Côté européen, cette année aura surtout été favorable à l’Allemagne et au Portugal avec chacun deux films en compétition. La Belgique et les Pays-Bas se partagent le reste du tableau avec un moyen-métrage chacun. D’Outre-Rhin, on aura vu The Masked monkeys d’Anja Dornieden et Juan David González Monroy et Die Katze de Mascha Schilinski.
The Masked Monkeys est issu d’un duo de cinéastes berlinois réuni sous le nom d’ojoboca – œilbouche littéralement – qui pratique depuis environ 5 ans ce qu’ils appellent l’ « horrorisme », une méthode simulée de transformation intérieure et extérieure. Leurs courts-métrages précédents, souvent tournés en 16mm, étaient marqués par des textures sensorielles et visuelles d’une grande richesse et c’est encore le cas ici. Ce documentaire en noir et blanc montre comment des spectacles de rue en apparence anodine, issus de dressages de petits singes sur l’île de Java, se révèlent être de véritables expériences mystiques. Chaque geste, chaque action est pesée afin de bâtir un lien spécial de domination et de respect entre l’animal et l’humain. Du choix du singe en passant par son apprentissage, chaque instant est pensé en vue de la représentation et c’est un pas vers une perfection qui peut aller jusqu’à faire entrer les spectateurs dans une transe totale. Les cinéastes cherchent à montrer cette progression dans le temps jusqu’à la mort du maître ou de l’animal et au passage de relais entre un maître dresseur et son apprenti, dans une expérience animiste étonnante qui culmine dans une sublime séquence stroboscopique au moment où le spectacle du singe atteint une sorte de climax narratif. Cet animisme à la fois traditionnel et cinématographique place The Masked monkeys quelque part entre Jean Epstein et Jean Rouch, dans une expérience sensitive impressionnante.
Die Katze est le film de fin d’études de Mascha Schilinski, issue de la Filmakademie Baden-Württemberg. Si le scénario revêt quelques airs de déjà vu – une adolescente aux prises avec une mère possessive et aux problèmes psychologiques certains et un père qui a fui le domicile familial pour refonder une famille ailleurs – c’est le jeu des deux actrices et la forme du film qui font son originalité et sa force. Quasi maniériste, par les effets et artifices dont il peut user, il reste innovant et on sent sa maîtrise du cadre, de l’image et du son, notamment dans l’utilisation d’éléments graphiques favorisant l’apparition de la folie ou de la peur et dans l’ajout de sonorités dérangeantes accentuant les effets d’angoisses et de perturbations engendrés par le récit. Ce moyen-métrage est tout entier une alarme mentale. La réalisatrice met en place ce système dès le générique et elle y aura recourt assez fréquemment, notamment dans les images radiographiques d’un cerveau en liquéfaction ou rempli de fourmis, dans le dessin animé réalisé pour l’occasion que la jeune fille, constamment anxieuse, stressée et prête à exploser, regarde. Chaque plan préfigure le suivant et fait du chat du titre un animal aussi mystérieux, que malsain, et surtout porteur de mort.
Face au maniérisme allemand, les portugais étaient plus doux et mélancoliques. Maria do mar de João Rosas est encore une histoire où le héros est un adolescent – les moins de 18 ans étaient à l’honneur dans une bonne partie de la sélection – mais cette fois il est en retrait dans un monde de jeunes adultes et il découvre la sensualité à travers l’apparition d’une femme que beaucoup d’hommes convoitent et qui se refuse à tous. On est ici dans une jolie fable aux accents rohmériens, doucereuse et agréable mais qu’on oubliera aussi vite. Vila do Conde espreiaida de Miguel Clara Vasconcelos est plus expérimental dans sa forme mais moins radical que les films précédents : c’est la lettre d’amour vidéo d’un garçon portugais pour une fille restée en France. C’est aussi la carte postale d’une ville à travers plusieurs époques dans un montage d’images d’archives des plus poétiques d’où ressort une certaine violence toujours en suspens, un traumatisme jamais trop appuyé et une certaine peine latente et inhérente aux dialogues et aux images. On est en présence d’un film aussi sensible que le temps : il passe, se métamorphose et on ne sait s’il finit vraiment, alors qu’on est certain qu’à un moment où à un autre, tout un chacun ne sera guère plus qu’un vague souvenir…
A noter également la présence du Belge Le Mali (En Afrique) de Claude Schmitz, une délirante comédie, un peu longue mais qui plaira à tous les amateurs d’humour belge : gras, crasseux, pleine de morts et aux accents surréalistes. Et également d’un film néerlandais Full trottle III – end times de Renger van den Heuvel, un documentaire expérimental sous forme de road movie qui suit l’auteur Geerten Meijsing sur les traces de son roman End times. On le recommandera avant tout à ceux qui ont lu le livre ou qui connaissent l’écrivain.
On se doit également de mentionner les jolis à côtés du festival qui font qu’on aimerait y rester la semaine entière pour tout voir, même si là encore ce serait encore impossible : une discussion libre entre deux cinéastes ayant un lien avec le moyen-métrage (en 2016 : Jean-Marie Larrieu et Thomas Salvador), un focus sur le moyen-métrage indien et une série rarissime de Georges Franju en huit épisodes dont on aimerait une édition DVD/Blu-ray : L’Homme sans visage. Mais également plusieurs rétrospectives avec des films de Peter Weir, Robert Enrico, Chantal Akerman, Apichatpong Weerasethakul, Philippe Garrel, et la diffusion d’une collection de films commandée par Arte dans les années 90 à des cinéastes importants (André Téchiné, Claire Denis, Olivier Assayas…) et intitulée « Tous les garçons et les filles de leur âge… ». Sans compter la facette professionnelle avec table-rondes, pitch et ateliers…
Palmarès du festival de Brive 2016 :
Grand prix France : Vers la tendresse d’Alice Diop
Prix spécial du jury France : Le Dieu bigorne de Benjamin Papin
Grand prix européen : Die Katze de Mascha Schilinski
Prix spécial du jury européen : Masked monkeys d’Anja Dornieden et Juan David González Monroy
Prix du jury étudiant : Le Jardin d’essai de Dania Reymond
Mention du jury étudiant : Die Katze de Mascha Schilinski
Prix du public : Le Gouffre de Vincent Le Port
Quelques liens en guise de conclusion :
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Le site officiel du Festival de Brive
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