Entretien avec Małgorzata Szumowska, réalisatrice de Elles 2/2

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(photo : Alexandra Fleurantin)

Deuxième partie de l’entretien avec la réalisatrice polonaise Małgorzata Szumowska (Festival Européen des Arcs, 2011) pour le film Elles.

(photo : Alexandra Fleurantin)
(photo : Alexandra Fleurantin, Festival Européen des Arcs 2011)

Critique-Film : Votre productrice précisait que le film avait été compliqué à financer notamment à cause d’un élément central du central : les prostituées ne sont pas présentées comme des victimes…

Małgorzata Szumowska : En effet, le montage financier n’a pas été de tout repos. Nous avons trouvé de l’argent sans problème en Pologne. Je suis plutôt reconnue là-bas et les gens étaient contents que j’ai la possibilité de tourner un film en France avec Juliette Binoche. Le Polish Film Institute nous a soutenu. L’Allemagne également, car mes précédents films ont été tournés là-bas, mais avec la France, ce fut plus compliqué. À cause du sujet et de la façon dont on le traitait, à l’inverse de certains articles qui privilégiait l’aspect social, ce qui n’est pas notre cas. Ils le traitent comme un sujet terrible avec des filles qui souffrent et doivent subir des choses terribles, victimes du capitalisme. C’est une approche que j’estime convenue et notre scénario était très éloigné de cela. Pas de jugement, pas de morale, ce à quoi les responsables de commissions étaient opposés, se disant ‘ mais c’est quoi ce truc ? ‘. J’aime beaucoup ce qu’écrit Michel Houellebecq et lorsque l’on lit ses livres, il ne juge pas mais montre une situation telle qu’elle est vécue et voilà c’est tout. Et c’est à vous d’émettre votre propre opinion. Faire un film avec cette approche vous apporte beaucoup de liberté et cela ne semble pas séduire les gens qui sont dans les commissions qui contrôlent les cordons de la bourse, surtout en France. Selon une autre théorie, ils ne sont pas très ouverts aux réalisateurs étrangers. Ils préfèrent soutenir les français. C’est peut-être normal, chaque pays fait de même. Ce n’est peut-être pas une bonne idée d’évoquer une critique négative mais le Hollywood Reporter, très conservateur, me reprochait aussi de ne pas exprimer de jugement et d’afficher une vision fantasmée de la prostitution, où des femmes peuvent ressentir du plaisir à faire ce qu’elles font. À leurs yeux, ce n’est pas possible. C’est pourquoi réunir les fonds ne fut pas une chose aisée et pourquoi le film divise autant. Certains l’aiment beaucoup et d’autres le rejettent. Cela vient de notre rejet de la morale facile.

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Critique-Film : Sans juger vos personnages, vous montrez néanmoins que leurs activités sexuelles ont un effet sur leurs personnalités. Anaïs change de comportement avec son petit ami et Joanna Kulig a une relation compliquée avec sa mère. Ces scènes ont été compliquées à écrire tout en évitant le jugement ?

Małgorzata Szumowska : C’était en effet très compliqué car nous voulions tout de même aborder la dimension sociale et psychologique du sujet. Si vous vous lancez dans ce type d’activités, cela laissera forcément une trace. Avec ma co-scénariste, nous craignions que ces rencontres avec le petit ami ou la mère ressemblent à des clichés, c’est pourquoi on les a mis au second plan. Cela devait être dans le film, mais rester délicat, à peine effleuré et surtout pas didactique, ce qui aurait été terrible à mes yeux. On a d’ailleurs beaucoup coupé au montage. Même aujourd’hui, j’aimerais couper encore plus de ce qui reste dans le film.

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Critique-Film : Comme la séquence avec Joanna à la fac ?

Małgorzata Szumowska : Oui, au fond elle n’est pas utile, pour moi, à ce moment-là. D’un autre côté, certains spectateurs en ont besoin pour comprendre son parcours. Il s’agit de trouver le bon compromis entre ma vision d’auteur et ce qu’il est nécessaire de montrer à l’écran pour que l’histoire soit claire. L’une des idées était d’ailleurs de ne pas expliciter précisément le passage vers la prostitution.

 

Critique-Film : L’humour était aussi marqué dans le scénario ? Il donne parfois l’impression d’arriver comme par mégarde, était-ce pour désarçonner le spectateur ?

