Critique : Un temps pour vivre un temps pour mourir

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Un temps pour vivre un temps pour mourir

Taïwan, 1985
Titre original : Tong nien wang shi
Réalisateur : Hou Hsiao Hsien
Scénario : Chu Tien Wen et Hou Hsiao Hsien
Acteurs : Feng Tien, Fang Mei, Tang Ju Yun
Distribution : Carlotta
Durée : 2h17
Genre : Drame familial
Date de sortie : 3 août 2016 (Reprise)

Note : 3,5/5

Il existe un nombre incalculable de films sur l’enfance et l’adolescence. Très peu d’entre eux jouissent par contre de la même force intérieure qu’Un temps pour vivre un temps pour mourir. Hou Hsiao Hsien y évoque avec un calme apaisant et pourtant hautement passionnant quelques années dans la vie d’un garçon, qui ressemblent à peu de choses près à sa propre période formatrice. Il ne se passe rien de particulièrement exceptionnel pendant les plus de deux heures de film et le protagoniste ne brille point par son comportement exemplaire. Pourtant, toute la magie du cinéma s’épanouit dans cette exigence formelle née de la simplicité. Le réalisateur en a fait son fond de commerce depuis plus de trente ans, pour le plus grand bonheur des cinéphiles en quête de découvertes dépaysantes. Loin de nous l’idée de nous improviser en experts de l’œuvre de Hou Hsiao Hsien. Notre curiosité est cependant éveillée avec insistance, grâce à ce très beau film à la sensualité simultanément sourde et enivrante.

Synopsis : A la fin des années 1940, alors que la guerre entre la Chine communiste et Taïwan fait rage, la famille de Ah-ha vit modestement sur l’île. Seule la vieille grand-mère rêve encore de retourner sur le continent, un souhait qu’elle met régulièrement à exécution en partant à l’aventure avant d’être ramenée par des chauffeurs de pousse-pousse. Entouré de ses deux sœurs et trois frères, Ah-ha mène l’existence typique d’un enfant sans histoire, quoique pas non plus sage comme une image. Son goût pour l’interdit lui attirera même quelques ennuis à l’adolescence, après la mort de son père malade depuis longtemps.

Douce nuit ou l’énergie du chat

Il serait facile de cataloguer ce film envoûtant dans la catégorie potentiellement barbante des œuvres au style contemplatif. L’absence manifeste d’enjeux dramatiques, tout comme le rythme narratif fermement attaché à une lenteur imperturbable auraient pu en faire une source pénible de frustrations en tout genre. La mise en scène de Hou Hsiao Hsien nous prive en effet de nos repères habituels, voire de nos critères d’appréciation basés sur une exposition majoritaire aux canons du cinéma occidental. Selon ces exigences envers le fond et la forme d’un film, Un temps pour vivre un temps pour mourir aurait dû nous inspirer rien d’autre que de l’indifférence. Heureusement, il n’en est strictement rien, grâce à la force doucement persuasive du récit. Aucune émotion n’y est platement sollicitée, aucun plan ne cherche à attirer l’attention sur lui par la perfection plastique de sa composition. Le mystère du film va sensiblement plus loin, jusqu’à se fier avec une aisance bluffante à la banalité de l’intrigue, accessible à tous par son portrait d’une routine familiale néanmoins pimentée par l’espièglerie du personnage principal.

Trois morts et une seule vie

Ce qui ne veut pas dire que Ah-ha serait le prototype du réalisateur en herbe, d’ores et déjà attaché à chroniquer à sa façon l’alternance de hauts et de bas dans son cercle familial. Autrement dit, ce film n’est pas du tout un avant-goût enthousiasmant et plein de nostalgie de ce qu’allait être l’œuvre cinématographique d’une vie, comme avait pu l’être Jacquot de Nantes de Agnès Varda. Non, le protagoniste de ce film-ci a au contraire choisi son camp du côté des cancres, puis des voyous, dans la plus pure tradition des gamins qui avaient initialement mal tourné. Son effronterie assez divertissante constitue même un pendant vigoureux à son ressenti à fleur de peau, notamment lors des épreuves successives qu’il devra traverser en compagnie de ses frères et sœurs. La narration n’en fait pas pour autant un récit initiatique à vocation édifiante, mais juste un éventail d’endroits et de personnages secondaires, qui nous deviennent de plus en plus familiers au fur et à mesure que le temps progresse. En somme, le savoir-faire inouï du réalisateur réside précisément dans le simulacre de sa nonchalance à l’égard de l’action, alors qu’il est en réalité aux commandes du plus infime détail de ce microcosme hypnotisant.

Conclusion

Nous sommes décidément tombés sous le charme de Hou Hsiao Hsien à travers cette saga familiale sans signes distinctifs, en dehors de son pouvoir d’évocation d’une subtilité fabuleuse. Ce n’est certes pas du cinéma facile à consommer, mais la récompense en termes de satisfaction des sens vaut largement l’effort de s’immerger dans un monde filmique aux règles singulières.

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