Critique : Dead slow ahead

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Dead slow ahead

Espagne, 2015
Titre original : Dead slow ahead
Réalisateur : Mauro Herce
Scénario : Mauro Herce & Manuel Muñoz
Acteurs : –
Distribution : Potemkine Films
Durée : 1h14
Genre : Documentaire
Date de sortie : 5 octobre 2016

Note : 3,5/5

Permettez-nous de commencer ce texte par une petite digression, à l’image de ces gros navires qui font du surplace en attendant de connaître leur destination et d’arriver en fin de compte à bon port : et si Frederick Wiseman faisait un jour un documentaire sur un paquebot ? L’observateur en chef des microcosmes sociaux serait certainement dans son élément à bord de ces forteresses flottantes, qui reflètent pleinement notre culture contemporaine de vacances aseptisées, voire suspendues dans un pays de cocagne artificiellement idéalisé. Les passagers et l’équipage rassemblés dans un huis-clos fait d’acier et d’eau se prêteraient facilement au regard de Wiseman, par essence dépourvu de commentaire. Contrairement au réalisateur américain, qui met l’homme au centre des préoccupations dans ses documentaires fleuve, la démarche de l’Espagnol Mauro Herce vise à créer un univers mécanique, à la beauté fonctionnelle et inquiétante, dans lequel l’être humain ne joue plus qu’un rôle fantomatique. Le premier film de cet ancien chef-opérateur séduit alors par son esthétique ciselée, pas très loin de l’œuvre d’art cinématographique, qui en dit pourtant long sur la nature superflue de l’homme dans un monde régi par les machines.

Synopsis : Le réalisateur Mauro Herce embarque pendant plusieurs mois à bord du cargo Fair Lady. Il y observe les procédures industrialisées de chargement, le quotidien des marins en pleine mer, ainsi que le rattrapage minutieux d’une voie d’eau qui a anéanti la cargaison de blé transportée par le navire.

Métropolis-sur-Mer

Ces derniers temps, les cargos ont le vent en poupe au cinéma. Alors que leur aspect visuel était surtout employé à une fin de nostalgie poétique dans le récent Exotica Erotica etc. de Evangelia Kranioti, dans Dead slow ahead leur structure imposante est au cœur même du projet artistique. Ce documentaire plus envoûtant que contemplatif fonctionne telle une ode sublime en hommage aux tuyaux, aux soutes à moitié vides, aux grues de chargement qui s’activent apparemment sans aucune influence humaine, au moteur ronronnant et à la superstructure avec son écriture en grosses lettres qui rappelle la défense de fumer. Le point commun entre ces motifs, photographiés avec un talent visuel jamais pris en défaut, serait leur démesure. Or, aussi écrasants soient-ils grâce à l’œil extrêmement avisé de Mauro Herce, ils ne restent que des machines sans âme, œuvrant dans un mouvement perpétuel, au sens pas immédiatement perceptible. Plutôt que d’expliquer platement ce qui se passe dans les différentes parties du bateau, la mise en scène agence les brèves séquences du film sous forme de trip aux repères approximatifs, accentuant ainsi encore notre sensation pas désagréable de perte dans les dimensions immenses du Fair Lady.

La Mécanique des hommes

Et l’homme dans cet opéra de labyrinthes en métal sur fond d’une bande son aux tonalités futuristes ? Il remplit forcément une fonction subalterne, voire un rôle d’esclave réduit aux travaux de Sisyphe, telle la vidange de la soute à coups de seaux minuscules, après l’introduction accidentelle de l’eau, pendant que les machines décrivent des mouvements amples et majestueux. Ce monde apocalyptique pourrait en effet aisément se passer d’eux. Il leur a tout de même aménagé une sorte de sas de survie : l’espace fumeur, accessoirement reconverti en salle de chant de karaoké. Le divertissement quasiment exclusif des hommes de l’équipage apparaît une première fois en arrière-plan vers le début du documentaire, lorsqu’il est confiné derrière une vitre épaisse, qui laisse apparaître les gestes des chanteurs sans leur accompagnement musical. Sensiblement plus tard, la caméra se plonge corps et âme dans ce désordre mi-joyeux, mi-graveleux, ce qui constitue – certainement pas par hasard – la seule séquence de Dead slow ahead à ne pas être orchestrée avec une précision impressionnante. Enfin, le côté individuel des hommes par le biais des coups de fil à la maison aux Philippines, à l’occasion des fêtes de fin d’année, devra se contenter de la voix off, puisque l’image a d’ores et déjà retrouvé sa sérénité ambiguë des halls déserts.

Conclusion

Dead slow ahead est un premier film qui fait preuve d’une admirable mesure ! La mesure visuelle d’abord, avec ces plans magistraux sans exception, qui cherchent et trouvent une beauté époustouflante dans un décor industriel principalement à vocation marchande. Puis grâce au talent remarquable du réalisateur Mauro Herce de rythmer son film relativement expérimental avec une aisance qui ne soumet le spectateur à aucun moment à l’épreuve de l’ennui. Avec une durée plus substantielle, pareil projet hardi aurait pu devenir fastidieux, mais à un peu plus d’une heure, cette réflexion abstraite sur notre société déshumanisée soulève au contraire notre enthousiasme de chercheur d’expériences filmiques originales !

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