«Rendez-vous dans 25 ans». Voici ce que dit un personnage à un autre dans le dernier épisode de Twin Peaks. En l’occurrence, les 25 ans sont passés, et j’ai enfin découvert cette œuvre que l’on dit fondatrice pour les séries TV actuelles (qui ne sont plus forcément vues sur des chaînes télévisées, soit dit en passant !).
Découvrir Twin Peaks, c’est comme se perdre dans une forêt. La série, créée par Mark Frost et David Lynch, tisse au fil des épisodes une ambiance étrange, nimbée de mystères. Car une fois la série digérée, plus que son histoire (ou plutôt les nombreuses intrigues qui la composent) c’est cette ambiance, que je n’ai personnellement jamais trouvé ailleurs que les films dudit Lynch, qui persiste. A l’image de la banlieue résidentielle de Blue Velvet ou plus tard du Hollywood de Mulholand Drive et de Inland Empire, la petite ville de Twin Peaks semble en dehors de la réalité, malgré ses apparences de ville typique du nord des États-Unis. Sous l’apparente banalité des habitants se cachent en effet des secrets que l’on découvrira au fur et à mesure des épisodes. Mais Twin Peaks c’est aussi (et surtout ?) une musique d’Angelo Badalamenti, qui a composé la musique originale de tous les films du réalisateur depuis Blue Velvet. Une musique jazzy qui non seulement encadre les épisodes lors des génériques de début et de fin, mais qui est omniprésente tout au long de la série, participant à cette ambiance lynchienne que j’ai tant de mal à décrire avec des mots.
Ce sont aussi les thèmes, les obsessions de Lynch que l’on retrouve, et la série semble même préfigurer les futures œuvres du réalisateurs. Comme plus tard dans le «diptyque sur Hollywood» (Inland Empire et Mulholand Drive donc), les femmes sont au centre de l’action, et constituent des rôles forts bien éloignés des stéréotypes qui subsistent encore aujourd’hui dans de trop nombreuses œuvres audiovisuelles. On retrouvera même la figure de la dualité brune / blonde avec les personnages de Laura Palmer et de de sa cousine.
La série n’est cependant pas un long film de Lynch, qui n’en réalise «que» 6 épisodes (des plus marquants, certes), puisque toute une ribambelle de réalisateurs se succèdent, tel que le veut la tradition télévisuelle. Et en tant que série, Twin Peaks prend le temps de développer de nombreux personnages. On peut distinguer des personnages principaux des second rôles qui apparaissent sporadiquement mais marquent la rétine (à jamais ?), comme Bob, personnification du Mal, campé par un certain Frank Silva qui s’est retrouvé par hasard dans le rôle, alors qu’il travaillait comme accessoiriste sur la série. Mais Twin Peaks ne serait rien sans sa fameuse chambre rouge, qui apparaît (trop) rarement dans la série, au centre de laquelle se trouve un nain au déhanché singulier et aux paroles énigmatiques, figure sympathique autant qu’étrange apparaissant dans ce qu’il semble au début n’être que des rêves de l’agent Dale Cooper.
Cooper, agent du FBI enquêtant sur la fameuse mort de Laura Palmer, va ainsi mener son enquête grâce à des apparitions (?), via des scènes finalement filmées de manière sobre (une lumière bleue, un contrechamp, un géant : la recette du succès). Cooper, plus qu’un personnage, c’est une icône, symbole d’un certain savoir vivre, une attitude classe et simple à la fois. Dans sa peau, Kyle MacLachlan, protagoniste de Dune et de Blue Velvet, qui n’aura pas une carrière à sa hauteur : rien de bien marquant depuis Twin Peaks, sinon un rôle principal dans le Showgirls de Verhoeven. Peut-être à cause de son jeu d’acteur assez singulier, parfois à la limite du théâtral, peut être trop à part, et qui me fait penser au jeu d’un autre acteur qui n’a absolument rien à voir : notre Jean-Pierre Léaud national (je m’autorise tout pour une critique d’une œuvre de Lynch, même la citation un icône de la nouvelle vague !). Il ne faudrait cependant pas passer à côté des autres acteurs de la série, même si certains jeunes ont un jeu qui laisse à désirer au départ (Dana Ashbrook / Bobby Briggs ou James Marshall / James Hurley par exemple). La plupart n’auront d’ailleurs jamais une grand carrière, comme quoi jouer dans une des séries télévisées les plus marquantes de l’histoire peut n’avoir aucun impact … Mais on y reviendra.
