Critique : Below Sea Level

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below-sea-level-afficheBelow Sea Level

Italie, Etats-Unis, 2008
Titre original : –
Réalisateur : Gianfranco Rosi
Distribution : Météore Films
Durée : 1h50
Genre : Documentaire
Date de sortie : 28 septembre 2016

4/5

Alors que le dernier documentaire de Gianfranco Rosi, Fuecommare, par-delà Lampedusa, bénéficiait d’une sortie en salles tout récemment, le distributeur a profité de cette actualité autour du réalisateur transalpin pour ressortir ses anciens travaux et, ainsi, mettre en exergue l’approche documentariste profondément singulière de Rosi. Ses deux précédents films, Sacro Gra et donc, Fuecommare, ont suscité maintes critiques dithyrambiques au sein de la communauté de journalistes. En sus de cet adoubement médiatique, les deux documentaires précités ont glané de nombreuses récompenses de par le monde, notamment un Lion d’or à Venise pour Sacro Gra et un Ours d’or au festival de Berlin, dédié à sa dernière œuvre susmentionnée. Cette soudaine mise en lumière du travail de Rosi est l’occasion de (re)découvrir un de ses premiers documentaires, récipiendaire par ailleurs d’un grand prix au festival du cinéma du réel en 2008, et d’observer la démarche formelle, inchangée depuis, du réalisateur italien lors de ses débuts cinématographiques.

Synopsis : Au sein d’un désert, sorte de No Man’s Land situé à quelques centaines kilomètres de Los Angeles, vivent quelques personnes marginalisées ayant fui la société pour diverses raisons. Quelques-uns sont là par choix, d’autres par fatalité et malchance hasardeuse.

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Une liberté nomade héritée de la contre-culture des années 60

Quelques roulottes délabrées parsèment le paysage aride et inhospitalier du désert environnant. Vestiges d’une ancienne base militaire, aujourd’hui complètement désaffectée et abandonnée. Là, plusieurs personnes, suite à leur mise au ban de la société américaine, y ont élu domicile. Aucun agent étatique, régalien, ne peut les déloger, contrairement aux agglomérations urbaines où le moindre sans-domicile-fixe peut être ostracisé par les forces de l’ordre. Issus de divers endroits, ces déclassés forment une sorte de communauté où la moindre parcelle d’intimité propre à chaque individu est respectée scrupuleusement. Brisés par les aléas de la vie, ils réapprennent à vivre malgré tout.

Rosi suit un certain nombre de personnes, d’aucuns aspirant à une liberté nomade héritée de la contre-culture des années 60. D’autres ont perdu, suite à des frais de justice exorbitants, l’ensemble de leur capital financier et économies. N’ayant plus que l’habitacle de leurs voitures en guise d’habitation, ils subsistent tant bien que mal au sein de ce paysage sec et aride. En dépit de la difficulté de leurs situations, ces individus ont su s’organiser et créer une sorte d’enclave éloignée de la moindre trace d’urbanité. Pour reprendre l’expression de Walter Benjamin, ils ont su « organiser le pessimisme » et résister à la violence étatique et son oppression particulièrement dure et inique. S’inscrivant dans la lignée du philosophe allemand, Rosi se fait le porte-parole des vaincus, des « perdants » ou marginaux, et leur redonne un espace, fût-il virtuel, dans lequel ils peuvent s’exprimer librement. Ainsi, ce qu’une partie de la société a voulu nier de l’humanité, au détriment de sa dignité, Rosi le remet en lumière, au regard de tous. C’est l’une des vertus du genre documentaire de proposer une « aide » – si l’on peut dire les choses ainsi – aux êtres oubliés et négligés par cette même société. L’on retrouve cette même attention, ce même respect à l’égard des opprimés, chez Wang Bing. Dans un geste à la fois moral et politique, hérité d’un André Bazin, Rosi nous montre l’envers du rêve américain et ce en quoi il ne ressemble en rien à l’image ripolinée publicitaire omniprésente dans les médias américains. Derrière cette vanité d’étaler ostensiblement la richesse, il existe des êtres ne s’accordant pas avec la réussite matérielle vantée par les plages publicitaires.

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La rigueur d’un ethnologue

Avant le début du tournage, Rosi se fait ethnologue : il tâte le terrain, se fond dans le décor, prend des notes, observe méticuleusement les mœurs des « acteurs »… Souvent, cette phase de repérage peut s’étendre sur plusieurs mois. Ainsi, il y a là un vrai travail de recherche, d’observation, de pensée formelle… D’un point de vue moral, comment filmer ces êtres aux existences brisées ? Comment s’immiscer dans leurs intimités, leurs quotidiens, s’attirer leurs confiances ? En amont, un vrai travail de documentation est effectué, en plus d’un dialogue noué entre le réalisateur et les « acteurs » de son documentaire. La vraie morale se situe peut-être à ce niveau-là : une compréhension mutuelle et réciproque entre le metteur en scène et la personne interrogée.

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Conclusion

Diffusé quotidiennement au mk2 Beaubourg, à 11h30, il est possible de rattraper ce documentaire particulièrement prenant sur une communauté de personnes vivant dans une indigence austère au milieu de nulle part, dans un désert se trouvant, par ailleurs, à plusieurs mètres sous la mer, expliquant le titre original : Below Sea Level. Documentaire à la vision nécessaire car il est la mise en lumière d’une mise au ban d’individus exercée par une société occidentale, celle-ci issue du pays le plus nanti du monde. Dans un geste politique et d’observateur, Rosi pointe les contradictions de nos sociétés occidentales.

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