusieurs compositions pour Karel Zeman, maître d’un cinéma d’aventures poétiques. En 2163, le vaisseau spatial Ikarie XB-1 (Ikarus XB-1) est en mission à la recherche d’une mystérieuse Planète blanche en orbite autour de l’étoile Alpha du Centaure. Si le voyage de l’équipage ne dure que 28 mois, 15 ans auront passé sur Terre au moment où la mission parviendra à destination. Ce long-métrage de Jindřich Polák fait preuve d’un sens de la mise en scène captivant, à l’égal de grands maîtres, l’errance d’un cosmonaute de dos dans un couloir évoquant l’avancée d’Eddie Constantine dans Alphaville. Sa manière de troubler le spectateur par une narration qui sort du carcan des films de science-fiction de l’époque annonce rien de moins que le 2001 de Kubrick (malgré l’aspect convenu de cette remarque dès qu’un film de SF nous emporte plus loin que le tout venant), un ressenti accentué par une dimension métaphysique inattendue. Le temps qui passe différemment entre le voyage intersidéral et la vie sur Terre crée des tensions, des inquiétudes, des angoisses, des remises en question profondes dans les rapports humains, de couple et de famille évidemment. Ainsi cet homme décontenancé par le refus de sa femme enceinte de l’accompagner alors qu’elle en avait le droit. A son retour quelques mois son enfant aura déjà 15 ans.

Le scénario est adapté d’une nouvelle de Stanislaw Lem, l’auteur de Solaris. Si le réalisateur n’est pas Tarkovski, il fait preuve d’un sens de l’image très marqué avec des séquences fortes de tension psychologique et il manie l’art de désorienter ses personnages dans sa façon de les placer dans le cadre. De nombreuses péripéties s’enchaînent, dont la visite d’un vieil objet volant identifié comme étant celui d’un vaisseau disparu 200 plus tôt, avec de graves conséquences. La dimension la plus surprenante du film, et ce qui le rend si fort, est la façon dont il rend justice aux thématiques de l’un des plus grands auteurs de la littérature russe par sa mise en valeur d’une morale pacifiste, toujours un peu inattendue pour un film du bloc de l’Est au temps de la toute puissance de l’URSS. Pourtant, et Eolomea évoqué ci-dessous confirme cette tendance lorsque l’on a vu suffisamment de longs-métrages venus de ces lieux et de cette période, l’étau s’est parfois détendu dans ces pays et sur les auteurs qui ont pu glisser des intentions autres que belligérantes avec l’ennemi. Connaissant mal ce cinéma, je ne m’étendrai pas plus dessus mais cette cinématographie reste un territoire relativement vierge à explorer. Signalons simplement dans ces deux cas l’absence d’idéologie anticapitaliste ou procommuniste. Les mésaventures de ce groupe de cosmonautes en font, dans un premier temps, comme des cousins des protagonistes de La Planète des Vampires (un autre film de Cannes Classics 2017), mis en danger par une menace diffuse puis plus active, mais la partie qui suit l’étrange phénomène d’endormissement généralisé à l’approche d’une Etoile Noire se révèle plus profonde et moins attendue, s’orientant vers un registre nettement plus optimiste d’amitié et d’entraide entre les peuples. Le plan final le rapproche du film de Mario Bava mais avec une autre portée sur le message délivré.

Ce long-métrage était précédé d’une curiosité, un court-métrage de la fin des années 80 : Oilgoblers, présenté en 35mm, un mockumentaire franchement drôle sur des petites créatures entre les Gremlins et les Tremors qui se nourrissent de substances pétrochimiques dans une carrière dangereuse pour leur survie. C’est réalisé par Jan Sverak qui remportera l’Oscar du long-métrage un peu moins de dix ans plus tard pour le mélodrame Kolya. Un court-métrage rigolo avec scientifiques improbables et témoin incombrant où l’on voit l’une de ces créatures (qui esthétiquement ressemblent aux créatures des frères Chiodo) sauvée par le doux parfum de pots d’échappement. Message écolo ici, l’air vicié de Prague étant dépeint comme parfait pour en faire leur nouvel habitat naturel !

Retour sur l’événement de la veille, une sacrée expérience pour le moins inédite : celle de découvrir dans un cinéma de l’ex-RDA un film de la RDA tourné en 70mm ! Ça n’arrive pas tous les jours ! La salle « Internationale » (voir photos ci-dessous) a ainsi accueilli la très belle copie de Eolomea de Herrmann Zschoche est un film de science-fiction soviétique dénué de propagande, ce qui le rapproche donc de Ikarie XB1 ci-dessus. Les deux héros sont deux aventuriers de l’espace aux psychologies d’une grande liberté, lui Han Solo avant l’heure, indiscipliné et libre d’esprit, elle ressemblant quelque peu à Sharon Stone dans Basic Instinct avec son tempérament fort et sa façon de s’approprier l’attention simplement par sa façon de tenir une cigarette qui montre bien qu’aucun homme ne pourra dicter sa conduite ou l’empêcher de faire ce qui est juste. Elle est une scientifique reconnue qui mène les débats d’une réunion internationale sans affrontement idéologique où se pose la question de la disparition de plusieurs navettes et de leurs membres d’équipage. Comment les sauver, qui envoyer pour résoudre cette énigme. La relation de ce couple moderne est joliment esquissée, entre passion amoureuse enjouée et respect des envies de l’autre. Les acteurs Cox Habbema (la scientifique Maria Scholl) et Ivan Andonov (alias Daniel Lagny !) incarnent sans décalage ironique des personnages pourtant drôles et doués d’un sens certain de l’ironie. Pas de décalage bis, ils s’approprient la complexité de leurs traits de caractère, l’humour semblant central à leur rapport à la vie et à leur envie de se plaire.

Le traitement du récit en mode aller-retour entre divers temps et lieux nous perd un peu mais le résultat final est d’une grande ambition dans la patience qu’il demande au spectateur d’accepter de perdre ses repères, notamment par de nombreuses scènes entre flash-backs et fantasmes, rêve et réalité, avant et maintenant. Tout sens «normal» de la chronologie est évacué, sans pour autant manquer de cohésion. Les déplacements entre la Terre et l’espace ne semblent pas durer plus longtemps qu’un trajet entre les stations de Potzdamer Platz et Alexander Platz (blague locale) dans un futur proche où les déplacements sont devenus communs. Bel humour volontaire encore dans les scènes avec le robot tendu «nerveusement» par la première loi de Isaac Aasimov qui interdit de mettre en danger la vie d’êtres humains alors qu’il est programmé pour mentir, et ne pas dire la vérité aux cosmonautes qui l’interrogent pourrait nuire à leur bien-etre. Le contexte pourrait n’être que kitsch avec une musique pop et des costumes qui ne le sont pas moins, ceux de l’héroïne semblant avoir été créés par un Paco Rabanne local. Il s’agit pourtant de vraie bonne science-fiction, surprenante, marquée par la création d’un cadre original et une réelle audace narrative, la quête pour le Shangri-La évoqué tout au long du film se déroulant finalement loin de nous, au-delà du générique final, sans pour autant ressentir la moindre frustration.

https://youtu.be/eGsogm4RKV0

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