Critique : Le Ciel attendra

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Le ciel attendra

le-ciel-attendra-afficheFrance : 2016
Titre original : –
Réalisation : Marie-Castille Mention-Schaar
Scénario : Marie-Castille Mention-Schaar, Emilie Frèche
Acteurs : Sandrine Bonnaire, Noémie Merlant, Clotilde Courau, Naomi Amarger
Distribution : UGC Distribution
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie : 5 octobre 2016


Note : 4/5

C’est en tant que productrice que Marie-Castille Mention-Schaar a commencé, en 2002, à travailler pour le cinéma. Il y a 5 ans, elle s’est lancée dans la réalisation et, ces cinq dernières années, elle a écrit et réalisé les quatre films qu’elle a produits. Les trois premiers ont reçu un très bon accueil, aussi bien de la part du public que des spectateurs. Le quatrième, Le Ciel attendra, s’attaque à un sujet très lourd, celui de la radicalisation jihadiste de jeunes filles, une radicalisation que les parents n’ont pas vu venir. Un film très fort, un film important, un film nécessaire.

Synopsis : Sonia, 17 ans, a failli commettre l’irréparable pour « garantir » à sa famille une place au paradis. Mélanie, 16 ans, vit avec sa mère, aime l’école et ses copines, joue du violoncelle et veut changer le monde. Elle tombe amoureuse d’un « prince » sur internet. Elles pourraient s’appeler Anaïs, Manon, Leila ou Clara, et comme elles, croiser un jour la route de l’embrigadement… Pourraient-elles en revenir?

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Deux adolescentes et Daech

Sonia et Mélanie sont deux adolescentes de 16/17 ans, issues de familles de la classe moyenne, sans problème particulier jusqu’à ce que … Catherine, la mère de Sonia, est professeur de français dans un lycée. De Samir, son père, on sait qu’il est d’origine maghrébine, on devine qu’il est ou qu’il a été musulman. Sylvie, la mère de Mélanie, est propriétaire d’un salon de coiffure à Créteil et elle est divorcée. Le père de Mélanie ? On le voit peu et on ne sait presque rien sur lui. Mais qu’importe, après tout, puisque le film se concentre surtout sur cinq femmes : les deux adolescentes, les deux mères et Dounia Bouzar, l’anthropologue qui a fondé en 2014 le Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam et qui joue ici son propre rôle. Deux adolescentes sans problème jusqu’à ce que … En fait, Le Ciel attendra va, de façon presque documentaire, analyser chez Sonia une phase de déradicalisation et, chez Mélanie, une phase de radicalisation. Sans qu’on sache exactement comment elle en est arrivée là, Sonia a échoué à partir en Syrie et elle est arrêtée au domicile de ses parents alors qu’elle s’apprêtait à commettre un attentat. La juge leur ayant donné le choix, ses parents préfèrent la solution consistant à cloîtrer leur fille chez eux plutôt que la rétention en centre fermé. Commence alors ce long combat pour réintégrer Sonia dans le giron familial. Difficile, alors que cette dernière reste persuadée que seule la pureté de sa foi va pouvoir sauver tous les membres de sa famille de l’enfer. Mélanie, elle, est, ou plutôt était, une excellente élève, aimant pratiquer le violoncelle, engagée dans l’humanitaire et assez active sur les réseaux sociaux. C’est sur Facebook qu’elle a rencontré son « prince charmant », celui qui, petit à petit, va l’embrigader. Sans lui parler, ou très peu, de religion. Sans lui parler, bien sûr, des actes atroces commis par Daech. Non, c’est de façon très subtile que ce correspondant va lui montrer de l’empathie lors du décès de sa grand-mère qu’elle aimait tout particulièrement, va lui évoquer les méfaits de la société de consommation qui s’est installée en Europe, des gâchis inhérents à ce mode de vie alors qu’ailleurs dans le monde, des millions de gens meurent de fin, va lui parler de ce qui est fait en Syrie pour aider les populations. Cette méthode « douce », insidieuse, va amener  Mélanie à se détourner de ce qui était important dans sa vie antérieure : ses amies, le violoncelle, sa mère, avec qui elle avait pourtant d’excellents rapports.

