Critique : Cemetery of Splendour

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Cemetery of splendour afficheCemetery of Splendour

Thaïlande, 2015
Titre original : Rak ti Khon Kaen
Réalisateur : Apichatpong Weerasethakul
Scénario : Apichatpong Weerasethakul
Acteurs : Jenjira Pongpas, Banlop Lomnoi, Jarinpattra Rueangram
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 2h02
Genre : Drame
Date de sortie : 2 septembre 2015

Note : 4,5/5

Où Apichatpong Weerasethakul livre un film à la beauté somptueuse, à la fois lumineux et solaire. Nous verrons en quoi Cemetery of Splendours est, au-delà de son rythme indolent captivant, un long-métrage dont il importe de souligner son aspect unique au sein d’une production cinématographique, devenue au fil des années, beaucoup trop sclérosée.

Synopsis : La scène se déroule en Thaïlande donc, dans un hôpital militaire où sévit une mystérieuse épidémie de sommeil dont semble souffrir les soldats-patients. Jenjira, une personne habitant près de l’hôpital, se lie d’amitié avec une chamane chargée d’aider les patients en proie à cet état proche de la narcolepsie.

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Sensation de plénitude

D’où vient cette sensation de plénitude, de sérénité, au sortir de la séance ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : si le cinéma a pour but de nous faire devenir de meilleures personnes ou, du moins, de constituer une échappatoire au quotidien morne de 2015, Cemetery of Splendour est un chef-d’œuvre pur et simple. Durant le festival de Cannes, l’on a énormément glosé de-ci, de-là sur le caractère à la fois putatif, caricatural ou encore convenu d’un grand nombre de films présentés sur la Croisette. Certes, une partie des films, bien que drapée sous leurs atours de bonne conscience sociale, ont permis d’être à l’origine d’un débat public. Souvenons-nous de La Loi du Marché qui a bénéficié à la fois de l’effet Cannes mais également d’une situation sociale où près de 5 millions de personnes vivent dans une grande précarité. Au final, un million d’entrées et un prix d’interprétation cannois pour Vincent Lindon. Cela dit, quoi qu’on en dise, le cinéma se doit d’être le reflet de son époque, d’être le sismographe des secousses politique, sociologique, économique de son temps et de constituer enfin un réceptacle visuel, ou, pour reprendre un terme «bazinien», un témoignage, une trace (au sens de preuve) du chambardement sociétal présent.

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Ou alors, dans un autre registre, ce nombre conséquent de divertissements futiles, dont l’attrait principal, et non des moindres, est d’être le témoin d’effets spéciaux repoussant les limites du possible. Pur plaisir coupable. Seulement voilà, cette omniprésence de la violence d’un côté et, de l’autre, cette saturation visuelle clinquante et vulgaire est révélateur d’une chose : un grand nombre de spectateurs éprouve complaisamment à être le récepteur de stimuli sensoriels agressifs et violents. Symptomatique de notre époque vile et basse, ce flux d’images de mauvais goût n’a d’égale que la médiocrité intellectuelle ambiante. Entre les metteurs en scènes qui semblent prendre un plaisir cynique et gratuit à nous foutre le nez dans la merde et le sang, et les films plus légers mais qui à peine vus, sont sitôt oubliés, existe une voie alternative dont le nouveau film de Weerasethakul constituerait le nouveau fleuron. Cependant, ces plusieurs aspects inhérents au cinéma (violence, divertissement, poésie) soulignent la profonde richesse du 7ème art et sa capacité versatile à exprimer des émotions diverses. Mais voilà, un film dont le style (ce n’est pas le premier, bien évidemment, je pense à Tarkovski, Bela Tarr, Tsai-Ming Liang, Monteiro, pour n’en citer que quelques-uns) diffère de celui que l’on voit plus communément ici et là ne peut qu’attirer notre attention. Poésie visuelle et cinétique qui n’a d’égale que la spiritualité qui s’en dégage et qui, au final, se révèle être une formidable thérapie visuelle. Au sens propre.

