Critique : Vierge sous serment

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Vierge sous serment

Italie, Suisse, Allemagne, Albanie, 2015
Titre original : Vergine giurata
Réalisateur : Laura Bispuri
Scénario : Francesca Manieri et Laura Bispuri, d’après le roman de Elvira Dones
Acteurs : Alba Rohrwacher, Emily Ferratello, Lars Eidinger, Flonja Kodheli
Distribution : Pretty Pictures
Durée : 1h28
Genre : Drame
Date de sortie : 30 septembre 2015

Note : 3/5

L’actrice Alba Rohrwacher paraît porter le malheur de l’humanité tout entière sur son visage. Ses traits sont marqués par un tel désespoir qu’il devient de plus en plus rare de la voir dans autre chose que des tragédies misérabilistes. En même temps, ce penchant pour le dépit s’épanouit avec une économie remarquable de moyens, dès qu’il s’agit de suggérer les affres des tourments qu’accablent les personnages qu’elle interprète, plutôt que de les exprimer d’une façon outrancière. Le rôle de Hana / Mark dans ce premier film fascinant est donc taillé sur mesure pour Rohrwacher. Il baigne littéralement dans la confusion des genres. Or, à un niveau plus existentiel, cette femme qui a voulu être un homme est tiraillée entre la conscience de n’être personne et la volonté sourde de ne pas se plier aux exigences des traditions rigides dans son pays d’origine, l’Albanie. Vierge sous serment aborde cette histoire sur la perpétuelle redéfinition de l’identité avec une pudeur appréciable, sans se laisser enrôler dans un quelconque raisonnement militant.

Synopsis : Après la mort de ses parents, la jeune Hana a été recueillie par la famille de Lila qu’elle considère depuis comme sa sœur. Au plus tard à l’adolescence, elle se rebelle contre son avenir tout tracé de femme au foyer docile. Pendant que Lila s’exile en Italie dès que l’occasion se présente, Hana reste dans son village reculé en Albanie et y fait le serment de rester vierge. Elle pourra ainsi prétendre aux privilèges réservés aux hommes dans sa communauté, au prix de renoncer aux attributs féminins et à l’amour. Quelques années plus tard, alors que ses parents d’adoption sont décédés, Hana qui se fait appeler Mark quitte à son tour ses montagnes bien aimées et rejoint Lila, mariée et mère d’une fille adolescente.

Ça ne se fait pas

La joie de vivre se fait excessivement rare dans ce film, qui explore avec un calme olympien le périple identitaire d’une femme en quête d’émancipation. En Albanie, où commence le voyage de Mark et où la narration nous ramène régulièrement pour évoquer son passé en tant qu’adolescente indépendante, il fait toujours un temps maussade et froid sur fond d’un décor naturel sauvage qui ne fait pas davantage preuve d’hospitalité. Le carcan social dont les habitants sont prisonniers apparaît alors comme le prolongement inévitable de la nature rude qui les entoure. Les règles de conduite y sont archaïques, aussi faute de voie d’accès à des mœurs plus contemporaines. Il existe certes une échappatoire pour les femmes qui refusent la soumission au code d’honneur machiste, mais en contrepartie elles devront renoncer pour toujours à une vie affective normale. En Italie, la vie n’est guère plus facile d’un point de vue sentimental. La grisaille routinière des cités et des centres commerciaux y pèse d’abord comme une chape de plomb sur l’existence de Mark, plus que jamais indécis sur la direction que son existence devrait prendre.

Homme femme, mode d’emploi

Dans le contexte de cette vie qui attend depuis longtemps de se construire à ses propres conditions, il aurait été facile de tomber dans l’excès soit du malheur malsain, soit du bonheur à forte dominante volontariste. Heureusement, la mise en scène assez délicate de Laura Bispuri sait garder le ton du film dans un état de suspension dépourvu de certitudes ennuyeuses. Le rapport très flou à la sexualité, qui exclue volontairement Hana / Mark des cases de jugement habituellement de rigueur, se manifeste plus dans un attentisme circonspect que dans des exploits glauques, comme la tentative de viol en plein champ enneigé ou la masturbation du maître-nageur aux toilettes. Car l’enjeu principal du récit n’est point d’attribuer une étiquette rassurante au protagoniste, mais de l’accompagner dans un cheminement lent vers une forme de sérénité à la féminité pleinement assumée. Seul le va-et-vient incessant entre les retours en arrière et le présent sans perspective dénote dans l’aspect formel du film, tandis que les parenthèses musicales, comme la course des filles lors d’une rare journée de liberté ou les procédures de fermeture de la piscine, font preuve d’une poésie cinématographique tout à fait à l’honneur de la réalisatrice débutante.

Conclusion

La question de l’identité des genres est plus que jamais d’actualité. Vierge sous serment se l’approprie non pas dans une démarche opportuniste, mais au contraire en y ajoutant des pistes de réflexion hors des sentiers battus. Sa facture presque austère contribue alors à dépouiller le sort de Hana / Mark de toute tentation de polémique, pour mieux lui rendre une intimité et une dignité hautement précieuses.

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