Małgorzata Szumowska : C’est bien, on y pensait en l’écrivait. Nous riions beaucoup durant l’écriture car dans les situations les plus tragiques, il peut se passer des choses très drôles. C’est ma vision des choses. Oui, c’était dans le scénario mais cela venait souvent d’improvisations avec les acteurs. L’humour à l’écran est différent de celui du script. Juliette Binoche a un sens de l’humour très développé et quand elle commence à rire, il n’est pas facile de l’arrêter, elle devient presque folle. Parfois durant le tournage, je me mettais à rire sans savoir pourquoi, comme avec la bouteille qu’elle n’arrive pas à ouvrir. Son rire n’était pas prévu et en voyant qu’elle avait du mal à ouvrir cette bouteille, j’ai éclaté de rire. Elle m’a regardé et là je sentais qu’elle allait partir dans un fou rire qu’elle a vainement tenté de retenir. Cela venait vraiment de la relation qui s’est créée entre nous…

Malgorzata Szumowska et Juliette Binoche sur le tournage
Malgorzata Szumowska et Juliette Binoche sur le tournage

Critique-Film : Sa scène avec Joanna Kulig était prévue de cette manière ?

Małgorzata Szumowska : Non, pas vraiment. L’idée était que la journaliste devienne ivre parce que la jeune polonaise lui versait de la vodka. Au début, cela ne marchait pas. On lui faisait boire de l’eau mais Binoche nous a dit : «Non, je ne peux pas travailler comme ça». Elle a bu deux gorgées de vodka et certes, elle n’était pas réellement ivre, mais c’était sa façon d’appliquer la Méthode à l’américaine. Et boire de la vodka la faisait rire. Cela reposait aussi sur une large dose d’improvisation, car Joanna ne parlait pas un mot de français et Juliette se moquait d’elle. Les questions que la journaliste posait étaient en français, c’était prévu dans le scénario et Joanna n’en comprenait pas un mot. Cette scène reposait sur cette incompréhension et sur l’alcool que Juliette devait boire. Je travaille toujours ainsi, à l’affût de ce type de moments.

 

Critique-Film : Comme lorsque Joanna s’écrit : «Elle me crache des spaghettis à la figure» ?

Małgorzata Szumowska : C’était vraiment drôle. Je ne savais pas si c’est à moi qu’elle s’adressait ou si c’était son personnage qui s’exprimait. Mais Joanna est elle aussi un peu fofolle, ce qui pour moi est un compliment.

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Critique-Film : Récemment, un festival de films polonais (Kinopolska) a eu lieu à Paris et permis de découvrir la jeune génération de cinéastes polonais. Quel regard portez-vous sur ces auteurs ?

Małgorzata Szumowska : Jan Komasa, le réalisateur de Suicide room, est très prometteur et il n’a que trente ans. La période actuelle est bonne pour le cinéma polonais. Je n’aurais pas dit cela il y a seulement cinq ans. Si vous m’aviez posé la même question, je n’aurais pu citer personne. Mais aujourd’hui avec des réalisateurs comme lui, l’espoir est permis… je crois en son talent. Il est très doué. Suicide room a été un triomphe. Le jeune acteur Jakub Gierszal était d’ailleurs très bon et il a fait ses débuts aux côtés de mon mari, Mateusz Kosciukiewicz. Ils étaient tous les deux dans le film All that I love de Jacek Borcuch. Le film de Komasa a vraiment ouvert des portes car plus de 800 000 personnes sont allées le voir en salles. Près d’un million pour un film d’auteur polonais, loin des clichés commerciaux, c’est un grand bouleversement en Pologne. Il est vraiment le cinéaste polonais le plus prometteur aujourd’hui. [NDLR : Ce qu’a également affirmé Andrzej Zulawski lors du festival Kinopolska en 2011]. Latzek David, réalisateur de Elle s’appelait Ki, a lui aussi beaucoup de talent, comme Bartosz Konopka qui a réalisé Vertige, même si ces deux derniers doivent encore faire leurs preuves. Pour Lech Majewski qui a tourné Bruegel, le moulin et la croix, le cas est différent. Il est d’abord reconnu comme créateur d’art contemporain. C’est un milieu très différent. Il est très connu dans le monde pour ses créations présentées au Moma ou dans les meilleures galeries.

Entretien avec Małgorzata Szumowska partie 1/2

Entretien réalisé le 15 décembre 2011 par Pascal Le Duff à l’occasion de la présentation en avant-première du film Elles avec Juliette Binoche lors du Festival Européen des Arcs. Merci aux attachées de presse du Festival, Vanessa Jerrom et Claire Vorger pour leur accueil et à la réalisatrice Małgorzata Szumowska de cet échange.

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