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Le monde intérieur de l’individu, le caractère cosmogonique de l’univers

Sélectionné dans le cadre d’Un Certain Regard 2015, certains ont été surpris, voire franchement déçus, de sa non-participation à la compétition officielle. Avec le recul, nous ne pouvons leur donner tort au vu de la qualité franchement exécrable de quelques films visionnés à ce jour. Surtout pour un metteur en scène ayant déjà été primé de par le passé, en l’occurrence pour Oncle Boomee, récompensé d’une palme d’or – excusez du peu – en 2010 sous l’égide bienveillante de Tim Burton. Cela dit, quelques personnes avancèrent l’idée que cette absence de la compétition était un moyen de protéger le film de l’ire de la critique cinématographique, qui peut être parfois extrêmement vindicative sur la Croisette, en particulier vis-à-vis des films de la compétition qui sont, de fait de leur présence dans le cénacle tant convoité,les plus exposés.

D’emblée, le film débute sur un aspect antinomique particulièrement savoureux. Généralement, l’on associe le soldat aux caractères belliqueux de la guerre, à savoir, la violence et le mouvement perpétuel… Or, ici, c’est bien le contraire : le sommeil, et son corollaire évident l’indolence, le rêve et la féerie. Tout le film sera innervé par cet aspect antithétique : les éléments triviaux, organiques (excréments, urine) contrastants avec les éléments cosmogoniques, et animistes, traits caractéristique des croyances spirituelles en Thaïlande.

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Comme souvent chez Weerasethakul, l’aspect formel du film repose sur le même principe : des plans fixes, à savoir de longues stases temporelles, dont le rythme insufflé confère au film cette scansion hypnotique qui nous enlace, nous berce et nos étreint tel un vent doux. Rythme languide soutenu par les nombreux plans sur des objets qui tournent : ventilateurs, ou bien ces curieux objets sur l’eau. Cette insistance sur ce mouvement rotatif est une manière de la part du metteur en scène, tel un hypnotiseur et son pendule, de créer un climat hypnagogique, état de fait situé entre le sommeil et l’éveil. C’est un cinéma s’adressant à nos sens, à notre sensibilité poétique, et nous réapprend à voir les choses d’un regard neuf, à aller au-delà des normes. Transcendance poétique qui passe par la mise en scène.

C’est également un cinéma qui nous redonne une humanité et une dignité au sein de notre époque délétère et anxiogène. Il y a cette très belle scène où la chamane enseigne à un parterre de patients à maîtriser leur énergie vitale. De là, elle imagine tout un processus spirituel durant lequel notre propre énergie vitale, contrôlée par nous-mêmes, quitte son enveloppe corporelle avant de se diriger vers la lune, puis Jupiter, Uranus, Pluton, enfin en dehors de notre système solaire, pour finalement sortir de notre galaxie afin d’atteindre une plénitude avec l’infini. Puis, c’est le trajet inverse, jusqu’au retour dans notre corps physique. Scène sidérante et sublime. La parole est le médium, le vecteur de toute émotion. La caméra, en revanche, n’a pas quitté d’un iota la salle de l’hôpital. Alors que l’esprit a tutoyé l’infini, Weerasethakul n’omet pas l’être humain. Le cinéma de Weerasethakul est un cinéma spiritualiste, dans le sens où son art cinétique embrasse à la fois le monde intérieur de l’individu mais aussi le caractère cosmogonique de l’univers.

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Conclusion

Devant un tel film, le spectateur pourra réagir de plusieurs manières : ou bien il jugera le film difficile et se sentira complètement extérieur de celui-ci. Ou alors, il se laissera transporter par les images, les bruitages, le rythme du montage et dans ce cas-là, la vision du film sera vécue telle une véritable expérience sensorielle. Expérience qui se doit d’être vécue au sein d’une salle de cinéma pour en profiter pleinement.

https://vimeo.com/134596730

2 Commentaires

  1. Il y a aussi une troisième possibilité : se laisser emporter jusqu’aux 2/3 du film de la façon décrite, et se sentir ensuite complètement extérieur. Ce fut mon cas, à partir de la visite du palais. Pourquoi ? j’en sais rien…

  2. Il faut reconnaître un mérite à Apichatpong Weerasethakul. Depuis sa palme d’or cannoise de 2010, il a beaucoup progressé : certes, il se contente toujours de poser sa caméra, de la mettre en route, de partir prendre un café pendant que ses comédiens font ce qu’ils veulent, et de revenir quelques minutes plus tard ! Mais, et c’est là le progrès, maintenant, il fait la mise au point avant de partir prendre son café !

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