La Roche-sur-Yon 2016 : Swiss Army Man

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Swiss Army Man

Etats-Unis, 2016
Titre original : Swiss Army Man
Réalisateurs : Daniel Scheinert & Dan Kwan
Scénario : Daniel Scheinert & Dan Kwan
Acteurs : Paul Dano, Daniel Radcliffe, Mary Elizabeth Winstead
Distribution : Condor Entertainment
Durée : 1h37
Genre : Fantastique
Date de sortie : 29 mai 2018 (vidéo)

Note : 3,5/5

L’humour vulgaire, très sollicité par les comédies américaines depuis une vingtaine d’années, n’a probablement jamais produit un film plus original et décapant que Swiss Army Man ! On y pète et on y bande sans arrêt, mais ces manifestations des fonctions du corps humain considérées comme honteuses s’inscrivent avec un naturel désarmant dans le cadre d’une histoire étonnamment poétique. Le premier long-métrage de Daniel Scheinert et Dan Kwan défie les genres et parfois même la logique. Il accède jusqu’au comble de l’étrange, tout en préservant une formidable essence humaine. Cette dernière est alimentée par la peur viscérale d’être seul ou de mourir, ce qui revient en fin de compte au même, selon le raisonnement hardi du récit. L’aspect le plus enthousiasmant du film est cependant qu’il ne cherche jamais la blague bizarre trop facile, au détriment d’une quête plus abstraite, faite de bric et de broc et néanmoins d’une cohérence bluffante. Il s’agit en somme d’un divertissement haut en couleur, au cours duquel des idées ingénieuses fusent à la vitesse d’un jet-ski à propulsion organique, quoique toujours dans l’optique d’un conte entre le rêve et la réalité sur la solitude de l’homme !

Synopsis : Hank Thompson s’est échoué sur une île déserte au milieu du Pacifique. Sans espoir d’être sauvé, il est sur le point de se suicider, lorsqu’il découvre un corps sans vie sur la plage. En apparence, le deuxième rescapé serait mort depuis longtemps, si ce n’était pour une activité intestinale particulièrement bruyante. Les pets du cadavre sont même si puissants, qu’ils permettent à Hank de quitter son exil initial pour se retrouver sur la terre ferme, nullement plus peuplée. En manque de compagnie, il emporte le supposé mannequin avec lui, jusqu’à ce qu’il découvre que Manny sait parler et accomplir toutes sortes d’activités invraisemblables.

Harry Potter, ce pétomane

Présenté au Festival de La Roche-sur-Yon dans la section « Variété », qui met l’accent sur un cinéma de genre atypique, Swiss Army Man est l’exemple parfait d’un film si exubérant et inventif qu’il fait aisément exploser les règles que d’autres films plus sages respectent religieusement. Il ne s’agit pas tout à fait d’une aventure à la Robinson Crusoé, où Vendredi serait atteint d’une pâleur pathologique, ni d’une romance pudique entre mecs singulièrement complexés, ni d’un drame psychologique dont le seul enjeu serait de justifier chaque étape farfelue depuis le début par des explications rassurantes à la fin. Car la narration des deux réalisateurs se montre suffisamment confiante en ses propres moyens pour faire fi de toute précaution, afin de mieux propulser les spectateurs dans un délire jubilatoire. On retrouve le même type de courage du côté des interprétations. Tandis que Paul Dano persévère avec bravoure dans les personnages profondément paumés, c’est surtout le choix de Daniel Radcliffe pour le rôle du cadavre, à mi-chemin entre le robot dépressif et l’alter ego trouble, qui intrigue. Depuis qu’il a enlevé les lunettes de l’élève magicien premier de la classe Harry Potter, l’acteur accepte en effet des rôles de plus en plus exigeants, dont celui de Manny n’est – on l’espère – qu’un aboutissement provisoire.

L’amour ne fait pas que pousser des ailes

Dans toute sa facilité de recomposer les genres, Swiss Army Man reste un film joliment énigmatique. Nous sommes ainsi incapables d’affirmer avec certitude à quoi tout cela est censé rimer réellement. Est-ce une parabole sur les deux faces de la médaille romantique, qui excite autant qu’elle nous renvoie une image peu flatteuse de nous-mêmes ? Ou bien, faut-il voir dans le retour vers une nature hautement polluée le symbole d’une innocence paradisiaque perdue à jamais ? Mystère. L’exploit des deux réalisateurs consiste à laisser supposer beaucoup de choses, sans rompre le charme d’un monde à la vulgarité féerique. Le style de leur film s’apparente par conséquent moins à un exercice masturbatoire de débutants à l’imagination débordante, qu’il n’est le fruit savoureux d’une volonté renouvelée à chaque séquence de partir à la conquête de territoires sinon inconnus dans le cadre du film de genre amplement codifié. Les exemples enchanteurs ne manquent pas pour souligner cette double volonté de créer un spectacle d’évasion au fond philosophique prodigieux, tels que la traversée imprévue au début du film qui se solde par un deuxième naufrage à cause de l’insouciance infantile de Hank et la reconstitution minutieuse des décors inhérents aux repères de la civilisation occidentale, à la seule vocation de garder éveillée la libido de Manny.

Conclusion

Riez, pétez, faites tout ce que vous voulez pendant la vision de ce film à l’esprit libertaire indiscutable ! Swiss Army Man est la bête cinématographique hélas bien trop rare d’un film qui s’autorise de nombreuses ruptures avec les conventions et qui s’en sort haut la main, contre toute attente et comme par miracle. Comme quoi il existe encore une énorme marge de manœuvre en termes d’originalité pour qui ose balayer avec une volonté téméraire les poncifs les plus poussiéreux.

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