Critique : We are the flesh

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we-are-the-flesh-afficheWe are the flesh

Mexique, 2015
Titre original : Tenemos la carne
Réalisateur : Emiliano Rocha Minter
Scénario : Emiliano Rocha Minter
Acteurs : María Cid, Noé Hernández, Diego Gamaliel
Distribution : Blaq out (dvd / bluray)
Durée : 1h19
Genre : Drame, horreur
Date de sortie : 2017

Note : 3,5/5

Lorsque nous avons découvert ce film à L’Étrange Festival 2016, il arrivait déjà précédé d’une flatteuse réputation acquise dans les précédents festivals où il avait été présenté, mais également grâce au concours de cinéastes prestigieux tels que Alejandro González Iñarritu, Alfonso Cuaron ou encore Yann Gonzalez, qui n’ont pas hésité à qualifier le jeune cinéaste de génie. Si ce genre de pratique est désormais démocratisée et que l’on peut toujours douter de l’authenticité de telle ou telle citation, dans le cas présent, on peut affirmer que ces dithyrambes n’étaient en rien usurpés, tant la force du premier long métrage de ce jeune mexicain de 26 ans force une certaine admiration.

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Synopsis : Dans un monde en ruines, dans un décor désolé, nous faisons la connaissance d’un ermite au mode de vie pour le moins étrange. Lorsqu’un frère et sa sœur, à la recherche d’un abri et de nourriture, tombent sur ce dernier, il va accepter de les abriter à certaines conditions. Progressivement, ils vont voir leur raison vaciller et vont tomber dans un monde de débauche et d’immoralité …

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Un mode de vie éloigné de toute moralité

Le film débute de façon pour le moins déroutante. Le principe est simple, faire ressortir les instincts les plus primaires de l’être humain et, en la matière, le jeune cinéaste n’a clairement pas froid aux yeux, nous forçant à regarder ce que notre morale nous force habituellement à enfouir au plus profond de nous. Thématiquement, on peut penser au concept de l’extrême Subconscious cruelty de Karim Hussain, œuvre majeure de la culture underground, déjà présentée à l’étrange festival il y a quelques années. Plastiquement, on est assez proche des premiers travaux de Alejandro Jodorowsky, avec son surréalisme et ses scènes psychédéliques.

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Bien sûr, il s’agit d’une œuvre difficile d’accès qui, même à L’Étrange Festival, n’a pas pu faire l’unanimité. Faisant le choix d’une narration volontairement hermétique, le cinéaste ne mâche pas le travail à son public. Pourtant, l’on détecte quand même des thématiques assez claires, qui passent essentiellement par une symbolique particulièrement visible. Le décor principal, que les personnages transforment progressivement en caverne dont la forme évoque l’utérus, symbolise l’idée principale du film qui est la réincarnation. L’ermite pousse le frère et sa sœur à des relations incestueuses, et devant les protestations du jeune homme criant « mais c’est ma sœur », argumente simplement « ton pénis s’en fout ». Ce dernier prône un mode de vie éloigné de toute moralité, entraînant donc inceste, cannibalisme et nécrophilie. Si ce catalogue presque complet de toutes les déviances permises par le cinéma peut faire redouter un simple film provoc petit bourgeois, ses qualités esthétiques le propulsent souvent vers des hauteurs rarement atteintes dans ce type de cinéma. Malgré son jeune âge, Emiliano Rocha Minter est déjà un formaliste de grand talent, et il le sait. Il fait donc passer l’essentiel de ses idées par des symboles, essentiellement religieux, dans un film pourtant profondément athée. Car l’idée principale est la réincarnation dans un monde qui serait pour ainsi dire débarrassé de l’idée même de Dieu. Cette accumulation de perversions pourrait lasser et paraître un peu vaine. Pourtant, la fascination est constante, et l’éblouissement réussit même à percer par fulgurances. Comme dit plus haut, l’influence principale semble être le cinéma de Alejandro Jodorowsky, mais on pense également aux audaces esthétiques du récent Under the Skin de Jonathan Glazer. C’est un cinéma de plasticien plus que de scénariste, et il sait donc faire passer l’essentiel de son propos par l’image, et non par des dialogues trop explicatifs.

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Le diable Diego Gamaliel

L’autre point fort du métrage est l’interprétation, notamment celle de l’ermite. Avec son sourire diabolique qui pourrait le faire passer pour une personnification du diable, Diego Gamaliel évoque forcément le Jack Nicholson de Shining, mais en encore plus retors. Son visage reste bien longtemps à l’esprit après la projection. Les jeunes comédiens ont également donné de leur personne, les scènes de sexe étant proche de la pornographie. Si, entre les mains d’un autre réalisateur, cette sexualité frontale aurait pu tomber dans le sordide pur, de par le contexte dans lequel elle s’inscrit, la beauté formelle du métrage rend ces scènes très belles à regarder, ce qui n’est bien évidemment pas sans provoquer un certain trouble, de par le lien qui unit les personnages. Et c’est ce qui frappe le plus ici, cette recherche de pureté dans le sordide. On pourrait même, en faisant preuve d’excès d’analyse, rapprocher cette recherche de la beauté dans des personnages dont les comportements suscitent un rejet naturel, à celle de Bruno Dumont, même si ces deux cinémas n’ont strictement aucun rapport. Mais cette façon de faire éprouver de l’empathie et de mettre du beau dans ce que la nature humaine peut avoir de plus repoussant est semblable. On se souviendra donc longtemps de notre émotion face à ces corps en symbiose totale, évoquant des peintures morbides, un peu comme chez Lars Von Trier et son Antichrist.

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Conclusion

Si le film n’est évidemment pas à mettre entre toutes les mains, on ne peut que se réjouir de ce type de proposition aventureuse, à une période d’uniformisation extrême. La société Blaq out éditera le film début 2017, ce dont on les félicite, même si l’on aurait évidemment préféré une sortie en salles. Mais au vu du contenu du métrage, il paraissait improbable qu’un distributeur prenne le risque de l’exploiter, ses thématiques et ses images particulièrement crues exposant clairement le film à la censure. Que les cinéphiles ayant le goût du risque n’hésitent donc pas à se procurer le DVD, car au final, que l’on adore ou que l’on déteste, on ne peut rester indifférent devant le résultat. Un film rare et précieux, en somme.

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