«Un deux… Freddy te coupera en deux»
Il enchaîne ensuite avec le premier grand personnage iconique de l’horreur qu’il a créé, Freddy Krueger, le monstre au visage brûlé, au pull rouge et aux griffes métalliques qui s’impose dans les rêves d’adolescents (dont le jeune Johnny Depp avant 21 Jump Street) dans Les Griffes de la Nuit. Le nom associe le prénom d’un garçon qui le harcelait à l’école au nom d’un personnage de la Dernière maison. Ce coup de maître engendrera non seulement une série de huit films mais aussi toute une liste d’êtres démoniaques très librement dérivés de ce tueur implacable lui-même héritier de Michael Myers créé par son ami John Carpenter dans Halloween, même si Craven tira son inspiration d’un fait réel, le décès spontané d’adolescents qui n’avaient a priori pas de problèmes de santé. Ces deux figures partagent le même statut de monstres symboliquement révélateurs d’une Amérique inquiète des autres avec ses petites barrières blanches pointues qui protègent artificiellement les jolies maisons des banlieues isolées. Comme dans La Dernière maison sur la gauche, la question des responsabilités parentales se pose avec force et une ironie cinglante.
Après cinq épisodes de qualité variable dirigés par d’autres, il ne réalisera ensuite que le septième volet, Freddy sort de la Nuit, relecture post-moderne autour de sa créature où il se met en scène dans son propre rôle, tentant de faire une suite, sans grand enthousiasme, avec Robert Englund en croque-mitaine, John Saxon en shérif et l’actrice Heather Langenkamp qui devient le porte-paroles de son dilemme d’auteur. Il est un cinéaste d’horreur (doué) et rien d’autre, elle n’est que la Nancy des Griffes de la Nuit et rien d’autre. La menace horrifique qui pèse sur la vie de l’actrice n’étant qu’un prétexte pour évoquer, avec humour et efficacité, son rapport compliqué avec son double envahissant, symbole de son enfermement dans un registre qu’il ne parvient pas à quitter malgré ses tentatives et son envie de goûter à d’autres types d’histoires. Bien reçu, cet essai original pour l’époque, souvent imité depuis, par lui-même comme on le verra plus tard, lui permet d’obtenir une nomination inattendue aux Spirit Awards, dans la catégorie du meilleur film ! Le documentaire Never Sleep Again: The Elm Street Legacy de Daniel Farrands et Andrew Kasch, écrit par Thommy Hutson, d’une durée de quatre heures, évoque en 2014 l’histoire de la saga, à travers de nombreux témoignages. Dans une interview qu’il avait donnée à Entertainment Weekly l’occasion de sa sortie en dvd et bluray, il s’étonnait de l’importance de son ancrage dans l’inconscient collectif, ce qui est plutôt ironique, quand on y pense.
Entre ces deux films, il connaît une période faste qui commence avec l’un de ses pires films, une suite décevante à La Colline a des Yeux, écrite avec son fils Jonathan, truffée d’idées idiotes mais parfois mémorables (le flash-back du point de vue du chien du premier film !!!) et plombé par une mise en scène molle, malgré le retour de Michael Berryman physiquement inquiétant mais guère efficace face aux bikers pas très malins eux non plus dont l’une des rescapées de l’original.
Il est heureusement plus inspiré avec une belle série de réussites ensuite, enchaînant le romantique et frankensteinien L’Amie Mortelle sur un scénario de Bruce Joel Rubin (Ghost, L’Échelle de Jacob) avec Matthew Laborteaux et Kristy Swanson en couple séparé par la mort avant une résurrection inattendue aux sinistres conséquences puis L’Emprise des ténèbres (The Serpent and The Rainbow), petit chef d’oeuvre autour du vaudou en Haïti, une variation qui se veut réaliste et documentaire sur un processus de zombification, révélant pour l’occasion le talent de Bill Pullman connu seulement alors pour être le faux Han Solo de La Folle Histoire de l’Espace de Mel Brooks.
https://youtu.be/ZQj2GKwKp5w
https://youtu.be/bFcDA2QKdWc
Nouvelle grande figure de l’horreur avec un sens de l’humour étrange, Horace Pinker est le psychopathe de Shocker, condamné à la chaise électrique après une série de meurtres abominables. Il traque impitoyablement la famille de l’inspecteur Don Parker joué par Michael Murphy dans une très belle performance, d’une grande sobriété dramatique qui contraste parfaitement avec le côté joueur et moqueur de son antagoniste Mitch Pileggi (génial lui aussi) qui n’est pas sans évoquer Freddy Krueger dans son art de la blague douteuse mais aussi par son côté immatériel, profitant des réseaux électriques pour se rendre sans problème d’un lieu à un autre, doublé d’un autre pouvoir bien pratique, celui de prendre possession de corps d’êtres vivants pour mener son projet criminel. Peter Berg s’illustre en jeune héros au passé trouble, fils adoptif du policier.
Le Sous-Sol de la Peur (au titre en VO plus satisfaisant, The People under the stairs) est un autre film particulièrement attachant avec ses freaks rejetés de la société. Un jeune garçon joue aux cambrioleurs pour aider sa mère mais tombe sur une maison où des choses étranges se passent sous la coupe d’un couple incestueux. Un joyau méconnu de sa carrière qui mêle les registres en glissant d’une ambiance réaliste contemporaine à un récit plus intemporel de conte de fées façon frères Grimm, bien sombre malgré de belles plages d’humour, le duo interprété par Everett McGill et Wendie étant délicieusement cartoonesque dans ses excès, à nouveau complices après la série Twin Peaks où elle était la borgne aux rideaux et lui son mari, autrement plus sympathique. Et équilibré…
Après la réussite de Freddy sort de la nuit, un nouveau ratage, le plus grand de sa filmographie, il faut bien l’admettre, Un Vampire à Brooklyn écrasé par le nouveau goût du producteur envahissant et acteur qui ne l’est pas moins Eddie Murphy pour les maquillages lui permettant d’interpréter plusieurs personnages.
Il relance heureusement très vite sa carrière avec brio avec une nouvelle mise en abyme autour de la cinéphilie via l’autre grand personnage mythique de sa carrière, Ghostface, le tueur au masque, celui auquel on ne peut échapper car il ne cesse de changer de visage.