France, 1962
Titre original : –
Réalisateur : Jean-Pierre Melville
Scénario : Jean-Pierre Melville, d’après le roman de Pierre Lesou
Acteurs : Jean-Paul Belmondo, Serge Reggiani, Jean Desailly, René Lefèvre
Distribution : Sophie Dulac Distribution
Durée : 1h49
Genre : Gangster
Date de sortie : 13 mai 2015 (Reprise)
Note : 3,5/5
Jean-Pierre Melville n’a décidément pas fini de nous épater. La preuve avec cette pièce centrale de sa filmographie, qui est infiniment plus qu’un simple film de gangster stylisé et qui participe pleinement à ériger Jean-Paul Belmondo en monument incontestable du cinéma français. Car comme les meilleurs films de ce réalisateur de génie, Le Doulos nous prend constamment au dépourvu. Nous avons ainsi beau l’avoir déjà vu il y a longtemps, sa trame narrative surprenante ne manque pas de nous troubler à nouveau. Il s’agit d’une œuvre profondément énigmatique, d’un puzzle filmique dont les pièces pourraient être réassorties à volonté. Les codes du genre y volent subtilement en éclats pour laisser la place à une forme de désarroi et de cynisme qui fait fi de tout héroïsme classique. Le spectateur y est sans cesse en manque de repères, grâce à l’habileté avec laquelle la réalisation explore la noirceur inhérente au monde des petits voyous sans code d’honneur.
Synopsis : Sorti de prison depuis quelques mois, le braqueur Maurice Faugel espère se refaire une santé en cambriolant une villa à Neuilly. Il récupère son matériel de Silien, un jeune truand imprévisible, qui a des rapports un peu trop proches avec la police. Quand le casse tourne mal, Maurice soupçonne Silien de l’avoir balancé aux flics. Ce dernier poursuit pourtant des projets plus ambitieux, puisqu’il espère piéger le caïd Nuttheccio, le commanditaire d’un vol de bijoux avenue Mozart, afin de pouvoir partir avec la copine de celui-ci.
Mentir ou mourir
Le mot d’ordre est donné dès la préambule, puisqu’il sera question tout au long du film du choix primordial entre la trahison ou la disparition. Or, à bien y regarder, Le Doulos est à lui seul un énorme mensonge cinématographique. Dans ce labyrinthe de fausses pistes et d’alliances trompeuses, la confiance périt la première : celle en des évidences qui ne tardent pas à être démasquées comme un trompe-l’œil, voire celle en la force de direction de la narration. Que les choses soient bien claires, nous ne doutons nullement de la maîtrise absolue que Jean-Pierre Melville exerce sur le moindre plan de son film. L’exercice d’égarement du spectateur est donc aussi volontaire que tordu, puisque le doute s’installe si fermement que nous finissons par ne plus croire en rien. Même pas en cette étrange séquence d’explications avant le dénouement tragique final, qui nous aurait sans doute rassurés dans un contexte moins truffé de faux-semblants. Que ce soit à cause de la présentation des faits un peu trop limpide pour être honnête ou parce que tout le mécanisme narratif s’était employé soigneusement jusque là à instaurer la confusion, nous avons tendance à n’y voir qu’une énième manœuvre de déstabilisation de notre perception. Et il n’y a strictement rien d’étonnant à cela, après ce moment de tension inouï à l’autre extrémité du récit, lorsque au début du film les amitiés en apparence solides se soldent par un meurtre.
Belmondo au top
Le leurre suprême ne peut fonctionner que grâce à l’interprétation magistrale de Jean-Paul Belmondo. Déjà remarquable chez Melville l’année précédente dans Léon Morin prêtre, l’acteur gagne encore en duplicité malicieuse ici par le biais d’un rôle tout en nuances. Derrière sa gueule angélique se cache une méchanceté potentielle, qui n’éclate que rarement au grand jour, mais qui gronde en sourdine aux côtés d’une insolence innée et amplement consciente de ses capacités de manipulation. Sous les traits de Belmondo au sommet de son art, Silien reste un mystère pendant toute la durée du film, un homme de l’ombre qui tire les ficelles sans pour autant avoir le dernier mot. Son adversaire principal, quoique chancelant dans sa loyauté, est un Serge Reggiani lui aussi remarquable dans ses nombreuses tentatives jamais couronnées de succès de tirer son épingle du jeu. Dans des circonstances moins hardies d’un point de vue dramatique, son personnage aurait constitué une porte d’accès idéale pour le public à un univers criminel aux règles de fonctionnement complexes. Mais Jean-Pierre Melville ne nous rend pas, bien évidemment, la tâche si facile. Il excelle au contraire à brouiller les pistes, quitte à rompre une fois de plus avec les conventions les plus ennuyeuses du genre. Enfin, signalons la musique joliment expressive de Paul Misraki, l’apparition aussi brève que doucement machiavélique de Michel Piccoli, ainsi que les débuts de carrière prometteurs de Philippe Nahon dans le rôle du complice de Maurice et de Volker Schlöndorff comme assistant réalisateur.
Conclusion
Il faudrait chercher avec application pour trouver ne serait-ce qu’un seul faux pas dans le parcours exemplaire de Jean-Pierre Melville. Le Doulos ne l’est certainement pas, grâce à sa façon inventive de mener le spectateur par le bout du nez. Une telle duperie filmique contient toujours le risque de devenir frustrante et même agaçante. Ce qui n’est pas du tout le cas ici, puisque la récompense de cet astucieux jeu du chat et de la souris est un film hautement fascinant !