Grâce à Massacre à la tronçonneuse, il était devenu l’une des figures les plus marquantes du cinéma d’horreur, du vrai, du grand, cinéma d’horreur mais pourtant personne n’a jamais vu son visage, au moins à l’époque. Gunnar Hansen a été choisi à l’âge de 26 ans l’été 1973 par le réalisateur Tobe Hooper et le scénariste Kim Henkel pour être ce tueur au masque de cuir cannibale sans pitié qui tourmentera cinq adolescents, sa première apparition étant particulièrement glaçante, inattendue autant pour les spectateurs que sa première victime, et cause de bien des cauchemars. «J’ai appris bien plus tard que si j’ai été engagé, c’est parce que j’étais le plus grand et le plus large de ceux qui avaient auditionné et que je remplissais l’espace de la porte». Apprenant qu’un tournage se préparait dans les environs, il s’est présenté à l’audition car, fraîchement sorti de l’université et ayant tout juste perdu son boulot de barman, il avait du temps libre et se disait qu’il aimerait bien savoir comment se passait un tournage de cinéma. «Combien de personnes peuvent dire à leurs amis qu’ils ont joué un jour dans un film d’horreur, même un truc obscur que personne n’aurait vu ?». Déjà attiré par le métier d’acteur, il avait fait un peu de théâtre à la fac.
Comme il l’évoque dans un entretien accordé au site House of horrors, le personnage lui a été ainsi présenté : «L’idée était en réalité que si l’on devait retirer son masque, il n’y aurait rien derrière […] Tuer est la seule chose qu’il sait faire». C’est donc une sorte de créature mythologique, dénuée de profil psychologique naturaliste qu’il a créé avec les auteurs de ce classique du genre, le rendant particulièrement terrifiant même si à ses yeux il était aussi une victime, il était absent, mentalement dérangé et manifestement victime d’abus physiques de ses proches. Le résultat est en tout cas une créature trouble, mi humaine mi monstrueuse, sans réel précédent, unique, souvent imitée, jamais égalée.
Il ne reprendra jamais ce rôle malgré les multiples suites ou remakes, même pas la première suite pourtant toujours tournée par Tobe Hooper. «J’avais très envie d’être dans le film mais ils n’ont jamais vraiment négocié sérieusement avec moi pour m’accorder un bon salaire. Ils ne me proposaient que le minimum syndical, ont vaguement négocié jusqu’à ce qu’ils trouvent quelqu’un d’autre. […] Ils ont ensuite affirmé que j’avais accepté et étais devenu soudainement difficile, ce qui est faux car je n’ai jamais accepté de le faire, leur répétant encore et encore qu’ils devaient m’offrir juste un peu plus d’argent».
En 2013, il évoque ce tournage dans le livre Chain Saw Confidential : How we made the world’s most notorious horror movie publié chez Chronicle Books. Vingt ans avant sa publication, il avait commencé à noter tous ses souvenirs de l’époque pour être certain de ne pas en altérer la véracité. Ce n’est pas qu’un recueil de son expérience à lui, mais aussi celles des autres membres de l’équipe. Il évoque également l’impact de Massacre sur le cinéma d’horreur et les rumeurs sur le tournage, sur la véracité de l’histoire, niant son aspect documentaire, Ed Gein, par exemple, n’étant qu’une lointaine référence.
Il avait délaissé le métier d’acteur dès son film suivant en 1977 (The Demon Lover, dont il garde un piètre souvenir) pour se consacrer à l’écriture, gagnant sa vie en rédigeant des articles pour des magazines, des publicités ou des scénarios, notamment pour des documentaires dont un sur le Groenland qu’il réalise lui-même. Il ne revient devant la caméra qu’en 1988 avec la parodie d’horreur Hollywood Chainsaw Hookers de l’iconoclaste Fred Olen Ray, foutraque mais assez réjouissant. Sa carrière d’acteur se limite à quelques apparitions dans des séries B voire Z assez peu remarquées (même si certaines semblent assez réjouissantes lorsque l’on trouve quelques images), tournant au moins par une fois par décennie un film où il manipule une tronçonneuse, le premier ensuite étant cet Hollywood Chainsaw Hookers, le suivant Mosquito (1995) dont il a également écrit le scénario puis Chainsaw Sally (2004).
Il refuse de reprendre le rôle de Leatherface dans le remake tourné en 2003 mais fait une brève apparition dans Massacre à la tronçonneuse 3D en 2013, qui se veut une suite directe, peu inspirée mais pas totalement inintéressante, de l’original. Parmi ses autres films, il était particulièrement fier de la comédie Brutal Massacre: A Comedy de Stevan Mena (2007) où apparaissent également d’autres vedettes de l’horreur, David Naughton (Le Loup-Garou de Londres), Ken Foree (Zombie de Romero), Ellen Sandweiss et Betsy Baker (Cheryl et Linda dans Evil Dead) ainsi que le réalisateur Mick Garris dans son propre rôle.
Celle qu’il poursuivait dans la séquence de clôture, Marilyn Burns, est décédée le 5 août 2014 (voir hommage). Resté à l’écart des autres acteurs pendant le tournage, en particulier ses victimes, il n’a appris à les connaître que des années plus tard apprenant tardivement que lorsque Tobe Hooper lui affirmait que ses partenaires ne lui parlaient pas pour avoir réellement peur de lui pendant les scènes, il s’agissait en réalité d’une manipulation du réalisateur qui prétendait par ailleurs aux autres que Gunnar Hansen préférait rester seul. Ce n’est qu’en l’interrogeant pour son livre de souvenirs qu’il a compris combien le tournage fut douloureux et brutal pour Marilyn Burns, comme il l’exprime dans une interview à The Nerdist en 2013. Elle lui a également confié : «À un moment j’ai cru que tu allais vraiment me faire du mal. Tu ne voyais rien à travers ton masque stupide !». Il confirmait lui-même régulièrement que ce fut une expérience parfois éprouvante physiquement, à cause de la chaleur, de la puanteur des lieux où il tournait et de son masque qu’il ne pouvait pas quitter. Sa fatigue et sa frustration s’expriment dans la scène finale lorsque sa proie s’échappe avec sa petite danse incongrue : «Le soleil allait se coucher et je me suis mis à danser, j’ai levé la tronçonneuse au-dessus de ma tête et j’ai commencé à l’agiter en grognant. J’ai aperçu Tobe et je l’ai visé. Il allait devoir rester en dehors de mon chemin !».
Né à Reykjavik, en Islande, il a émigré avec sa famille aux Etats-Unis, s’installant dans le Maine avant d’aller étudier au Texas. Il est décédé le samedi 7 novembre d’un cancer du pancréas à l’âge de 68 ans. Au moment de sa mort il travaillait encore sur le film Death House, récit d’une évasion dans un bâtiment secret du gouvernement, dont il était le scénariste et le producteur.
Ci-dessous il répond à des questions à l’HorrorCon de Rotherham en Angleterre en juillet dernier.