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 Un film très documenté

On ne se lance pas dans un film dont le sujet est aussi sensible sans un gros travail en amont. C’est ainsi qu’après avoir obtenu l’accord de Dounia Bouzar,  Marie-Castille Mention-Schaar l’a accompagnée pendant plusieurs mois auprès des parents et des enfants qu’elle s’efforce inlassablement d’aider un peu partout dans notre pays. Pour la réalisatrice, il était bien sûr impossible de réaliser un documentaire consistant à suivre le quotidien d’une jeune fille en phase de radicalisation, la dissimulation vis-à-vis de son entourage étant de mise pour une telle personne. Impossible aussi de suivre une jeune fille en phase de déradicalisation, un tel sujet étant psychologiquement bien trop fragile pour être suivi par une équipe de tournage. Marie-Castille Mention-Schaar a donc choisi de réaliser une fiction, mais Sonia et Mélanie sont en fait la somme de plusieurs jeunes filles rencontrées par la réalisatrice lorsqu’elle accompagnait Dounia Bouzar et la recherche de la vérité a été un objectif permanent, tant au niveau des situations que des dialogues. Pour aller dans ce sens, la réalisatrice a été aidée par une jeune femme de 22 ans, passée par le processus de radicalisation, partie rejoindre Daech et revenue de Syrie. Une aide précieuse pour pratiquement tous les « détails » de la vie de Sonia et de Mélanie : vocabulaire utilisé lors des conversations de séduction, vêtements, dialogues, attitudes, comportements, etc..

Effet du hasard, le tournage de ce film a commencé 3 jours après les attentats parisiens du 13 novembre 2015. D’un côté, la difficulté d’aborder de front un tel sujet si peu de temps après les drames subits par de nombreuses familles. De l’autre côté, la nécessité de réaliser le plus rapidement possible un tel film pour combattre les nombreuses idées reçues concernant ce sujet : montrer que les adolescentes  qui cherchent à rejoindre Daech sont très souvent des converties venant de familles chrétiennes ou athées, qu’elles sont souvent issues de la classe moyenne, voire supérieure et qu’elles sont de plus en plus nombreuses, Daech ayant autant besoin de « mères pondeuses » que de combattants. Ce film expose aussi l’argumentaire utilisé par les recruteurs : jouer sur le besoin de transcendance, sur le besoin de donner un sens à sa vie qui s’éloigne du « toujours plus » en matière de consommation, sur la soif d’idéal, de pureté et de justice, insister sur la corruption et les scandales du monde politique et du monde économique. Ce film, enfin, montre les dangers présentés par les réseaux sociaux chez des jeunes à l’esprit critique insuffisamment développé.

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Un choix peut-être risqué, des choix judicieux

Il n’est pas interdit de penser que, lorsqu’elle s’est lancée dans la réalisation de Le Ciel attendra, Marie-Castille Mention-Schaar s’est trouvée face à un dilemme : réaliser un film qui, dans un souci didactique, soit facile à suivre pour l’ensemble des spectateurs ou alors réaliser un film davantage travaillé d’un point de vue cinématographique, quitte à perdre en route quelques spectateurs. C’est cette seconde voie qu’a choisie la réalisatrice et on reconnaîtra que c’est tout à son honneur. C’est dans le montage que ce choix se manifeste le plus, et on espère que le montage éclaté, qui arrive à rendre le début du film parfois assez confus, ne rebutera pas de trop nombreux spectateurs.

L’interprétation est une des grandes qualités du film. Pour jouer Sonia et Mélanie, Marie-Castille Mention-Schaar a fait appel à Noémie Merlant et Naomi Amarger, deux jeunes comédiennes très prometteuses qui avaient déjà tourné pour elle dans Les Héritiers. Leurs mères sont interprétées par Sandrine Bonnaire et Clotide Courau, tout aussi bouleversantes l’une que l’autre. Les pères, beaucoup moins présents, sont interprétés par Zinedine Soualem et Yvan Attal. On remarque aussi Dounia Bouzar dans son propre rôle et l’apparition fugace d’Ariane Ascaride dans le rôle d’une juge. Un petit plaisir musical accompagne parfois le film : la version chorale de la chanson « Meaning » du groupe Cascadeur.

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Conclusion

Le cinéma français nous avait déjà offert, récemment, Les Cowboys de Thomas Bidegain et La Route d’Istanbul  de Rachid Bouchareb, deux films qui s’intéressaient à l’action menée par des parents pour rechercher leur enfant parti rejoindre Daech en Syrie. Dans Le Ciel attendra, Marie-Castille Mention-Schaar a choisi de se concentrer sur les enfants, son but étant de montrer la phase de recrutement, celle qui se passe en amont d’un éventuel départ en Syrie, ainsi que la phase de déradicalisation, celle qui se passe lorsque ce départ a avorté ou lorsque, par chance, l’enfant revient vivant de Syrie. On aura compris que Le Ciel attendra est un film important, dont on espère qu’il sera vu par un grand nombre de spectateurs, adolescents, parents, enseignants, hommes et femmes politiques.

 

 

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