Critique : Tour de France

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Tour de France

France, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Rachid Djaïdani
Scénario : Rachid Djaïdani
Acteurs : Gérard Depardieu, Sadek, Louise Grinberg
Distribution : Mars Films
Durée : 1h34
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 16 novembre 2016

Note : 3,5/5

Deux cœurs battent au sein du deuxième film de Rachid Djaïdani. Cette opposition ouverte entre deux conceptions de la France, portées par des personnages hautement emblématiques, peut même être considérée comme la raison d’être principale de Tour de France. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit d’un film platement polémique par son antagonisme primaire, qui jouerait un cliché contre l’autre, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’autre qu’une bouillie consensuelle. Le va-et-vient entre les deux camps instaure certes un ton inégal, jamais très rassurant. Mais de ce propos en apparence bancal résulte un récit vif, voire optimiste, alors que le climat national se prête en ce moment à tout, sauf à une dose salutaire de bonne humeur. Enfin, l’infatigable Gérard Depardieu trouve ici une fois de plus un rôle à sa démesure, celui d’un homme qui a su rester admirablement humain en dessous des nombreux préjugés qui lui troublent la vue sociale.

Synopsis : Le rappeur Far’hook doit se faire discret après une altercation violente avec un concurrent. Son agent Bilal l’envoie en province, où il devra occuper le poste de chauffeur pour Serge, le père passablement raciste de Bilal. Le retraité souhaite en effet faire le tour des ports français, en hommage au célèbre peintre Joseph Vernet. Les rapports entre le jeune rappeur et le vieil artiste amateur sont pour le moins tendus, personne d’entre eux ne tenant particulièrement à la compagnie de l’autre.

La France entre Serge Lama et Baudelaire

Qu’est-ce qui fait un « bon » Français ? Ou bien – comme si la première question n’était pas déjà assez tendancieuse – comment se fait-il que les habitants de ce beau pays n’arrivent guère à trouver un terrain d’entente, préférant camper sur leurs positions a priori irréconciliables ? Au moins indirectement, Tour de France cherche à répondre à cet éternel casse-tête du conflit entre les communautés et les générations. Il y procède à visage masqué, en alimentant à première vue les idées reçues les plus caricaturales, à tel point de presque obliger le spectateur à prendre parti soit pour le petit jeune insolent, soit pour le vieux con réactionnaire. Le fait d’être surtout séduit par le destin brisé du personnage interprété avec brio par Depardieu ne nous rajeunit pas, tandis que les ruptures formelles opérées par l’univers plus en phase avec son temps de Far’hook s’apparentent davantage à des digressions qu’il nous est plus difficile d’apprécier. Or, la véritable ambition du scénario pourrait justement se manifester à ce niveau-là, au carrefour du rejet et de l’identification, qui reflète d’une façon à peine voilée la réalité du spectre de nos concitoyens plus ou moins fréquentables. Car en tant que collectif biscornu de personnes et de styles de vie parfois diamétralement opposés, la France est censée fonctionner comme entité de rassemblement, en dépit des divergences qui la tiraillent en permanence.

Trop de vocabulaire pour le rap

Le chemin vers la réconciliation s’avère long et épineux. Une fois que les principaux différents sont écartés, la voie de l’amitié respectueuse ressemble presque à un ultime leurre, tel un dernier sursaut des poncifs que la narration s’était vaillamment employée à démonter un par un jusque là. Nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec ce déversement de bons sentiments pendant la dernière partie du film, quand l’union improbable des deux protagonistes est supposée faire leur force. Ce nouveau revirement, en direction opposée du constat social guère complaisant qui lui a précédé, réussit cependant grâce à la réalisation vigoureuse de Rachid Djaïdani. Celle-ci se distingue d’abord par une direction d’acteurs redoutable, notamment du côté de Gérard Depardieu qui incarne avec intensité cet homme faussement rustre, au lieu de franchir les limites afin de s’adonner à un cabotinage grotesque. Et puis, sa force majeure est sa capacité très rarement prise en défaut de rendre vivante, voire percutante, une parabole sociale à la prémisse pas tellement sophistiquée. La mise en scène excelle donc dans son portrait d’une France, prise dans de sérieuses turbulences, qui saura néanmoins garder son cap, à condition de fuir les divisions et de rechercher fiévreusement des parenthèses de solidarité, aussi imparfaites soient-elles.

Conclusion

Un jeune et un vieux que tout oppose, contraints de prendre la route ensemble : nous pouvons aisément imaginer des trames plus ingénieuses pour rendre compte de l’état gangrené de la France. Le deuxième film de Rachid Djaïdani, après Rengaine, est pourtant une œuvre pertinente et touchante, capable de s’approprier les lieux communs qui empoisonnent les discussions et le quotidien, pour en faire le canevas à fleur de peau d’une société sur le point d’imploser, quoique pas encore en panne de solutions miracle.

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