Les Cowboys
France : 2015
Titre original : –
Réalisateur : Thomas Bidegain
Scénario : Thomas Bidegain, Noé Debré
Acteurs : François Damiens, Finnegan Oldfield, Agathe Dronne, John C. Reilly
Distribution : Pathé Distribution
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie : 25 novembre 2015
Note : 4/5
Thomas Bidegain fait partie de ces personnalités du cinéma qu’on a déjà « croisées » plusieurs fois dans les salles obscures mais dont, la plupart du temps, on ne connaît pas le nom. En effet, jusqu’à la sortie de Les Cowboys, il n’était « que » le coscénariste des trois derniers films de Jacques Audiard et de plusieurs autres films importants, tel le Saint Laurent de Bertrand Bonello. C’est l’envie d’être en prise directe avec des acteurs qui l’a conduit à passer à la réalisation. Il a écrit le scénario de Les Cowboys avec Noé Debré, coscénariste comme lui de Dheepan, et ce film a fait partie de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs au dernier Festival de Cannes avant de recevoir le Prix Michel d’Ornano qui récompense le meilleur premier film français de l’année.
Synopsis : Une grande prairie, un rassemblement country western quelque part dans l’est de la France. Alain est l’un des piliers de cette communauté. Il danse avec Kelly, sa fille de 16 ans sous l’œil attendri de sa femme et de leur jeune fils Kid. Mais ce jour là Kelly disparaît. La vie de la famille s’effondre. Alain n’aura alors de cesse que de chercher sa fille, au prix de l’amour des siens et de tout ce qu’il possédait. Le voilà projeté dans le fracas du monde. Un monde en plein bouleversement où son seul soutien sera désormais Kid, son fils, qui lui a sacrifié sa jeunesse, et qu’il traîne avec lui dans cette quête sans fin.
Une quête obsessionnelle
1994, cette prairie au bord d’une rivière a de petits airs d’ouest américain avec ce concert de musique Country qui a attiré de faux cowboys et de fausses cowgirls, portant Stetsons et chaussés de santiags. Parmi eux, une famille, Alain, sa femme Nicole, Kelly, leur fille, âgée de 16 ans, et Georges, surnommé Kid, leur fils, âgé de 13 ans. Dans cette communauté Country, Alain jouit d’une certaine réputation au point qu’on lui demande de venir interpréter sur scène ce grand classique du genre qu’est « Tennessee Waltz ». La surprise est grande quand il s’avère que Kelly n’est plus là. Surprise vite suivie d’inquiétude. A-t-elle été enlevée ? La gendarmerie s’efforce de rassurer la famille mais on sent que les rapports sont tendus. L’inquiétude de la famille de Kelly ne fait que grandir lorsque Alain, interrogeant des amis de sa fille, apprend que Kelly a un copain, Ahmed, et que le couple qu’ils forment ne leur adresse plus la parole depuis pas mal de temps. Persuadé que sa fille a été enlevé par l’entourage de ce petit ami musulman, Alain va dorénavant passer son temps à essayer de retrouver sa fille, allant de ville en ville, de pays en pays, perpétuellement à l’affût du moindre indice. Une quête obsessionnelle qui ne peut qu’avoir des conséquences sur ses relations familiales et amicales. Une quête obsessionnelle dans laquelle il entraîne Kid, qu’on va voir évoluer pendant les 18 années décrites dans le film.