Car Twin Peaks est bel et bien une série qui se trouve dans le haut du panier télévisuel. Sans être un spécialiste du format, je ne pense pas prendre de risque en avançant qu’elle ne ressemble à rien d’autre d’antérieur à son époque et son empreinte se ressent sur le format des séries TV, qui a atteint sa maturité depuis le début des années 2000. Trop longue pour être considérée comme un film en plusieurs parties (contrairement à des séries actuelles comme True Detective ou Fargo), elle ne renie pas son medium sans que les épisodes puissent se voir séparément. Le récit s’étend ainsi sur 30 épisodes, forts de nombreuses intrigues secondaires. Cependant, dès l’épisode 15 une intrigue importante est résolue, et la série prend un autre tournant. Ainsi, d’autres intrigues apparaissent, chacune dans un genre différent (thriller, parodie de sitcom lycéennes …) et l’importance de Cooper augmente, passant d’enquêteur à potentielle victime, avec l’apparition d’un nouveau personnage, Windom Earle. Cette explosion d’intrigues reste cependant maîtrisée, et le fil conducteur de la série passe finalement du mystère entourant le meurtre de Laura Palmer aux mystères entourant la ville de Twin Peaks, allégoriquement comme littéralement, la forêt prenant de l’importance.
Twin Peaks, c’est aussi un film sorti en 1992. Échec critique et commercial à sa sortie, il est pourtant très apprécié par les cinéphiles aujourd’hui, loin d’être une simple transposition de la série en long-métrage. Scindé en deux parties- une demi-heure sur une enquête, le reste sur les derniers jours de Laura Palmer, on y retrouve la plupart des habitants de la ville, la plupart dans de simple apparitions, ainsi que l’immense (et regretté) David Bowie ou le génial Harry Dean Stanton qui font un court passage dans l’univers singulier de Twin Peaks. Plus sombre que la série, le film se permet de longues scènes marquantes, et nous révèle la vie de Laura Palmer sans cesse évoquée pendant les 30 épisodes. On découvre ainsi en image les nombreux visages de celle qui n’est pas la futile reine de bal que pourrait nous laisser croire la photo clôturant la plupart des épisodes. Une des scènes les plus mémorables du film, si on laisse de côté les embardées dans la red room, n’aurait certainement pas pu se faire à la télévision, et tel les moments les plus marquant de la filmographie de Lynch, cet instant provoque un état de transe chez le spectateur qui accepte le voyage. Je n’en dirai pas plus pour ceux n’ayant pas encore eu la chance de s’y plonger ! On peut ainsi se demander si le film peut se voir sans connaître la série, et je nuancerais ma réponse. D’un côté, il y aurait plus d’éléments mystérieux dans le film qu’il n’y en a déjà, et l’expérience se rapprocherait d’un Mulholand Drive – pour qui la série n’aura jamais vu le jour. Cependant, cela gâcherait l’un des « twists » de la série, à savoir qui est le meurtrier de Laura. Quoiqu’il en soit, à l’instar de la série, le film est un mystère à lui seul, composé de « pièces manquantes », tant dans le film lui-même que dans ses 90 (!) minutes de scènes coupées à découvrir dans l’intégrale Blu-ray.
En fin de compte, lorsqu’on a fini de découvrir Twin Peaks, on est encore perdu. La série, annulée à cause de sa faible audience, se finit sur un cliffhanger qui peut se voir comme une fin ouverte – de toute façon le spectateur n’a pas le choix … Ou plutôt ne l’avait pas, puisque la troisième saison a été annoncée pour 2017 ! Dire que la saison 3 est attendue au tournant serait un euphémisme, donc espérons que le maître n’a pas perdu la main, et d’ici là je vous souhaite de (re)découvrir le merveilleux (ou presque) monde de Twin Peaks.
Rendez-vous dans 25 1 an !
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