Critique : La Région centrale

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la region centrale afficheLa Région centrale

Canada, 1971
Titre original : –
Réalisateur : Michael Snow

Distribution : Cinédoc Paris Films
Durée : 3h00
Genre : Expérimental

Note : 5/5

Un hommage sera rendu au cinéaste canadien Michael Snow (né en 1929) lors de la 27ème Etats Généraux du Film Documentaire de Lussas en Ardèche qui a lieu du 16 au 22 août 2015 avec notamment cette œuvre, un voyage immobile et sensoriel en plan (presque) fixe de trois heures, évoqué dans le Blow Out de Brian de Palma. Installée sur un trépied omnidirectionnel, la caméra ne bouge pas mais a la capacité d’exercer tous types de mouvements, sa conception permettant de renouveler ainsi ce qui apparaît à l’écran, d’éviter toute impression de répétition et de dérouter physiquement le spectateur.

Michael Snow sur le tournage du film La Région centrale (photo : Joyce Wieland, octobre 1969)
Michael Snow sur le tournage du film La Région centrale (photo : Joyce Wieland, octobre 1969)

Synopsis : Dans un espace désert de la toundra canadienne, Michael Snow a installé, pour la réalisation de son film La Région centrale un dispositif révolutionnaire spécialement conçu pour la circonstance : une caméra fixée sur un trépied omnidirectionnel d’une flexibilité remarquable qui permet d’entreprendre tous les mouvements possibles (spirales, boucles, etc) d’une caméra afin d’explorer, 3 heures durant, un espace vide de toute civilisation, où nul humain ne vient encombrer le champ filmique.

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Un tableau mouvant de trois heures

Michael Snow a su composer un tableau mouvant de trois heures qui nous montre le monde tel que l’on ne sait pas forcément le voir. Le plan, aussi bien dans l’idée de cinéma que sur dans sa signification géographique, est constamment mouvant. La caméra tourne sur elle-même, mais pas simplement dans des mouvement de 360° horizontaux : ils sont aussi verticaux, la caméra plonge sur elle-même, bouge aussi de droite à gauche et de gauche à droite, mais pas seulement. Elle fait de légers décalages, avec mouvements brusques, boucles, saccades, spirales, tourbillons, cercles parfaits ou distordus. De légers déplacements comme une petite secousse dynamisent certaines séquences. Un rythme aléatoire, hypnotique qui nous entraîne dans un rêve éveillé.

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L’image nous donne parfois la sensation d’être dans un cockpit d’avion en looping (façon Top Gun pour donner une idée claire du ressenti) mais la variété des styles ne permet pas d’anticiper ce qui suivra. Alors que tout ce que le réalisateur canadien nous montre est un paysage unique, jamais de vraie lassitude, sinon celle de votre propre fatigue devant un écran de cinéma. En créateur de formes modernes, Snow a manifestement réfléchi à son projet et nous plonge dans un univers à portée de nos yeux mais que l’on ne regarde pas avec la magie appropriée. Il ne s’agit pas seulement dune ode à la nature mais aussi à la richesse du regard que l’on peut avoir lorsque l’on prend le temps de regarder autour de soi. On finit par s’attacher à un tas de pierre d’une très belle couleur, presque graniteuse, qui finit par être très agréablement reconnaissable, comme un lieu familier. Une oeuvre singulière, d’une très grande poésie défile sous nos yeux, faite de magnifiques arabesques.

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La musique vient de la caméra

Les petits sons de la caméra créent une petite musique répétitive qui participe à la qualité de cette belle création : bips, sons discrètement accentués par un travail soigné, faisant parfois penser à un croisement entre une sonnerie de téléphone ou une sirène de bateau, eux aussi changent d’une bobine à l’autre. Et jamais le montage ne se ressent, la fluidité des transitions est subtile, légère, un montage scandé par ses croix qui apparaissent, soulignant la présence d’un créateur derrière la caméra (au passage spécialement conçue pour l’occasion par le réalisateur et par Pierre Abeloos). Snow déstabilise nos certitudes sur nos perceptions visuelles par des glissements qui ne sont pas réalistes : ce que voit la caméra n’est pas ce que peut voir l’oeil humain, pas sans ce filtre utilisé ici. Le spectateur est parfois tenté de suivre ces mouvements libres et participe à la mobilité de cette oeuvre qui n’est au final jamais fixe. Les images se meuvent devant nos yeux comme un ballet dont les danseurs seraient des cailloux, le ciel, les nuages, les arbres au loin dans un rapport particulier à la perspective. L’effet est vraiment magique, la sensation d’être dans un Grand Huit n’est pas loin mais avec une belle dimension artistique qui évite cet écueil là car trois heures dans ce type d’attractions est certainement un défi insurmontable, écoeurant et jamais cette sensation n’apparaît ici. Ce n’est que tardivement que Michael Snow nous laisse découvrir ce lieu par un simple déplacement latéral qui nous permet de voir plus traditionnellement où nous étions mais il n’achève pas son film avec ce plan-là, la vitesse s’accentuant dans une scène suivante pour nous perdre à nouveau.

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L’affiche ci-dessous est une création récente de Lee Ranaldo, membre du groupe Sonic Youth.

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Conclusion

Un film expérimental donc, sans la moindre présence humaine à l’écran, mais surtout envoûtant qui nous offre 5 fois 24 heures de la vie d’une montagne (durée du  » tournage « ) avec la belle copine d’une copie 16mm qui a remarquablement supporté le poids des années. Il s’agit d’un film de 1971, décennie propice aux vieillissements non préservés de pellicules. Si on se laisse envoûter, le voyage est fascinant et d’une grande beauté. Pour comprendre les à-côtés, et notamment savoir où est placée la caméra, comment elle fonctionne ou le projet du réalisateur, il existe un livre sur ce film : « La Région Centrale De Michael Snow » de Stefani De Loppinot aux éditions Yellow Now. Au programme de la journée Michael Snow du samedi 22 août : à 10h00 Wavelength (45′) + Back and Forth (52′), à 14h30 La Région centrale (180′ donc) et à 21h00 Breakfast (Table Top Dolly) (15′) + A Casing Shelved (45′) + See You Later – Au revoir (18′).

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