Critique : Marguerite et Julien

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marguerite et julien afficheMarguerite et Julien

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Valérie Donzelli
Scénario : Jérémie Elkaïm, Valérie Donzelli, d’après le scénario inédit de Jean Gruault
Acteurs : Anaïs Demoustier, Jérémie Elkaïm, Frédéric Pierrot
Distribution : Wild Bunch Distribution
Durée : 1h43
Genre : Drame, Romance
Date de sortie : 2 décembre 2015

3,5/5

La thématique de l’inceste est un topos régulièrement traité par le cinéma, que ce soit par voyeurisme ou pour développer une véritable réflexion. Parmi les films qui abordent cette thématique, nous pouvons retenir Le Souffle au cœur de Louis Malle, sorti en 1971 et interdit aux mineurs. Interdiction qui se justifiait par le sujet même du film, tabou majeur des sociétés. Depuis 1971, bien d’autres films traitant de ce sujet ont, toutefois, vu le jour, le dernier en date a été sélectionné au Festival de Cannes en 2015 et s’intitule Marguerite et Julien. Ce film a été réalisé par Valérie Donzelli connue notamment pour son œuvre intitulée La Guerre est déclarée, un film en grande partie inspiré par sa vie et celle de son compagnon d’alors, Jérémie Elkaïm. Nous les retrouvons avec Marguerite et Julien et cette fois Valérie Donzelli reste derrière la caméra, c’est Anaïs Demoustier que nous retrouvons dans le rôle de Marguerite. Ce film au thème controversé n’a connu ni interdiction aux mineurs ni censure, toutefois certains spectateurs condamnent ce film pour son immoralité.

Marguerite et Julien Jérémie Elkaïm Anaïs Demoustier 01

Synopsis : Marguerite et Julien de Ravalet, fils et fille du seigneur de Tourlaville, partagent depuis leur enfance une douce complicité qui se mue peu à peu en une tendresse et un amour certain. Si cet amour est connu par bon nombre de frères et sœurs, il dépasse le cadre de l’amour fraternel lorsque ces deux êtres grandissent. La tendresse se mue alors en une passion et un désir dévorant auxquels ils ne pourront échapper au grand dam de la société, qui les obligera dans un premier temps à fuir…

Marguerite et Julien Jérémie Elkaïm Anaïs Demoustier 02

 

Une invitation à la réflexion

Après la première au Festival de Cannes en mai 2015, la critique générale était plus que maussade à la sortie de la salle Louis lumière. Pour bon nombre de spectateurs Valérie Donzelli est passée à côté du sujet, pour d’autres, ce film est aussi grotesque, naïf que ridicule. Il convient de nuancer ces attaques sanglantes, presque caricaturales. Notons tout d’abord que ce scénario n’est pas né ex-nihilo, il est inspiré à la fois d’une histoire vraie, qui s’est déroulée au XVIe siècle, ainsi que d’un scénario de Jean Gruault destiné à François Truffaut. Cette thématique trouve, de plus, si besoin était, une justification dans l’actualité législative. En effet, quelques semaines, après sa présentation au Festival, une loi visant à condamner pénalement l’inceste devait être examinée. Ce film a dès lors un mérite certain, celui de réfléchir à cette question contemporaine, et ce sous un jour différent. Pour ce faire, il semble que le choix de ce scénario, basé sur une relation entre un frère et sa sœur, soit déterminant dans notre réflexion. Si Valérie Donzelli avait choisi de traiter cette question en exposant une relation incestueuse entre parent/enfant, il est très probable que nous serions restés sur nos positions, condamnant avec dégoût ces relations contre nature. Par ce choix même, Valérie Donzelli nous impose une réflexion sur l’inceste et sur les nuances qui peuvent y être apportées. En exposant cette histoire d’amour fraternelle, incarnée par deux beaux jeunes gens, issus d’une bonne famille bourgeoise, Valérie Donzelli, met à mal le cliché de « détraqués repoussants » et invite au pathos, les émotions étant souvent à la base des réflexions ainsi que le souligne Victor Hugo.

Marguerite et Julien Anaïs Demoustier

Une tentative d’impartialité

Valérie Donzelli expose tour à tour différents points de vue, que ce soit celui de la société et la condamnation qui s’ensuit, ou ceux du curé et des parents qui, devant l’ampleur de cet amour, finissent par l’accepter. Valérie Donzelli tente, en ce sens, de ne pas prendre parti et expose toutes les opinions possibles, laissant le spectateur face à cette problématique. Toutefois, cette tentative d’impartialité trouve ses limites, notamment dans le choix scénaristique et par le pathos qui en découle.

Un parti pris controversé

Un amour fatal, traité de manière romanesque, tel était le parti pris de la réalisatrice, et il lui a été vivement reproché. A l’image d’un film de Truffaut, de Godard, ou de Woody Allen tel que Irrational Man, Valérie Donzelli choisit de se servir d’une voix off, et de développer son scénario à partir d’un conte, conté par une jeune fille dans un orphelinat. Choix narratif que l’on retrouve généralement dans des films destinés aux enfants. Ce parti pris peut être discuté, en effet, évoquer cette histoire comme un conte, destiné aux enfants, revient à normaliser un phénomène qui ne peut l’être par son essence même. Ce parti pris peut également nous éloigner d’une réalité et de ses conséquences indéniables, nous empêchant ainsi de nous questionner objectivement sur cette problématique. À ce titre, notons que les deux protagonistes ont un enfant qui naît sans handicap. La réalisatrice évacue alors une donnée, pourtant bien réelle, à prendre en compte dans les risques d’une telle relation.

Ce choix peut cependant se justifier, dans la mesure où il permet de montrer que cet amour peut être apprécié en tant quel tel et dans toute sa beauté, au même titre que dans des films romantiques classiques. Il a également été reproché à Valérie Donzelli, l’usage, beaucoup trop répété, d’anachronismes. Et s’il est vrai que voir apparaître un hélicoptère, au 16e siècle, semble pour le moins déconcertant, ce parti pris a pour intérêt de révéler l’intemporalité de cette histoire. Intemporalité qui relève, tant de son caractère incestueux, toujours problématique, que par cette histoire d’amour elle-même. Ce sentiment intemporel est exprimé par une série de plans, d’une beauté plastique réelle, qui clôt le film et qui lui donne une pertinence et un panache certains. Ces plans, corrélés à une voix off entêtante : «Nous revenons, nous sommes écorce, rocher… », invitent à la réflexion. Paradoxalement cet amour contre nature devient naturel, par cette analogie minérale, et il semble donc difficile de le combattre. Au delà de toutes ces réflexions auxquelles nous invitent ce film, ce dernier prend la forme d’une véritable tragédie, qui montre du doigt la société, notamment à l’aide du pathos.

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Conclusion

En définitive, ce film demeure une œuvre cinématographique intéressante et particulièrement audacieuse et ce, même si elle comporte quelques maladresses. La thématique du film et le parti pris de la réalisatrice sont discutables et invitent justement à la discussion. La fiction est alors le point de départ d’une réflexion législative et philosophique, pour qui le veut. Le risque du voyeurisme n’étant pas écarté avec ce type de thématique. Depuis la caverne de Platon jusqu’à l’infirme de Fenêtre sur cours on note une curiosité profonde pour ce qui ne fait pas partie de la norme. Le voyeurisme est sans conteste le filon et le risque du cinéma.

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