Un western contemporain
Mettant en scène les conséquences du choix d’une jeune fille de se convertir par amour à l’islam radical, il est probable que celles et ceux qui verront Les Cowboys à partir du 25 novembre, c’est-à-dire au moins 12 jours après les événements tragiques du vendredi 13 novembre, n’auront pas forcément le même regard que celles et ceux qui l’ont vu avant ces événements. D’autant plus que le film de Thomas Bidegain est tellement riche qu’il permet un grand nombre d’interprétations. Dans ce contexte, il est utile de se raccrocher aux intentions exprimées par l’auteur : au départ, l’envie de se plonger dans l’univers des fêtes Country, univers qui, très naturellement concernant le cinéma, l’a conduit au Western et, plus particulièrement, à La Prisonnière du désert de John Ford. Debbie a été enlevé par des Comanches, son oncle, le cowboy Ethan va la rechercher pendant des années dans l’ouest américain. Pour le faux « cowboy » Alain, sa fille a été enlevée par des Arabes, ces Arabes sont ses indiens à lui et il va se comporter comme Ethan. Et, tout au long du film, de nombreux détails vont venir montrer qu’on est dans l’univers du western, y compris LA scène où l’on fume le calumet de la paix ! Sinon, pour mieux comprendre la réaction d’Alain et son comportement, il faut se replonger en 1994, date à laquelle commence l’action du film : c’est l’époque des toutes premières manifestations djihadistes, la France n’a pas encore l’expérience des conversions vers l’islam radical et Alain n’imagine pas que Kelly ait choisi de s’enfuir : pour lui, il ne peut s’agir que d’un enlèvement. Et puis, petit à petit, des événements, certains intimes, d’autres ayant touché au cœur l’univers tout entier, vont traverser le film : le 11 septembre 2001, le 11 mars 2004 (Madrid), le 7 juillet 2005 ( Londres), la télévision qui montre une menace terroriste qui devient de plus en plus importante. Et Kelly est sans doute « là-bas », en Afghanistan, ou au Pakistan, ou au Yémen.
Si Alain est, au départ, celui qui déclenche la recherche de Kelly, Kid est peut-être le personnage le plus intéressant de Les Cowboys : alors qu’Alain est, tout du long, monolithique, obsessionnel, Kid, jeune adolescent au début du film et trentenaire lorsque l’action se termine, vit une évolution permanente, passant du gamin qui s’accroche à un père qu’il a peur de perdre à une vie d’aventurier allant plus loin que son père dans son rôle de cowboy, mais de façon plus réfléchie, plus mûre.
Damien, Oldfield, C. Reilly
Pour Thomas Bidegain, chaque western montre l’état de la nation. C’est le cas ici, aussi. L’occasion de montrer des gens simples projetés dans le fracas du monde. L’action du film se termine en 2012, avant l’émergence de Daech, bien avant Charlie, bien avant le 13 novembre 2015. « C’était une autre époque, c’était le début, on n’avait pas compris », dit un personnage.
On peut se montrer surpris de retrouver François Damien partir sur les traces de John Wayne. Et pourtant … D’abord, il y a le fait qu’il doit avoir la tête qui convient pour interpréter le rôle d’un père qui cherche sa fille : Suzanne, Gare du Nord, c’était déjà le cas ! Ensuite, le Stetson lui va très bien ainsi et il excelle dans les rôles d’individus têtus et monolithiques. Et enfin, cerise sur le gâteau, il s’avère excellent chanteur dans son interprétation de « Tennessee Waltz » alors que, dit on, il n’avait jamais chanté en dehors de sa salle de bain. Finnegan Oldfield, jusqu’alors cantonné à des seconds rôles, se voit offrir un premier rôle bis, celui de Kid, et il ne déçoit pas. Perfectionnistes jusqu’au bout dans leur désir de réaliser un western contemporain, Bidegain et Debré n’ont pas oublié d’introduire le personnage presque incontournable, le chasseur de primes. Ici, il s’agit d’un américain chargé de payer les rançons pour délivrer des otages : le rôle est tenu par John C. Reilly, qu’on voit beaucoup en ce moment ( Les Gardiens de la Galaxie, Grizzly, Tale of Tales, The Lobster). On notera que le film est découpé en chapitres, chacun portant le nom ou la description d’un personnage, et qu’on y observe de nombreux sauts dans le temps.
Conclusion
Scénariste à succès, Thomas Bidegain a pris le risque de se lancer dans la réalisation. Risque d’autant plus grand que le sujet choisi est particulièrement explosif. Coup d’essai, coup de maître ! Sans se lancer dans la description « casse-gueule » d’un véritable choc de civilisation, il montre avec tact et subtilité les dégâts qu’une coupure culturelle mal gérée peuvent générer, tant à la petite échelle d’une famille qu’à celle de la planète toute entière.